Lepetitjournal.com/varsovie a disséqué les discours des présidents Joe Biden et Vladimir Poutine - le président américain était en visite à Varsovie, Vladimir Poutine, en direct de l’Assemblée fédérale, le 21 février à Moscou. Chacun d’entre eux a parlé de la guerre en Ukraine, mais avec des mots bien différents… Le président russe, qui s’est exprimé dans la matinée, a truffé d’ « ennemis extérieurs » son discours, martelant que « la Russie a tout fait pour résoudre pacifiquement les problèmes » ; pour le président américain, qui a pris la parole en fin d’après-midi, l’aspect le plus important demeure le soutien à l’Ukraine, tout en lançant un appel au peuple russe : « (...) les États-Unis et les pays européens ne veulent pas détruire la Russie ». Différents également dans leurs formats, voici les principaux points qu’il fallait retenir de ces deux prises de parole.
1 - Discours de Vladimir Poutine : des ennemis partout
Le président russe Vladimir Poutine a pris la parole devant l’Assemblée fédérale à Moscou. Son discours, qui dans sa forme ne différait pas de celle traditionnelle à laquelle il nous a habitués : « ennemis extérieurs et succès intérieurs », a duré près de 2 heures, soit son discours le plus long de ces dernières années. Dans son allocution, le président a abordé les problèmes de la situation mondiale, soulignant à plusieurs reprises trois thèmes forts : les ennemis omniprésents, les succès économiques nationaux et la faible importance des sanctions occidentales.
En outre, M. Poutine a souligné le désir de développer des relations avec « l’Est », c’est-à-dire, la Chine. Dans cet aspect, il a, dans l’esprit de la rhétorique soviétique, parlé du développement de la Sibérie et des chemins de fer sur ce territoire.
L’un des principaux points a également été sa suspension à la participation au traité New Start avec les États-Unis.
Diabolisation de l’Occident : la Russie fait tant d’efforts pour résoudre ce conflit…
Le Président russe a débuté en amplifiant l’hostilité occidentale. Se concentrant sur le contexte de la guerre en Ukraine, le président russe a annoncé à plusieurs reprises, en changeant de phrase, que seul l’Occident est agressif, alors que la Russie elle-même a toujours essayé de trouver une « solution pacifique au conflit ».
Pour lui, « C’est l’Occident, et seulement l’Occident, qui est entièrement responsable de l’escalade du conflit. » Alors que « la Russie a tout fait pour résoudre pacifiquement les problèmes ».
Entre mauvaise foi, manipulation et propagande, c’est en fait, la rhétorique à laquelle tout le monde est dorénavant habitué. Bref, un radicalisme érigé en norme par le maître du Kremlin.
Plus loin, le président russe est revenu sur l’esprit amical de son propre pays
Le désir de paix sonnait ironiquement devant des millions de téléspectateurs. « Nous savons être amis, tenir parole, nous ne laisserons personne tomber et nous aiderons toujours dans une situation difficile. Sans hésitation, nous viendrons en aide à ceux qui sont en difficulté. » Alors que l’Occident a toujours été du côté du mal pour lui.
« Lorsque la Russie cherchait sincèrement une solution pacifique, elle jouait avec des cartes marquées. Cette méthode de tromperie répugnante a déjà été utilisée. Ils ont aussi utilisé la Yougoslavie, la Syrie, l’Irak. Ils ne peuvent pas se laver de cette honte. », a t-il déclaré.
Ces parallèles constants, qui sont tracés non seulement par le président lui-même, mais par toute la structure médiatique de l’État, apparaissent en permanence. Ses principaux arguments reposent sur d’autres conflits, rendant les guerres ordinaires et banales.
Le front économique
Sur le plan économique, en plus d’énumérer les succès, le martèlement par des nombres et les succès sans fin caractéristiques de l’ère soviétique, M. Poutine a également évoqué le « front économique qui s’était ouvert contre la Russie. » Conformément à sa rhétorique, ce front s’est effondré. « L’Occident a également déployé un front économique contre nous, mais il n’a rien obtenu et n’obtiendra rien nulle part. »
Côté du bien vs côté du mal ?
Dans sa propre réinterprétation du monde occidental, M. Poutine enchaîne avec le terme de « néo-nazis ». C’est une réinterprétation qui lui est propre, comme une signature sémantique, qui dessine le cadre de la pensée en Russie. Entre autres, cette rhétorique apparaît constamment dans tout le système de la propagande russe.
« Les marques d’identification de Wehrmacht sont dessinées sur les équipements ukrainiens. Les néo-nazis ne cachent pas de qui ils se considèrent être les héritiers. Il est surprenant qu’en Occident personne au pouvoir ne s’en aperçoive. Pourquoi ? Parce qu’ils s’en fichent. Peu importe, sur qui parier dans le combat contre nous. L’essentiel est de lutter contre nous. Vous pouvez donc utiliser tout le monde, y compris des terroristes… Ils n’ont servi que d’arme contre la Russie. », a argumenté Vladimir Poutine.
L’OTAN et la sécurité militaire et les armes nucléaires
Le président a parlé à plusieurs reprises de l’hostilité de l’OTAN et de ses membres. « Les États-Unis et l’OTAN ont rapidement déployé des bases secrètes et des laboratoires biologiques près des frontières de notre pays, et au cours de manœuvres, ils ont maîtrisé le théâtre des futures opérations militaires. »
De plus, au point de la sécurité militaire, M. Poutine, comme d’habitude, a attiré l’attention sur l’arsenal d’armes nucléaires. Cette fois, il tourna son attention vers la France et la Grande-Bretagne.
