À l’occasion de l’installation de l’exposition "Ettore Sottsass. La pensée magique" au Centre Pompidou de Malaga, une première en Espagne, nous avons rencontré Marie-Ange Brayer, co-commissaire de l’événement, conservatrice et cheffe du service design et prospective industrielle du Musée National d’Art Moderne, Centre Pompidou, à Paris, pour qu’elle nous aide à mieux comprendre - et apprécier - cette exposition temporaire, qui rassemble plus d'une centaine d'œuvres, dont des objets de design, des dessins, des installations et des photographies des années 1940 aux années 1980 du designer italien qui s'oppose au rationalisme et revendique une expérience émotionnelle.
Bonjour Marie-Ange Brayer, cette nouvelle exposition “Sottsass. La pensée magique”, que présente le Centre Pompidou de Malaga, met l’accent sur la notion de “design magique” chez cet artiste, à la fois architecte, designer et écrivain qui revendique une expérience émotionnelle des objets.
Lepetitjournal : En quoi Sottsass est-il un créateur majeur du XXe siècle d’après vous ?
Marie-Ange Brayer : Sottsass est effectivement un créateur majeur parce qu’il a toujours considéré le design dans une réflexion beaucoup plus large; pour lui, le design ce n’est pas seulement avoir un objet fonctionnel, industrialisé, c’est une autre manière de penser le monde.
Pour lui le design est une métaphore de la vie
L’exposition sur la pensée magique de Sottsass montre vraiment de quelle manière le design est une maniere d’être la métaphore de la vie, de faire le lien avec l’architecture et d’une maniere générale avec toute l’histoire de l’humanité.
LPJ : On dit aussi qu’il a un esprit rebelle
Marie-Ange Brayer : Oui, Sottsass a été novateur a toutes les périodes de sa vie et c’est vrai qu’à chaque fois, il a été quelqu’un qui a choisit des chemins de traverse, dans l’après-guerre, dans les années 50 avec Olivetti, dans les années 60 avec les radicaux italiens, avec Memphis; tous ces chemins de traverse l’ont amené à créer des nouveaux langages de création pour le design et à rechercher aussi une dimension profondément spirituelle. Il a donc redonné une dimension humaine au design à l’époque de l’industrialisation.
Sottsass mettait en avant la fonction thérapeutique du design donc les objets devaient être la aussi pour soigner, pour porter chance, c’était des objets qui accompagnaient la vie de chacun
Il y a eut, dit-on, des déclics dans sa vie. Quels ont été ces déclics? New York, l’Inde?
Marie-Ange Brayer : Il y a eut beaucoup de déclics dans sa vie, le premier, et sans doute le plus important, fut sans doute son expérience en Inde où il part en voyage durant plusieurs mois avec sa première épouse, Fernanda Pivano. Il en revient gravement malade. Il va donc vivre l’expérience de sa vie la plus flamboyante avec son voyage en Inde et ensuite l’expérience de la mort, qu’il frôle vraiment. Adriano Olivetti lui permet d’être soigné aux Etats-Unis, en Californie, et donc là il va renaître à la vie. C’est sans doute un des moments les plus forts pour Sottsass.
C’est une première exposition en Espagne, à Malaga, quels sont les points importants de cette exposition?
Marie-Ange Brayer : Ce qui est tout a fait nouveau dans cette exposition, c’est que l’on démarre dès les années 40. Généralement, on connait de Sottsass la période Memphis, les années 80, mais ce parcours montre comment il débute, son parcours, pas du tout comme designer mais comme artiste, il fait de la peinture, de la sculpture, dans l’après guerre il commence à concevoir des objets d’ameublement pour des intérieurs .
On voit dès le début de cette exposition à quel point, dès les années 40, c’est un novateur extraordinaire par les formes des objets, par l’emploi de la couleur, par l’emploi de matériaux innovants, on a déjà toute l’inventivité incroyable de Sottsass dès ces années 40, alors qu’il démarre à peine sa carrière de créateur.
C’est donc un moment très fort ce début de l’exposition, qui nous mène ensuite jusqu’au mouvement Memphis, avec les objets qui l’ont fait connaitre. Le visiteur pourra visiter les céramiques, qui sont des objets, très rares, uniques, qui incarnent vraiment cette dimension thérapeutique du design de Sottsass, la céramique comme un exercice spirituel qui relie l’homme au cosmos. On peut les voir avec des photographies de ses voyages en Inde.
En même temps, on a voulu montrer que le design industriel avec Olivetti, qui date de la même période, fin des années 50, années 60, est complètement complémentaire. Sottsass d’ailleurs mettait la machine Valentine, sur des céramiques. Donc, pour lui c’est les deux faces d’une même création, il ne va pas opposer l’objet fonctionnel-rationnel à une dimension plus spirituelle. C’est la même recherche.
A l’entrée de l’exposition, un objet fonctionnel et un objet évidemment complètement spirituel, influencé par la philosophie orientale
Pour conclure, parlez-nous de cet objet à l’entrée de l’exposition, pourquoi est-il si important?
Marie-Ange Brayer : À l’entrée de l’exposition, on a choisi un objet d’une petite entreprise italienne, réédité aujourd’hui mais qui à l’époque avait une vingtaine d’exemplaires, une création qui montre toute la philosophie de Sottsass, le travail sur les formes, les matériaux les couleurs, l’idée de transformer l’objet, car le fauteuil se transforme en tapis. On a à la fois du tissu, du bois, une combination très hétéroclite que l’on retrouve dans sa période “Memphis”. C’est à la fois un objet fonctionnel et un objet évidemment complètement spirituel, influencé par la philosophie orientale.
Merci Mme la commissaire, pour vos informations sur cette exposition exceptionnelle !
L’exposition “Ettore Sottsass. La pensée magique” est visible au centre Pompidou de Malaga jusqu’au 25 février 2024