Le Ramadan est un mois sacré chez les musulmans. Il est le quatrième des cinq piliers de l’Islam. Chaque année, 1,8 milliards de la population mondiale entame quasi en même temps ce rite religieux pour une période d’un mois. Si le Ramadan consiste pour tous les musulmans de jeûner du lever au coucher du soleil, il n’en demeure pas moins que les pratiques diffèrent d’un pays à un autre.
En Algérie, chaque région a ses propres plats et traditions y compris pendant le Ramadan. Une richesse incroyable qu’a le pays et que nous dévoilerons dans cet article.
Est, centre, ouest et sud, quatre régions d’Algérie aussi différentes que semblables dans les us et coutumes. Le Ramadan est le témoin parfait de ces traditions de par les mets et entremets que les familles préparent durant ce mois. Un art de la table maitrisé dans les quatre coins du pays et c’est ce que nous allons voir à travers les différents témoignages de Chahrazed, Monia, , Sabrina, Anissa, Reda, Akram, Chakib et Malek.
La rupture du jeûne : un rituel sacré. Première mi-temps !
« Le Bourek, c’est obligatoire à table ! »
La tradition algérienne veut que la rupture du jeûne se fasse avec des dattes et du lait ou petit lait. Ensuite, est servie une soupe appelée communément Chorba mais nommée différemment dans chaque région du pays de par ses recettes variées. On l’accompagne généralement avec du Bourek (feuilles de brik) aux diverses farces.
« A Annaba, notre plat principal est la Chorba frik (soupe rouge à base de blé vert concassé), qu’on appelle chez nous le Jari , accompagnée de Bourek farci principalement de pommes de terre seules ou avec du poulet. Autrement, il y a des Boureks farcis au thon et même parfois de cervelle de mouton mais c’est lourd ! Le Bourek, c’est obligatoire à table ! », nous confie depuis l’Espagne Sabrina, originaire d’Annaba, ville de l’extrême est algérien non loin des frontières tunisiennes.
Monia, aux origines Kabyles et Algéroises ayant grandi à Constantine et vivant actuellement à Alger, nous livre la composition de la Chorba constantinoise « La Chorba, aussi appelée Jari à Constantine, est préparée avec des morceaux de viande, boulettes de viande hachée et lamelles de poulet. On l’accompagne avec du Bourek à base de viande hachée ».
« La rupture du jeûne se fait
avec des dattes ou du Zrir »
Chahrazed quant à elle, Algéroise de mère Constantinoise qui lui a transmis l'art culinaire de cette ville nous dit que le Ftour commence par du « Djari Byad (soupe blanche avec vermicelles, poulet et boulettes de viande) » et ajoute que « La rupture du jeûne se fait avec des dattes ou du Zrir (tamina à base de blé et de pois chiche avec du miel et du beurre) ».
« Trente jours de Ramadan,
trente jours de H’rira, c’est important ! »
La région ouest ne déroge pas à la règle. Chorba et Boureks sont bien présents sur la table. Akram, originaire d’Oran, nous en parle « A Oran, nous commençons toujours avec de la H’ira (soupe typique de l’ouest) accompagnée de Bourek ».
Tlemcen, une ville de l’ouest algérien, non loin des frontières marocaines, a les mêmes pratiques que la ville d’Oran « Pendant le Ramadan, on commence d’abord par la H’rira qui est le plat essentiel à Tlemcen. Trente jours de Ramadan, trente jours de H’rira, c’est important ! », nous livre Réda originaire de cette ville.
Dans l’Algérois, la Chorba est bien évidemment présente. D’ailleurs, deux sortes de soupes sont préparées, la traditionnelle Chorba Frik mais il y a aussi Chorba Béda (Chorba blanche) à base de vermicelle et de poulet, typique d’Alger.
En Kabylie, c’est évidemment la Chorba Frik mais il fut un temps, elle n’était pas toujours servie nous explique Chakib depuis la France, originaire de Tizi Ouzou « Auparavant, il y avait deux catégories de personnes : les personnes modestes qui mangeaient du couscous sans Chorba et les personnes aisées qui commençaient par de la Chorba, enchainaient avec un deuxième plat et rajoutaient du couscous ».
Plat principal : copieux ou léger ? Deuxième mi-temps !
L'enchainement du Ftour se fait avec le plat principal. Celui-ci change chaque jour et est spécifique à chaque région.
L’est algérien a plus ou moins les mêmes plats à quelques différences près. Sabrina, originaire d’Annaba nous a parlé du « Tadjine Lahlou (Tadjine sucré avec ou sans viande) » qui est souvent présent le premier jour du Ramadan.
