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Emmanuel Kattan (Columbia University) : “Le français est la langue de l'amitié”

Emmanuel Kattan, universitaire canadien et directeur du programme liant Columbia University, Sciences Po, l’École Polytechnique et l’université Paris I Panthéon-Sorbonne a reçu le 6 mai 2024 le titre de chevalier de l’Ordre national du mérite au cours d’une cérémonie émouvante tenue au Consulat général de France à New York : “Pour moi, la France était le pays d'où venaient toutes les bonnes choses et où se concentraient tous mes rêves”.

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© Consulat général de France à New York
Écrit par Yoni Binh
Publié le 16 mai 2024, mis à jour le 17 mai 2024

Le lien d’Emmanuel Kattan avec la France est très ancien. Né au Québec, l’auteur et universitaire canadien a fréquenté le Collège Marie de France de Montréal, avant d’entreprendre des études en français, d’abord avec un diplôme de philosophie à l'Université de Montréal, puis un doctorat à l’École des hautes études en sciences sociales de Paris (EHESS), après un passage par l'université d'Oxford en 1998. Aujourd’hui directeur du programme Alliance, Emmanuel Kattan se confie sur son parcours, son rapport avec la France et les ambitions franco-américaines en matière de coopération universitaire. 

 

 

J’ai toujours ressenti le besoin de vivre à la croisée de différentes cultures.

 

Votre carrière a été marquée par la recherche en sciences sociales, d’une part, la littérature, d’une autre, mais aussi par l’action en faveur de diverses collaborations universitaires. Qu’est-ce qui vous a mené à vous engager pour Columbia et ses partenariats avec la France ?

À la fin de mes études à Oxford, j'ai souhaité mobiliser mes compétences afin de développer des liens entre différentes cultures. Originaire du Canada, j’ai toujours ressenti le besoin de vivre à la croisée de différentes cultures. Je me suis donc engagé auprès de la délégation du Québec à Londres, où j'étais responsable des relations académiques. J'ai ensuite rejoint le Commonwealth, en devenant plume pour le secrétaire général de l'organisation. Par conséquent, une bonne partie de ma carrière s'est centrée autour d'enjeux de développement économique. En 2005, je suis arrivé aux Nations-Unies, où j'ai travaillé pour l'Alliance des civilisations en tant que directeur des communications. Né d'une collaboration entre l'Espagne et la Turquie dans la foulée des attentats de Madrid, cet organisme a pour but de créer des passerelles de réconciliation entre différentes cultures. 

Plus tard, la logique m'a mené vers le British Council, au sein duquel j'ai mené un projet financé par la Carnegie Foundation, et dont le but était de développer des liens universitaires entre le Royaume-Uni, les États-Unis et l'Europe. Nous avons également agi en faveur du développement au Bangladesh grâce au soutien de la Gates Foundation. Nous cherchions alors à repenser le modèle des bibliothèques publiques afin de favoriser la dynamique d'égalisation sociale qu’elles permettent. Tout cela m'a rapproché du monde universitaire, et après une vie professionnelle dans les relations internationales, je suis finalement revenu au monde académique en rejoignant le programme Alliance. Le poste que j’occupe actuellement se situe à l’intersection parfaite entre cette affection pour le monde francophone, cet intérêt pour les relations internationales et la volonté d’agir pour le rapprochement des cultures.

 

La force du programme Alliance est de ne pas simplement être focalisé seulement sur l'enseignement, sur la recherche ou sur l'échange d'étudiants et de professeurs, mais de travailler sur tous ces éléments à la fois.

Vous êtes à la tête d’Alliance, le programme d’échange universitaire de Columbia avec trois établissements français prestigieux : l’École Polytechnique, Sciences Po et l’université Paris I Panthéon-Sorbonne. Quelle est la vocation principale de ce programme ?

Le programme Alliance est unique. Il vise à créer une forme de collaboration universitaire binationale à plusieurs niveaux et à plusieurs échelles. La force de ce programme est de ne pas simplement être focalisé seulement sur l'enseignement, sur la recherche ou sur l'échange d'étudiants et de professeurs, mais de travailler sur tous ces éléments à la fois. Les bases de nos collaborations sont solides tout en étant très diversifiées.

