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Jean-François Forgeot d’Arc: "Rassembler les talents pour faire redécoller l’AFM"

Le Toulousain Jean-François Forgeot d’Arc, 49 ans, a pris ses fonctions à la tête de l’Alliance française de Madrid (AFM) il y a un bon mois désormais, après le départ à la retraite de son prédécesseur, Julien Ocaña, qui pendant les six dernières années a assuré un travail de redressement de l’activité, après la période difficile du Covid.

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Écrit par Vincent GARNIER
Publié le 16 juillet 2025, mis à jour le 18 juillet 2025

Jean-François Forgeot d’Arc arrive avec la volonté affirmée de donner un nouvel élan à cette institution emblématique de la francophonie dans la capitale espagnole. Diplômé de Neoma Business School, il s’est forgé une solide expérience dans le domaine des ressources humaines, en France comme à l’étranger, avec un parcours associatif particulièrement dense, avant de se tourner au cours de cette nouvelle étape, vers le secteur culturel et éducatif.
 
Doté d’un regard à la fois stratégique et humain, il prend ses nouvelles fonctions avec un projet clair : moderniser l’AFM tout en renforçant son rôle central dans la promotion de la langue et de la culture françaises. Développement des outils numériques, intégration progressive de l’intelligence artificielle, renforcement des liens avec les entreprises et les institutions locales… Autant d’axes qu’il entend mettre en œuvre avec pragmatisme et ambition.
 
À la croisée de l’entrepreneuriat, de la culture et de l’éducation, Jean-François Forgeot d’Arc incarne ainsi cette nouvelle génération de dirigeants qui voient dans les Alliances françaises des espaces d’innovation autant que de transmission. Il pourra compter sur l'appui d'un Conseil d'administration renouvelé et modernisé, pour l'accompagner dans ses missions. Rencontre avec un directeur engagé, déjà bien décidé à faire rayonner l’Alliance française de Madrid à l’échelle de la ville… et au-delà.

Un parcours dans les ressources humaines et l'investissement associatif

 Vous avez plusieurs années d'expatriation en Espagne à votre actif. Pouvez-vous nous résumer votre parcours dans le pays ?
 
Je suis arrivé en Espagne comme conjoint suiveur, et il m'a fallu à cette occasion faire face aux défis que ce type d'expatriation suppose, notamment au niveau de la recherche d'emploi et de la gestion de carrière. Il a fallu à mon arrivée affronter une assez longue période de chômage, puis occuper des postes dans différentes entreprises et, continuellement, me former tout au long de ce parcours -ce que j'ai d'abord fait en 2012 avec un PDD (Programa Desarrollo Directivo) de l'IESE, puis 10 ans plus tard, à travers une solide formation de coaching. Lors de mon premier séjour à Madrid, de 2009 à 2018, j'ai notamment assuré les fonctions de DRH pour l'Europe du sud pour l'armateur Maersk, avec la carrière de jusqu'à 1500 employés à gérer. Un défi considérable, en pleine crise mondiale, avec des politiques du changement et de développement des talents à instaurer. En 2018 j'ai accompagné ma conjointe en Irlande où j'ai dû là-encore rebondir professionnellement, ce qui s'est traduit par la prise de poste à la direction des ressources humaines d'une ONG internationale spécialisée dans l'accueil des réfugiés (Goal), avec 2700 personnes engagées dans les zones les plus conflictuelles du globe, et ce qui a supposé la gestion de situation particulièrement dures, comme vous pouvez l'imaginer, avec les risques intrinsèques à ce type d'engagement humanitaire. A mon retour à Madrid, en 2020, après une mission de quelques années chez Diageo, leader mondial des alcools, j'ai fait le choix de me mettre à mon compte comme consultant, et me frotter aux défis de l'auto-entrepreneuriat. Tout au long de mon parcours, j'ai en parallèle toujours été impliqué dans l'univers associatif, comme administrateur de l'Entraide française pendant 10 ans, mais aussi administrateur de l'UFE, membre du CARE (cellule d'aide à la recherche à l'emploi), ou encore comme volontaire et membre de l'Ordre de Malte.

L'Alliance française de Madrid accueille 1400 élèves chaque année

Ce sont au total 14 ans dans le pays. Vous connaissez donc bien l'Espagne, mais aussi l'écosystème français actif dans le pays.
 
