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Matthieu Karam : "Être journaliste, c’est transmettre les histoires des autres"

Journaliste et photographe pour L’Orient-Le Jour, Matthieu Karam témoigne de la complexité de vivre et de travailler au Liban, un pays en crise permanente, tout en cherchant à préserver son équilibre. Convaincu que les récits méritent d’être racontés, il a fait le choix de rester dans le pays où il a grandi.

Un père et son fils après une attaque d'Israël sur un quartier de la banlieue sud de BeyrouthUn père et son fils après une attaque d'Israël sur un quartier de la banlieue sud de Beyrouth
Un père porte son fils devant un bâtiment touché par un bombardement israélien, le 17 novembre 2024 dans le quartier de Ras al-Nabaa à Beyrouth. © Matthieu Karam
Écrit par Léa Degay
Publié le 27 novembre 2024, mis à jour le 16 décembre 2024

 

 

C’est à Nice que Matthieu Karam voit le jour en 1990 à la fin de la guerre civile libanaise, mais c’est à Beyrouth qu’il grandit, après un retour familial au Liban lorsqu’il a à peine un an. Étudiant d’abord en sciences politiques à l’Université Saint-Joseph de Beyrouth puis en sécurité internationale à Sciences Po Paris, il ne se dirige pas du tout vers le journalisme à la fin de ses études - il n’y pense pas ni ne l’envisage. “Deux options m’intéressaient : intégrer Saint-Cyr pour m'engager dans l'armée française ou travailler dans des boîtes de conseil dans le privé”, raconte-t-il. 

 

Matthieu Karam sur le terrain
En reportage avec les Casques bleus de la Finul, le 12 juillet 2024 dans la région de Marjeyoun au Liban-Sud. © Lucile Wassermann

 

 

Un retour au Liban à contre-coeur en 2014

Mais la vie en décide autrement : peu d’opportunités en France et une occasion de travailler pour L’Orient-Le Jour en 2014. Alors il revient au Liban, “un peu à contre-cœur”. Il n’a pas envie d’y retourner à l’époque, il s’habitue à la vie parisienne. “J’aime écrire, suivre l’actualité, l’histoire et la politique. A la même époque, j’ai débuté la photographie et travailler en tant que journaliste m’a permis de la développer”. Au fil des années, il gravit les échelons et aujourd’hui, est éditeur, reporter et photographe, “un peu de terrain et un peu de bureau”. 

 

 

“Être journaliste, c’est transmettre les histoires des autres. Si on perd la sensibilité, on perd ce qui fait la force de ce métier” confie le journaliste franco-libanais.

 

Dans un pays où les crises se succèdent, il y a les reportages ou les articles que le journaliste appréhende beaucoup et qui se passent plutôt bien. “Parce que nous n’avons pas souvent le luxe de nous attarder sur une histoire, un drame, un événement”, confie-t-il. 

Certaines histoires laissent des traces indélébiles. Comme cette nuit d’octobre 2024, passée sur la corniche de Beyrouth pour documenter la vie des déplacés qui dorment à la rue. Un reportage qui a tourné au défi sécuritaire. “Ce n'est pas le terrain le plus compliqué que j'ai eu à faire. Mais finalement, il s'est avéré être l'un des plus compliqués et l'un des plus marquants sur le plan de la sécurité. J’ai été retenu pendant une heure par des soldats libanais et des individus vraisemblablement liés au Hezbollah. Il a fallu expliquer ma démarche, rassurer, prouver que j’étais libanais.” 

 

Au Liban, l’inquiétude grandit pour les Libanais et les Français

 

 

Transmettre des histoires malgré le danger de la guerre

A l’inverse, il y a des terrains que le journaliste sait difficiles d’accès, compliqués émotionnellement, physiquement et psychologiquement. “J’ai couvert une des frappes qu’il y a eu à Ras al-Naba’a. Encore aujourd’hui, je suis un peu chamboulé. Personne n'est jamais préparé à voir ce genre de drame : les odeurs de chair brûlée, des secouristes avec des restes humains dans un sachet plastique, les éboulements d’immeubles, les cris” confie le journaliste, “je réalise petit à petit que cette guerre-là resserre son étau, je commence à connaître des gens qui sont tués dans ce conflit et il est difficile de simplement ‘passer à autre chose’.” 

 

 

après une attaque d'Israël sur un quartier de la banlieue sud de Beyrouth
Des habitants devant les décombres d’un immeuble détruit par un bombardement israélien, le 23 novembre 2024 dans le quartier de Basta à Beyrouth. © Matthieu Karam

 

L'explosion du port de Beyrouth, le 04 août 2020 a également marqué les Libanais. Matthieu avoue qie cela reste le pire jour de sa carrière : “Nous sommes beaucoup à avoir cru que ce drame serait le plus grand que nous vivons. Aujourd'hui, il y a cette guerre-là et les gens ont presque oublié l'explosion du port, tellement les catastrophes se succèdent.” 

 

 

Rester ou partir : un dilemme permanent 

Vivre au Liban n’est pas évident : l’adrénaline et l’imprévu rythment le quotidien, où tout semble toujours être une question de vie ou de mort. Si Matthieu a déjà envisagé de quitter le pays pour retourner en France, il a, depuis 2021, écarté l’idée de recommencer sa vie à zéro. “Je suis malheureusement devenu addict à l’adrénaline, aux questions de vie ou de mort. Je vis à 300 à l’heure ici.”

Son entourage, pourtant, ne cesse de s’interroger sur son choix de rester : “Qu’est-ce que tu fais encore au Liban alors que tu as un passeport français ?” Pour lui, la réponse n’est pas simple. Repartir, c’est affronter l’inconnu : chercher un logement, un emploi, reconstruire un quotidien. A l’inverse, rester signifie sacrifier la stabilité. Matthieu a cessé de se projeter, que ce soit sur le plan personnel, professionnel ou amoureux. Le défi le plus complexe, dit-il, est d’apprendre à vivre au jour le jour. 

Toujours est-il que malgré tout, le bruit permanent des drones, les avis d’évacuation, les explosions matin, midi et soir, l’inquiétude de ses proches et la sienne, Matthieu persiste. Il continue de photographier et de témoigner, convaincu que ces récits méritent d’être racontés. Pour Matthieu, il n’est pas question de se distancier totalement, il a besoin de s’impliquer. “Être journaliste, c’est transmettre les histoires des autres. Si je perds la sensibilité, je perds ce qui fait la force de ce métier.”

 

Lucas Lamah, Conseiller des Français de l’étranger : “De passage, quittez le Liban”

 

 

 

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