Beaucoup disent que l’Inde est un voyage sans retour tellement il marque de son empreinte notre esprit et notre corps. En 2008, Christine Sagnier, accompagnée de sa famille, plonge un mois dans les profondeurs du sous-continent indien. Parfois en apnée, l’écrivaine revient remuée par ce voyage, ‘’qui ne ressemble à aucun autre’’. La tête retournée et les émotions piquées au vif, l’expérience indienne a donné naissance à un très beau roman, La Lettre de réclamation.
L’histoire raconte l’aventure d’un jeune retraité qui s’est envolé pour l’Inde avec un simple guide touristique en poche, et tout un imaginaire doré sur ce pays. Mais il n’en est rien. Pagaille monstre dans l’aéroport de Bombay, conducteur de taxi fou du volant, nids de poule, voire « d’autruche », chambre d’hôtel en piteux état, bidonvilles et misère, le constat initial du personnage est le suivant : « l’Inde ne voulait manifestement pas de ma personne. »
Très vite, il comprend que ses idées préconçues vont être décousues, voire arrachées -souvent violemment- par le choc culturel indien. Hospitalisé après avoir ingéré une infusion de datura, s’être fait dépouiller de tous ses biens (ou presque) et mis à terre par une vache à Hampi, le personnage est rapatrié en France. En trois semaines, l’Inde aura eu raison de lui…
Trois mois après son retour en France, le rescapé décide d’écrire une lettre de réclamation à destination de l’éditeur du guide en l’invectivant : « Il y a un abîme entre l’aventure telle que vous la présentez et l’expédition qui surprend vos lecteurs sur place. » Mais au fil de l’écriture, en narrant son histoire, le retraité prend du recul et découvre que ce périple, marquant et usant, lui a énormément apporté.
L’électrochoc indien
L’Inde bouleverse, interpelle et déchaîne nos sens et nos émotions. ‘‘Je suis moi-même partie en vacances dans différents pays, mais l’Inde est mon premier vrai « voyage ». C’était vraiment autre chose, différent’’, explique Christine Sagnier, auteure du roman La Lettre de réclamation.
Dans ce pays aux multiples facettes, le décalage entre modernité et pauvreté est tellement violent qu’il nous atteint au plus profond de notre être. On parle beaucoup de syndrome du voyageur, ou syndrome de l’Inde, un trouble psychique qui se manifeste lorsque qu’un individu se retrouve confronté à la réalité parfois insupportable du quotidien dans lequel il est plongé.
Dans ce syndrome de l’Inde, le personnage du roman y tombe la tête la première. ‘’Ce voyage provoque des étincelles et chamboule les émotions de cet ancien ingénieur, très carré, et fragilisé par son récent divorce. Et puis cet homme qui n’a pas véritablement fait de crise d’adolescence, et bien c’est en Inde qu’il va la faire. L’Inde provoque un tel électrochoc qu’il perd le contrôle. Mais au final, ce chemin de croix va lui apporter beaucoup. Il fait évidemment de belles rencontres, mais remet surtout en cause sa façon de percevoir le monde et les autres. L’Inde lui a en quelque sorte ouvert les yeux.''
Prendre du recul pour ne pas sombrer
Rédiger une lettre de réclamation à destination de l’éditeur du guide est crucial. Pourquoi ? Car cela offre quelque chose d’essentiel au personnage : du recul. ‘’Cette lettre lui permet de mettre des mots sur le voyage. Il se rend compte de toutes les péripéties qu’il a vécues. Et grâce à cela, il perçoit les côtés positifs : il voit le monde différemment, il s’est défait de sa raideur, il est désormais plus ouvert aux autres et plus proche de sa famille’’, explique Christine Sagnier.
La Lettre de réclamation parcourt l’Inde, jongle avec l’autodérision, l’humour, en bringuebalant son personnage d’une situation invraisemblable à une autre. ‘’Ce livre se moque aussi du regard qu’on peut avoir sur quelque chose qu’on ne connaît pas, qu’on ne comprend pas et qui nous choque. Au final, la véritable solution selon moi, c’est de se laisser aller.''
Si on n’est pas capable de prendre un minimum de recul, le choc peut être très violent
L’objectif du livre n’est en aucun cas de décourager les voyageurs désireux de partir en Inde. Le roman révèle autant les richesses de l’Inde que ses travers, sans en oublier les nôtres. ‘’Le problème avec les voyages, c’est qu’on part souvent avec nos idées préconçues, uniformisées et aseptisées’’. Le livre déconstruit cet imaginaire doré et exprime toute la puissance d’un périple en Inde, une aventure qui prend aux tripes et qui change. Plus que les autres. Et puis à travers ce format original, d’une lettre adressée à un éditeur de guide touristique, Christine Sagnier en profite aussi pour leur envoyer une petite pique : ‘’J’ai moi-même constaté que lorsque l’on se fie aux guides, nous ne sommes pas à l’abris de grosses déconvenues.’’
L’Inde, ni toute noire, ni toute blanche
‘’Si je devais retenir un lieu, ce serait le village de Hampi, au sud-est de Bombay. J’ai été émerveillée par cette cité royale, parcourue de centaines de temples. Extraordinaire, magnifique, splendide’’. Et au final, ce n’est pas si simple de résumer l’Inde à des endroits spécifiques. ‘’Je ne dirais pas que ce sont forcément des lieux précis, mais vraisemblablement un tout qui marque le visiteur. La couleur, l’odeur, la nourriture, la beauté des femmes et leur élégance nous transcendent. Mais d’un autre côté, il y a la saleté, la pollution, la corruption, la circulation effarante -une sorte de gros tricot, et les foules massives qui vous bousculent.''
En Inde, c’est chacun pour soi, tout le monde se pousse. Le klaxon n’est pas utilisé pour prévenir mais pour dire : pousse-toi, je passe. C’est déconcertant
Comment se préparer à l’Inde ?
‘’On est souvent tenté (ou obligé) de jeter un œil dans un guide touristique. Mais il faut faire attention !’’ Forte de son expérience, l’écrivain préconise de ‘’multiplier les recherches sur les forums et surtout, d’éviter toute idée préconçue. Et au final, le plus inattendu entraine souvent les plus belles rencontres.’’ Voyager, c’est un peu ça, les surprises, les chocs culturels, les rencontres.
Et dans ce pays où la condition des femmes n’est pas acquise, ‘’pas question d’y aller seule ou avec une amie. Nous avons vu des femmes se faire violemment bousculer dans les bus. J’ai moi-même était témoin de harcèlement. J’ai été aussi interpellée par le manque de considération pour les personnes âgées, souvent heurtés dans les foules.’’ Comme son personnage, toutes les péripéties indiennes, souvent inattendues et toujours marquantes, ont changé et inspiré Christine Sagnier. Au final, c’est le propre d’un voyage, non ?