Oui, et c'est un élément essentiel pour pouvoir correctement promouvoir la diffusion de la culture française auprès des Espagnols, qui fait partie des missions de l'Alliance française. Avec près de 1400 élèves accueillis annuellement, je découvre de fait une Alliance qui a retrouvé depuis 2 exercices l'équilibre financier. Mais comme l'ensemble du secteur, la crise du Covid nous a obligé à réduire la voilure. Cette nouvelle étape, au cours de laquelle nous allons donc nous atteler à redéployer notre capacité à promouvoir notre langue et notre culture, doit néanmoins s'entendre dans le contexte du chamboulement complet que connaît aujourd'hui l'enseignement des langues. Il est donc essentiel que nous adaptions notre offre aux nouvelles formes de consommation de l'apprentissage des langues, et que, dans une certaine mesure, nous soyons capables de réinventer notre business model… Même si, et je tiens à le souligner, nous restons le seul établissement privé à Madrid en mesure de délivrer les certificats officiels DELF / DALF (de A1 à C2) -en 2024 nous avons délivré 3.000 certificats auprès d'apprenants indépendants ou d'élèves dans les 30 collèges avec lesquels nous collaborons.

 

Il faut que nous fassions valoir notre positionnement comme centre de référence linguistique à Madrid

Qu’entendez-vous donc par réinventer le business model ?
 
La technologie est venue bouleverser les codes, c'est évident. Aujourd'hui il existe une multitude de solutions développées pour leur usage sur smartphone, très faciles d'accès et à coût défiant toute concurrence. Certes, l'offre est d'une qualité variable, mais notre modèle traditionnel de vente de cours principalement en présentiel, doit évoluer. Il faut donc que nous fassions valoir notre positionnement comme centre de référence linguistique à Madrid -effectivement lié à une excellente qualité pédagogique et à la longue expérience accumulée sur plus de 30 ans d'existence- en alignant l'ensemble de notre offre et de nos prestations. Cela passe notamment par intégrer le numérique et l’IA pour enrichir l’expérience d’apprentissage, et nous y travaillons de fait depuis un certain temps désormais -mais pas seulement.

Un enseignement de la langue qui intègre les questions d'interculturalité

Quels sont les autres axes que vous avez identifiés, qui permettent d'aligner votre offre à ce positionnement ?
 
Nous devons faire valoir notre expertise sur les questions d'interculturalité. Je m'explique : dans un monde où les travailleurs issus d'origines différentes seront appelés à travailler ensemble dans de grands hubs internationaux, il est essentiel de travailler ce que l'on appelle -excusez l'anglicisme- les "soft skills", pour faire en sorte que ces personnes soient en mesure de collaborer de façon efficace. On fait donc ici référence aux compétences humaines et relationnelles, et à l'intelligence émotionnelle. À cet égard la compréhension de la culture de l'autre est primordiale. Croyez-moi, je viens du monde de l'entreprise et je suis parfaitement conscient que les conversations de couloir sont celles qui permettent une bonne intégration et une bonne cohésion des équipes. En d'autres termes, il ne suffit pas de savoir s'exprimer dans la langue de Molière pour savoir travailler avec des équipes françaises, notamment à l'échelle des postes de direction, avec les enjeux de gestion et de motivation des personnels -Il faut aussi comprendre et connaître les codes culturels du pays, et cela aucune application, aucun chatbot, aucune intelligence artificielle, ne sera le transmettre. Tout ce qui est technique est en train de s'automatiser, dont acte. Utilisons aussi ces solutions et greffons-y toute notre expertise concernant une formation qui intègre la capacité d'influence et le relationnel à son enseignement.

 

En entreprise, les conversations de couloir sont celles qui permettent une bonne intégration et une bonne cohésion des équipes


Cela suppose de développer les cours en entreprise.
 
Oui, évidemment. Et développer des offres sur-mesure pour les 30 entreprises avec lesquelles nous travaillons actuellement (et les autres que nous prospectons...). Nous devons faire monter le niveau de notre offre, parler team building, coaching, motivation... Mais aussi développer des offres par secteur en fonction de notre expérience (Tech, Finance, Institutions culturelles et éducatives, Loisirs, Luxe…). Il est essentiel de sectoriser cette offre pour apporter une valeur ajoutée spécifique. Par exemple, on sait que tous les ans 350.000 touristes français sont recensés à Madrid. Nous devons être capables de démarcher les grandes enseignes de retail, les hôtels, les boutiques de luxe de la Milla de Oro pour leur faire valoir qu'en formant correctement leurs personnels à la langue et aux codes culturels de cette clientèle, nous pouvons les aider à faire plus de business.
 