L'autre aspect unique du programme réside aussi dans sa capacité à être évolutif, afin de s'adapter à différentes modalités de fonctionnements, la finalité étant de comprendre les différentes mutations du monde, et en particulier celles qui concernent le monde universitaire.

 

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M. Damien Laban, consul général de France à New York, s’exprime lors de la cérémonie de remise de l’insigne de Chevalier de l’Ordre national du mérite © Consulat général de France à New York

 

Ce qui réunit nos étudiants est la soif d'apprendre et la curiosité de traverser l'Atlantique pour se confronter à un monde universitaire différent de ce qu'ils connaissent en France et en Europe.

Quels sont les éléments qui motivent les étudiants français à s’installer à New York pour intégrer Columbia ?

L'ouverture et la diversité qui existent au sein du programme Alliance nous permettent de recevoir des étudiants dont les centres d'intérêts sont très variés (affaires publiques, ingénierie, sciences sociales…). Mais ce qui réunit nos étudiants est la soif d'apprendre et la curiosité de traverser l'Atlantique pour se confronter à un monde universitaire différent de ce qu'ils connaissent en France et en Europe. Les étudiants français arrivent aux États-Unis en espérant s'exposer à des modes de pensée et à des modes d'enseignement qui sont distincts de ce qui leur est familier. Un double phénomène d'apprentissage se produit grâce à cette expérience unique : après deux ans d'études passés en France où il aura acquis une base solide de connaissances en histoire des idées, un étudiant du double-diplôme Sciences Po-Columbia sait par exemple raisonner et rédiger de manière extrêmement rigoureuse. En arrivant à Columbia, ce même étudiant aura l'opportunité de se familiariser avec des enseignements très différents. Avoir une expérience internationale permet de s'enrichir d'un contenu nouveau dans le pays étranger, mais aussi de réinterpréter notre propre cursus à la lumière d'un monde différent.

L'avantage du système académique américain ne réside-t-il pas également dans sa propension à inciter les étudiants à s'engager plus personnellement dans les sujets traités en cours ?

Tout à fait. La méthodologie américaine me semble d’ailleurs assez idéale. En France, les étudiants commencent par établir les bases, parfois d'une manière peut-être un peu révérencielle, mais toujours systématique et méthodique. Ensuite, le contexte américain donne beaucoup plus d'autonomie aux étudiants en leur signifiant qu'il n'y a pas de texte sacré. Les étudiants français ont les capacités d'exercer leur esprit critique, parce qu'ils sont passés par Sciences-Po avant, où ils ont appris à décortiquer un texte d'une manière à partir d'une méthodologie de pensée qui leur donne énormément de leviers pour interpréter une infinité de textes.
 

Pour les étudiants français, le coût des universités américaines est colossal. Existe-t-il des systèmes de financement afin de leur faciliter l'accès aux cursus du programme Alliance ?

Le coût des études est un enjeu important. Dans le cadre du double-diplôme Sciences Po-Columbia, les frais de scolarité sont payés à l'université où l'étudiant se situe. Avec deux ans à Sciences Po puis deux ans à Columbia, cela représente un avantage et une économie majeure, puisque les étudiants ne paieront pas quatre ans mais deux ans de frais de scolarité américains. Concernant les aides financières, il en existe bien sûr des deux côtés de l'Atlantique.

 

Les débats se produisent toujours dans la plus grande civilité.

 

Depuis octobre dernier, la question du conflit israélo-palestinien fait rage dans les universités (on l’a vu à Columbia aussi bien qu’à Sciences Po, qui sont les deux exemples emblématiques vus depuis la France) et interroge le rôle que doivent avoir les universités dans le débat d’idées. Quel regard portez-vous sur cette question ?

