Asphyxiés par les mesures sanitaires anti-Covid, des milliers de restaurants en Thaïlande ferment les uns après les autres. Des associations de professionnels appellent le gouvernement à l’aide
Lorsque Chirayu Na Ranong, propriétaire d’un restaurant à Bangkok, a entendu l’annonce en avril de nouvelles restrictions contre le coronavirus dans la capitale thaïlandaise, il a fondu en larmes.
Comme pour beaucoup d’autres restaurants du royaume, la dernière série de mesures sanitaires a été le coup de grâce pour son Chu Chocolate Bar & Cafe, qui était prisé par les touristes et les locaux depuis plusieurs années. L’établissement, situé dans le centre-ville, a fermé ses portes cette semaine.
"Je savais que c'était fini, car nous avions déjà du mal à survivre et là, avec un verrouillage de plus, il était évident que nous n'aurions pas assez d'argent pour payer", explique Chirayu Na Ranong, 36 ans, tandis que son personnel vide le restaurant.
"J'ai suivi l'ordre du gouvernement, j'ai fait ce qu'ils m'ont dit de faire, et puis je n'ai pas pu survivre. Je ne pouvais pas gagner ma vie."
La plus forte épidémie
Le secteur de l’Horeca (hôtellerie, restauration, café) en Thaïlande a été sévèrement affecté par les restrictions imposées aux restaurants et les fermetures des bars, alors que l’incitation au travail à domicile et la quasi fermeture du pays aux touristes étrangers depuis plus d’un an avait déjà porté un coup dur à l’ensemble de la profession.
Il y a un peu plus de mois seulement, Jean-Yves Canet, propriétaire du Rendez-vous au Lys dans le quartier Sathorn de Bangkok, voyait la reprise se profiler, au détour de Songkran, le nouvel an bouddhique. Mais la troisième épidémie survenue début avril a changé la donne.
La troisième épidémie qui sévit en Thaïlande depuis deux mois, et dont la capitale et les provinces environnantes sont l'épicentre, est la plus forte que le royaume ait connue jusqu’ici avec cette semaine autour de 4.000 nouvelles infections et une trentaine de décès chaque jour en moyenne.
"Avant avril, c’était prometteur, nous étions dans un bel élan, nous n’étions pas revenus à la normale mais presque, et là, ça a complètement chuté", dit-il. "Les écoles sont fermés, les familles sont dans des endroits ailleurs en Thaïlande où ils peuvent bouger un peu,… on arrive tout de même à travailler un peu mais il ne faut pas que ça dure plus longtemps, on a à peine la tête hors de l’eau, il ne faudrait pas qu’il y ait encore une autre vague", explique le Français qui garde malgré tout bon espoir.
50.000 restaurants fermés
L’association des restaurateurs de Thaïlande estime que le secteur perd jusqu'à 1,4 milliard de bahts (36,97 millions d’euros) par jour en raison des restrictions actuelles et qu'au moins 500.000 travailleurs ont perdu leur emploi.
Environ 50.000 restaurants ont fermé au cours des deux derniers mois, temporairement ou définitivement, a indiqué l'association qui s'attend à ce qu'au moins 10.000 autres fassent faillite d'ici la fin de cette troisième épidémie.
"Le gouvernement nous a dit d'arrêter nos activités, mais aucune aide n'est arrivée", a déclaré à Reuters le président de l'association, Taniwan Koonmongkon. "Ça n'a jamais été aussi difficile. Nous ne tenons qu'à un fil."
Courant mai, le gouvernement a assoupli certaines mesures restrictives concernant les restaurants, leur permettant de servir de nouveau sur place, mais jusqu'à 21 heures seulement et en limitant le nombre de couverts à 25% de leur capacité et en appliquant les règles de distanciation physique habituelles.
Plusieurs groupements du secteur ont déclaré que cela n’était pas suffisant pour nombre d’opérateurs qui se trouvent à court de trésorerie et peinent à garder leur personnel et payer leur loyer sans aide financière du gouvernement.
Sauver un secteur important du tourisme
Pour beaucoup de restaurants qui travaillent habituellement jusque vers 23h, la limite du nombre de couvert couplée aux horaires restreints rend les affaires particulièrement difficiles, surtout pour ceux de petite capacité qui vivent sur plusieurs services par soirée.
"Si vous n’avez personne à 19h, vous savez que la soirée est foutue les gens ne vont pas sortir pour une heure", explique Jean-Yves Canet, dont le restaurant dispose toutefois d'une grande terrasse et souffre moins que d'autres de la restriction sur le nombre de couverts.
Le mois dernier, le président de l’Association des restaurants et bistrots de Chiang Mai, Thanit Choomsang, déplorait des mesures jugées "ridicules", lorsque la province du nord de la Thaïlande continuait d'appliquer un niveau de contrôle maximal avec moins de 50 cas d’infection quotidien.
Une situation qui, selon nombres de professionnels, devrait toutefois profiter aux grands groupes qui ont largement de quoi tenir et peuvent se permettre de saisir les opportunités prometteuses qu’offre la disparition massive du petit commerce. Sans parler des services de livraison dont certains imposent aux restaurants des commissions de plus de 30% du prix ce qui correspond pour beaucoup à leur marge, comme deplore Thanit Choomsang. Et ce, sans que les pouvoirs publics n'interviennent pour réguler.
L'association des restaurants et un autre organisme du secteur, Fire & Ice, ont appelé à un soutien financier d’urgence et à faire preuve de la plus grande prudence concernant toute autre restriction éventuelle.
"Le secteur de la restauration et des bars est aussi l'une des principales attractions du tourisme thaïlandais", rappelle Choltanutkun Tun-atiruj de Fire & Ice.
"Qu'en restera-t-il une fois le pays rouvert, si le gouvernement n’acccorde pas d'importance de ce secteur ?"