« Le plat sucré typique de Constantine
s’appelle Chbeh Essefra »
Le « Tajine Lahlou » est également préparé à Constantine sous une autre forme « Le plat sucré typique de Constantine s’appelle Chbeh Essefra. Il est sous différentes formes (demi-lune, cœur, étoile…). Il est fait à base d’amandes et de poires. Le plat se cuisine comme Lham Lahlou (plat de viande sucrée) mais on y ajoute de l'anis et des bâtonnets de cannelle. Par contre, il y a un plat très célèbre qui est le Tajine Jben. C’est une sorte de cake au poulet ou à la viande émiettés, composé de différentes sortes de fromages. Sinon, les autres plats que nous préparons souvent à cette période sont Chekhchoukha Edfar (sortes de miettes de galette de semoule), Trida blanche (pâtes fines et carrées préparées avec du poulet), Tlitli (à base de pâtes qui ressemblent à des grins de riz), Gritliya (pâte qui ressemble au vermicelle)», précise Monia.
D’autres plats garnissent la table constantinoise essentiellement des Tajines « Tajine El Yahni (aux beignets de poulet), Tajine Echoua (poulet avec galettes de viande), Ras El Zaouche (boulettes de viande hachée dans une sauce rouge sur lesquelles on casse des oeufs), Tajine El Houte (le nom est trompeur, il veut dire Tadjine de poisson mais en réalité ce sont des boulettes de viande hachée), Tajine El Mrayetes (galette de viande hachée enrobée de blanc d'oeuf, le tout frit dans de l'huile trempé dans une sauce blance), Guenaouia (Gombos en sauce), Tajine El Rkhame (Tajine marbré, boulettes de viande hachée farcies d'oeufs durs cuites dans une sauce blanche). Durant la Nuit du Destin ou la veille du quinzième jour, les plats à base de pâtes sont à l’honneur. La tradition veut que le plat soit cuit à la vapeur comme Chakhchoukhet edfar, Trida, Gritlia…», nous confie Chahrazed.
L’art culinaire du Ramadan à Constantine ne s’arrête pas là. Des desserts aussi sont typiques de la ville nous dit Chahrazed comme « Etbikh, de la gelée à base de miel ».
Cependant, à Annaba, le plat principal est consommé bien plus tard, « après la prière de Tarawihs », nous précise Sabrina.
Dans l’Algérois, les plats sont très variés. Anissa, originaire d’Alger nous en parle « Les plats les plus célèbres dans l’Algérois pendant le Ramadan sont Tbikha (jardinière en sauce composée d’artichauts, de petits pois et de fèves). Il y a Batata Fliou (ragoût de pomme de terre à la menthe pouliot), Tajine Lkhokh (plat à base de viande ou de poulet en sauce blanche avec des boulettes de purée de pommes de terre farcies à la viande hachée), Mtewem (boulettes de viande hachée et viande en sauce blanche) et Tajine Jben (morceaux de poulet ou de viande cuits dans une sauce blanche et gratinés au four avec œuf et fromage), typique à l’Algérois ».
Une tradition existe aussi bien à Alger qu’en Kabylie et qui est celle de la Nuit du Destin, le 27ème jour de Ramadan. Les petits enfants jeûnent pour la première fois afin qu'ils se familiarisent avec ce rituel religieux progressivement. « Pour la Nuit du Destin, on demande aux petits enfants de jeûner afin de les habituer au jeûne. Ils passent toute la journée avec les hommes à l’extérieur pour être sûrs qu’ils ne vont rien manger. Au moment de la rupture du jeûne, on leur fait boire Charbet (citronnade faite maison) avec de la cannelle qu’ils prennent dans un verre en argent et de la Tamina (entremets composé de semoule torréfiée le tout agrémenté de miel », nous confie Anissa d’Alger.
Quant à Chakib, originaire de Tizi Ouzou, nous a fait part d’un autre rituel typique de la région de Kabylie « Lors de la Nuit du Destin, le 27ème jour du mois, les enfants n’ayant jamais jeûné jeûnent pour la première fois. Les familles les emmènent au souk acheter des choses. Ils les emmènent aussi chez le coiffeur (surtout pour les petits garçons). On donne souvent ce jour-là des noix à l’enfant. Traditionnellement, on le place en hauteur à l’heure de la rupture du jeûne et on lui donne soit un œuf à la coque ou un verre de lait avec une datte. Le mettre en hauteur est une manière de lui donner de l’importance. C’est presque le même rituel qu’à Alger ». Toujours en Kabylie, dans la plupart des villages de Tizi Ouzou, le plat principal est « Aghroum (de la galette) et du piment avec de la tomate. Il y a ceux qui préparent le couscous, très répandu, en sauce rouge, citrouille et même à base de fèves », indique Chakib.
L’Oranie a aussi ses plats et ses traditions durant le mois de Ramadan. A Oran, par exemple, différents plats sont préparés et des boissons sont toujours présentes à table « La Felfela (salade de poivron), Matlou (pain traditionnel algérien) et Tajine Lahlou qui selon moi sont des incontournables de la table oranaise. Différents plats sont préparés chaque jour qu’on accompagne d’une boisson typique de ce mois, Charbet (citronnade faite maison). Au quinzième jour du mois et lors de la Nuit du Destin, 27ème jour du Ramadan, nous préparons le Rougag ou appelé aussi Trid (à base de pâtes fines)», précise Akram.
