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Pancasila ou laïcité ? Quand l’État se mêle de religion

Rémy Madinier islam indonésieRémy Madinier islam indonésie
Écrit par Lucie Pech
Publié le 12 août 2019, mis à jour le 8 novembre 2019

Face à la montée des communautarismes tant en France qu’en Indonésie, il est légitime de se poser la question de la place de la religion dans nos sociétés respectives. La France résiste en brandissant régulièrement l’étendard de la laïcité pour mettre la religion à l’écart surtout depuis les attentats contre Charlie Hebdo. L’Indonésie pour sa part espère à sa manière endiguer l’intégrisme grâce au Pancasila, adopté au moment de l’indépendance. Cette 3e voix entre Etat séculier et Etat islamiste est le fondement même de l’Indonésie, comme nous l’explique Rémy Madinier historien, spécialiste de l’Indonésie.

En quoi consiste le Pancasila ?

Il s’agit d’une philosophie d’État proposée par le président Sukarno en 1945 et qui s’appuie sur 5 principes : la croyance en un Dieu unique, l’unité nationale, la souveraineté du peuple, l’humanisme et la justice sociale. Une manière originale d’intégrer les religions en laissant le choix à chaque Indonésien entre l’islam, le christianisme, le bouddhisme, l’hindouisme ou le confucianisme. Ceci a permis de mettre de côté dès l’indépendance l’idée d’un état islamique. Par contre, l’athéisme n’étant pas reconnu, il n’y a officiellement pas de liberté de conscience en Indonésie.  

Pensez-vous que le Pancasila soit un meilleur rempart que la laïcité contre l’intégrisme ?

Tout d’abord, il existe de nombreuses interprétations de la laïcité. Pour certains, elle doit être anti-religieuse. Elle a été utilisée à l’origine pour mettre à distance l’Eglise catholique qui refusait la République, ce qui a abouti à la séparation de l’Eglise et de l’Etat en 1905.
Ceci est en opposition avec la philosophie du Pancasila pour qui la religion concourt à la démocratie et qui souhaite que l'État ait un fondement religieux. L’origine du Pancasila est très différente dans la mesure où les mouvements et partis religieux, islamiques principalement, ont joué un rôle essentiel dans le combat pour l’indépendance et la naissance de l’Indonésie. Pour cette raison le fondement religieux de l’État a été retenu parmi les principes fondateurs. On pourrait ainsi parler de « laïcité religieuse ». Laïcité au sens où, comme en France, l’État organise la place de la religion dans l’espace public. Religieuse car, pour l’instant six religions sont officiellement reconnues. Malgré son importance démographique l’islam n’a pas reçu de reconnaissance exclusive comme dans de nombreux pays à majorité musulmane. L’exemple indonésien permet de sortir de l’opposition entre État séculier et État religieux. Il démontre que l’idée que l’État organise la religion n’est pas contraire à l’islam. La société indonésienne, sans être islamiste, n’est pas une société sans Dieu ni anti-religieuse. C’est un espace entre une laïcité stricte et un État islamique. 

Peut-on utiliser l’exemple indonésien pour dépassionner le débat sur l’islam en France ?

Oui, car l’exemple indonésien montre que le plus grand pays d’islam a su trouver une solution originale garantissant les droits des minorités lorsqu’elle est pleinement appliquée. Le cas de l’Indonésie permet aussi de contextualiser les conditions de naissance et d’exercice de notre laïcité. La difficulté en France est double : tout d’abord l’existence d’un courant de pensée ultra-laïque, qui considère que la laïcité doit favoriser une « sortie de la religion », ce qui est assez éloigné de l’esprit originel de cette laïcité. Ensuite, la difficulté de la communauté musulmane, très divisée en fonction de l’origine de ses membres rend difficile l’adoption de positions communes et peut favoriser, dans une certaine mesure, une surenchère face à la laïcité de combat que je viens d’évoquer. L’exemple indonésien peut ainsi également inspirer la naissance de cet « Islam de France » que l’on voudrait voir émerger. Un islam attentif au terroir dans lequel il doit s’ancrer avec une mise à distance de ce qui relève de cultures politiques différentes, le wahhabisme pour ne pas le citer. 

Quelle est la solution pour débattre sans stigmatiser ?

J’ai récemment participé à un séminaire qui s’est tenu à l’Ambassade de France et qui rassemblait les Ambassadeurs de France, d’Allemagne et de l’Union Europénne ainsi que des représentants de différents instituts indonésiens (Institut Leimena, Indonesian Conference on Religion and Peace and the Institute for Religion and Gender Studies, President’s Taskforce on Pancasila, MAARIF Institute…) L’idée de cette rencontre était de réfléchir à la manière de mieux faire connaître le Pancasila à l’étranger, dans les pays musulmans en particulier, pour sortir de l’opposition stérile entre laïcité fermée et Etat islamique. Comme la laïcité, la place de l’Islam dans l’Etat peut-être sujette à de multiples interprétations. Accepter de réfléchir calmement à ces enjeux permet de sortir des postures rigides dans lesquelles chacun s’enferme. Cette rencontre s’inscrit dans une série d’initiatives permettant la circulation de modèles culturels alternatifs à l’uniformisation et à la rigidification de l’islam que l’on observe actuellement. Avec l’idée qu’en encourageant l’Indonésie à exporter son pluralisme, on aidera à le renforcer dans le pays.

Lucie pech
Publié le 6 février 2018, mis à jour le 8 novembre 2019

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