Nous devons faire monter le niveau de notre offre, parler team building, coaching, motivation

Avec au sein du Conseil d'administration des membres actifs dans le monde de l'entreprise, nous devrions être en mesure d'identifier plus rapidement les besoins des entreprises et les interlocuteurs correspondants. Les partenariats avec nos homologues du British Council et du Goethe Institut constituent d'autres pistes que nous allons continuer à explorer et qui ont déjà porté leurs fruits, avec une présentation conjointe de nos offres auprès des institutions locales. In fine il va falloir continuer à être flexibles, inventifs et savoir faire tâche d'huile, après avoir travaillé pendant de longues années, de façon très verticale.
 
 
L'alignement de votre offre avec votre positionnement est donc essentiellement lié à l'offre entrepreneuriale ?
 
Non, justement, l'alignement doit être assuré à tous les niveaux : pour les cours particuliers -avec l'intégration d'outils numériques de qualité et de l'hybridation- comme pour les cours en entreprise -avec la dimension interculturelle que je viens d'expliquer- mais aussi au niveau de notre communication ou de nos locaux. Nous y travaillons déjà. Notamment via la refonte de nos réseaux sociaux et de nos interfaces web. Mais aussi avec un projet de restructuration de nos locaux, qui nous permette de les moderniser et de créer des espaces d'être ensemble, d'accueil et d'animation d'événements, notamment corporatifs. Au-delà, si notre positionnement comme centre de référence linguistique passe par des partenariats accrus avec les institutions et les entreprises -mais aussi avec l'écosystème français présent dans la capitale- notre soutien aux activités culturelles de qualité reste primordial.

Une riche programmation culturelle à Madrid

Pouvez-vous nous en dire un peu plus à cet égard ?
 
Parmi la riche programmation culturelle de l'Alliance, nous avons notamment deux grands rdv culturels historiques, que nous allons continuer à promouvoir avec toute l'attention qu'ils requièrent : il s'agit du laboratoire de cultures urbaines Flipas, et de la Muestra de cinéma francophone, qui en est déjà à sa dixième édition. Ces deux manifestations sont organisées en partenariat avec des institutions culturelles et éducatives locales, qui participent au succès qu'elles rencontrent, auprès d'un public nombreux. Nous sommes de fait en plein recrutement d'un responsable culturel, et nous devrions recruter prochainement une personne à la communication : l'une de leurs missions consistera notamment à accompagner le développement de ces deux manifestations. Enfin, nous travaillons sur un projet particulièrement excitant, qui devrait voir le jour cet automne et devrait regrouper toute une dynamique culturelle et corporative autour de l'image et du nom de l'un des fondateurs de l'Alliance française. Ce sera sans nul doute un événement qui devrait être particulièrement fédérateur pour l'ensemble de notre communauté.
 
 
Et concernant les partenariats avec l'écosystème français ?
 
Comme je l'ai dit, notre but est d'étendre ces partenariats. Par exemple nous avons d'ores et déjà mis en place une collaboration -bénévole- avec l'Entraide française, visant à proposer des cours d'appui aux personnes suivies par l'association. Des projets devraient prochainement se concrétiser avec d'autres organisations françaises. L'une des idées, c'est notamment de proposer un parcours culturel à nos élèves, ancré dans la présence locale à Madrid. Comme déjà exprimé, nous avons trop longtemps "verticalisé" notre action, nous devons sortir de ces schémas pour étendre l'univers des possibles.
 
 
Avez-vous des objectifs concrets à avancer pour votre première année de mandat ?
 
J'espère vivement, qu'avec les mesures que nous allons mettre en place, nous soyons en mesure de faire progresser le chiffre d'affaires d'un pourcentage à deux chiffres en 2026. Si on parle d'objectifs chiffrés, je serais en outre heureux de pouvoir formaliser 4 ou 5 accords de collaboration avec des entités francophones. 

 

Nous avons ici des talents exceptionnels

Comment ces missions sont elles partagées avec les équipes ?

Dès mon arrivée, j'ai mis un point d'honneur à rencontrer et interviewer tous les personnels et intervenants -on parle d'une cinquantaine de personnes au total. En tant que professionnel des ressources humaines, vous comprendrez que pour moi, il est essentiel de regrouper les équipes et instaurer une dynamique de groupe. Au-delà de la motivation, il s'agit aussi de faire en sorte que nos professionnels soient plus heureux et plus intégrés, et que nous soyons capables de mesurer l’évolution dans un an. Nous avons ici des talents exceptionnels, qui savent faire énormément de choses, qui ont su démontrer leur capacité à se mobiliser dans les moments clés. Dans cette nouvelle étape de transformation, nous devons tous ensemble, en s'appuyant sur ces talents, revenir à l'essence de qui nous sommes, s'appuyer sur nos forces, rouvrir les ailes, et redécoller.

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