J'enseigne un cours sur la politique de la mémoire en France depuis quelques années à Columbia. Dans ce cours, nous essayons de comprendre comment les grands événements fondateurs de l'histoire contemporaine ont été mémorisés et mémorialisés par la société française. Nous y prenons l'histoire et la mémoire de Vichy comme point de départ. Les gens ne se souviennent pas de l'époque de la collaboration de la même manière dans les années 50, dans les années 60 que dans les années 70 et qu'aujourd'hui. Nous étudions aussi d'autres événements historiques aux mémoires multiples comme la guerre d'Algérie, l'esclavage, et les génocides du XXe siècle. Les étudiants qui ont pris ce cours sont des Français, des Américains, mais aussi des étudiants venant d'un peu partout, et chacun vient donc avec son propre héritage. Chaque année, nous menons des discussions passionnantes. J'ai peut-être eu de la chance, mais les échanges tenus avec les étudiants dans le cadre de ce cours - qui traite parfois de sujets très difficiles - ont toujours été très fructueux. Les débats se produisent toujours dans la plus grande civilité.

 

alliance programme columbia university

 

Nous venons de lancer un double diplôme en "Global Engineering" entre l'École Polytechnique et Columbia.

Quels sont les grands défis du programme Alliance pour les années à venir ?

Nous faisons face à deux grands défis. D'abord, il est essentiel que nous multipliions les points de contact entre les universités, afin de servir les intérêts et les besoins des étudiants. Cela se fait d’une part par l'intermédiaire de l'enseignement. Nous venons de lancer un double diplôme en "Global Engineering" entre l'École Polytechnique et Columbia, et grâce auquel les étudiants auront la possibilité de faire un bachelor de trois ans en anglais à Polytechnique suivi d'un d’un master réalisé à l'école d'ingénierie de Columbia. Les étudiants auront l'opportunité d'ouvrir leur carrière à toutes sortes de possibilités dans le domaine de la tech, de la finance, de l'économie, de la diplomatie... La première cohorte d'étudiants arrivera à l'École Polytechnique cet automne. 

 

Nous voulons encourager et développer un maillage de recherche solide entre nos quatre universités partenaires, plus particulièrement en matière d'enjeux de changement climatique et d'IA.

 

En parallèle, nous développons d'autres diplômes qui s’inscrivent dans l'actualité et les grandes préoccupations mondiales. En ce sens, nous ouvrirons prochainement un double master en changement climatique entre Sciences Po et Columbia. Le but est de permettre aux étudiants d'acquérir une formation à la fois scientifique en matière d'environnement, et de leur dispenser une formation en politiques publiques dans le même temps. Nous cherchons également à créer de nouvelles opportunités pour les étudiants à travers des écoles d'été qui leur permettront de piloter eux-mêmes des sessions d'enseignement avec des invités prestigieux sur des thématiques comme le développement durable ou l'intelligence artificielle. Cet été, l'économiste Jeffrey Sachs participera par exemple à notre école d’été parisienne afin d'échanger avec les étudiants.

Le deuxième grand chantier est celui de la recherche. Nous voulons encourager et développer un maillage de recherche solide entre nos quatre universités partenaires, plus particulièrement en matière d'enjeux de changement climatique et d'IA. Un incubateur d'idées permettra à des experts d'échanger sur leurs recherches actuelles et de chercher des points de contact qui leur permettraient de développer des projets conjoints. À terme, nous souhaitons mobiliser des fonds auprès de grandes fondations américaines. Dans un futur proche, nous souhaitons investir la question de l'intelligence artificielle et de sa réglementation dans le droit, ainsi que l'ensemble des questions qu'elle pose aux systèmes démocratiques.

 

Je reçois cette distinction comme une manière de célébrer l'amitié entre la France et les Etats-Unis.

Le 6 mai 2024, vous avez reçu l’insigne de Chevalier de l’Ordre national du mérite à l’issue de sept ans de service à la coopération universitaire entre la franco-américaine, qu’est-ce que cette distinction symbolise pour vous ?

Je reçois cette distinction comme une manière de célébrer l'amitié entre la France et les États-Unis, ainsi que l'amitié de plus de vingt ans entre nos institutions, puisque cette récompense m'est attribuée en vertu de mon rôle de directeur du programme Alliance. Mais au-delà des institutions, cette distinction célèbre aussi l'amitié entre les individus, les chercheurs, et les étudiants. Je n'ai pas compté le nombre de mariages issus du programme Alliance, mais ils sont probablement très nombreux ! (rires) Les amitiés qui ont été créées à travers ce programme sont des amitiés durables. 

 

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