Ce sont quasiment les mêmes plats et traditions que nous retrouvons à Tlemcen, nous confie joliment Réda « Le premier jour du mois, nous préparons un plat de viande sucré qu’on appelle L’ham lahlou afin que le Ramadan commence pour nous en douceur ! Les autres jours, nous préparons différents plats. Le 27ème jour du Ramadan, beaucoup de gens préparent du poulet avec du Trid ».
Pour ce qui est du Sud de l’Algérie, Malek habitant El Djelfa, une ville aux portes du Sahara algérien, nous explique qu’il n’y a pas de plats spécifiques préparés à cette occasion. Néanmoins, « pour El Nasfia (qui veut dire la moitié en référence à la moitié du mois), les familles ont pour coutume de préparer du Couscous en sauce rouge avec viande de mouton. C’est le cas également pour la Nuit du Destin. Il y a aussi une tradition qui se perd peu à peu mais que les femmes d’un certain âge perpétuent et qui est celle de préparer un repas et se l’échanger avec une autre famille voisine », nous précise-t-il.
L’après ftour : thé ou café ? Kalb El Louz ou Zlabia ? On les a tous sur les tables !
Après le Ftour, vient le moment de reprendre un peu d’énergie durant la soirée. Partout en Algérie, thé et café sont au rendez-vous accompagnés de pâtisseries traditionnelles comme le Kalb El Louz (pâtisserie algérienne à base de semoule, amandes et eau de fleur d’oranger), la Zlabia (confiserie traditionnelle) ou tout autre gâteau traditionnel, c’est ce qui fait le charme de la soirée.
« Notre « Snia » (table en annabi) est composée de café
de M’halbi (riz au lait avec un peu de cannelle), de flans, de gâteaux…»
Sabrina, nous décrit les soirées bônoises comme suit « Notre « Snia » (table en annabi) est composée de café, de M’halbi (riz au lait avec un peu de cannelle), de flans, de gâteaux… La plupart des Annabis prennent du café plus que du thé. Il y a aussi le Kalb el Louz que nous appelons chez nous la Harissa, toujours sur nos tables, Zlabia et Makrout (pâtisserie farcie de dattes et enroulée dans du miel). Le même principe pour Constantine nous explique délicatement Monia « Vient le moment de la soirée pendant lequel nous dégustons du café ou du thé accompagnés de douceurs que nous présentons sur une Snia (un grand plateau rond en argent ou en bronze), de la Djouzia (nougat aux noix et miel )et la Caoucaouiya aux cacahuètes et miel ».
« Sniate el kahwa est sacrée après le ftour »
La table constantinoise est très riche en saveurs « Sniate el kahwa (la table du café) est sacrée après le ftour. On prépare pleins de gâteaux comme Mhancha (pâtisserie à base de pâte feuilletée fourrée en amandes et nappée de miel), Ketaief (ou appelé Cheveux d’anges aux amandes), Bourek erana (cigares au miel et aux amandes), Taminet El Moghref(Tamina faite à base de farine grillée, noix, miel, beurre et eau de rose). Il y a aussi la Bsissa (Préparée avant le Ramadan en même temps que le Frik qui est à base de farine, de blé ou d'orge , assaisonnée à la marjolaine , à la coriandre, à l'anis au fenouil, aux lentilles) », nous en parle généreusement Chahrazed.
A Oran, selon Akram « Après le repas, on déguste du café ou du thé avec de la Chamia (qu’on appelle communément Kalb El Louz). Elle ne manque jamais durant les soirées ramadanesques ».
Dans le Sud algérien, bien qu’existe l’habitude de passer des soirées à siroter du thé, pendant le Ramadan, Malek nous confie qu’à El Djelfa « on déguste du café à base de Chih (armoise blanche) qu’on appelle Frara ».
Le Shour : dernière chance avant l’aube !
Enfin, arrive le Shour, ce moment où il est encore permis de se nourrir avant l’aube, heure à laquelle les jeûneurs doivent s’arrêter de manger et de boire. Le Shour permet de tenir le coup pour la journée d’après.
Toutes les régions d’Algérie ont un plat en commun pour le Shour, « Couscous avec du Zbib (raisins secs) ». Certains ajoutent des petits pois et même des fèves. Il est accompagné de Leben (petit lait) ou Raïb. Il n’y a que l’appellation de ce plat qui change. Dans l’est, le centre et en Kabylie, on l’appelle Mesfouf. A l’ouest, on l’appelle «Seffa». A Annaba, on y ajoute des « dattes » nous dit Sabrina.
Autres mets ou entremets consommés au Shour à Constantine « Bekhboukh (Mesfouf qu’on fait cuire à la vapeur et qu’on mouille avec du lait pour faire gonfler les graines). On prend aussi du M'halbi (riz au lait) ou Tbikh, servis avec le Chrik (petits pains faits à base de semoule et d’eau de fleur d’oranger) », ajoute Chahrazed.
Néanmoins, d'autres préparations peuvent être consommées pendant le Shour, pas forcément des plats traditionnels. Cela reste à l'appréciation de chacun.