Auparavant, ses discours sur les armes nucléaires concernaient principalement les États-Unis, mais cette fois-ci, il a annoncé publiquement l’hostilité des pays du continent européen.
« Nous pensons qu’une telle formulation de la question est attendue depuis longtemps. Permettez-moi de vous rappeler que non seulement la puissance nucléaire américaine est membre de l’OTAN, mais que la Grande-Bretagne et la France disposent également d’arsenaux nucléaires. Ils les améliorent, les développent et les ciblent contre nous, ils les ciblent contre la Russie. », a dénoncé le chef du Kremlin.
Le point culminant de son allocution était l’annonce que la Russie suspendrait sa participation à l'accord New Start avec les États-Unis, qui ouvre la porte aux essais, au développement et à l’utilisation d’armes nucléaires. Bien que M. Poutine ait remarqué que la Russie ne testerait ces types d’armes que si les États-Unis le feraient, personne ne peut prédire quand la propagande russe annoncera des essais nucléaires d’outre-Atlantique.
Poutine comme système de propagande russe : « nous savons »
La menace omniprésente d’une possible invasion des territoires russes au sens large, sans cesse imposée au peuple, est devenue l’un des piliers de sa politique : l’invasion de l’Ukraine selon le Chef du Kremlin était préventive !
Pour l’élite, c’est une source de revenus. Le peuple, nourri de propagande, accepte difficilement chaque changement intervenant sur la scène politique. Le discours de M. Poutine l’a confirmé.
Par conséquent, bien que l’allocution du chef du Kremlin ne contienne aucun détail sur les perspectives et l’avenir - y compris la narration soviétique très ennuyeuse sur les succès intérieurs, l’hostilité extérieure et la confrontation éternelle, pour les Russes, ces discours sont une sorte de série télévisée à épisodes.
Très souvent, Poutine a utilisé les expressions « nous savons » ou « nous avons des données », mais personne ne peut dire d’où nous savons et d’où nous avons ces données. Personne même ne peut dire qui est « nous ».
La répétition permanente de la rhétorique sur les ennemis extérieurs, l’agression de l’Occident et la paix de la Russie, qui résonnait dans chaque point de son discours, s’inscrit entièrement dans sa politique.
Rappelons que le président s’est adressé non seulement aux députés de l’Assemblée fédérale, mais aussi au peuple russe. Néanmoins, il est très difficile de connaître la véritable opinion des Russes. D'un côté, cela s’explique par le fait que la majorité de la population est assez amorphe et ne s’exprime pas ouvertement sur des sujets politiques. Quelle que soit l'opinion des gens - pro-Kremlin ou anti-Poutine, la majorité préfère garder le silence. On appelle cette absence de position l’Homos sovieticus [ l’Homme soviétique, NDLR ] : ils échangent dans leurs cuisines, mais ne peuvent pas partager ces pensées ouvertement.
D’autre part, il n’y a pas de service de statistiques en Russie, donc il est impossible de sonder officiellement l’opinion des Russes.
2 - Discours de Joe Biden : soutien indéfectible à l’Ukraine et OTAN
Le discours du président américain Joe Biden a eu lieu le même jour, le 20 février, quelques heures après celui du président russe. Le président des États-Unis a prononcé un discours lors de sa visite à Varsovie, après un voyage surprise en Ukraine. Il s’est adressé à l’Ukraine avec des mots de soutien, a remercié la Pologne pour l’énorme aide qu’elle a fournie à l’Ukraine pendant la guerre qui a débuté il y a un an. Joe Biden s’est également adressé à son homologue russe, comme nous le verrons plus tard..
Dans le discours de M. Biden, tout d’abord, il y avait un soutien au peuple ukrainien. L’élément clé étant l’accent mis sur les valeurs démocratiques et leur protection.
Dans le contexte actuel, de tels mots de soutien à l’Ukraine étaient nécessaires.
M. Biden a souligné que les États-Unis et l’OTAN continueraient à défendre la démocratie :
« Nous continuerons à protéger l’Ukraine ».
Un discours personnel adressé à Poutine de Varsovie, au milieu des points attendus
Des aspects cruciaux (et attendus) sont apparus au fil du discours dans le contexte de l’anniversaire du début d’une guerre en Ukraine.
C’est à ce stade que nous pouvons affirmer que M. Biden s’est adressé personnellement à Poutine - chose qui n’avait pas été exclue par la Maison-Blanche, la veille du discours. Il a été dit que cette allocution serait une réponse à celle de Poutine.
L’un des aspects de l’appel personnel du président des États-Unis au président de la Russie visait à souligner l’erreur commise par Poutine en attaquant l’Ukraine. Dans ce contexte, il a remarqué que malgré le fait que l’OTAN et tout l’Occident pouvaient être en désaccord avant la guerre, dès lors, cette guerre a réuni toute une alliance pour défendre les valeurs démocratiques communes que vit l’Occident. « Après une année de cette guerre, Poutine ne doute plus de la force de notre coalition. »
En outre, le président américain, dans ses mots adressés à M. Poutine, a clairement indiqué que les ambitions impériales de s’emparer d’un État voisin sont futiles.
« Le peuple ukrainien gagnera et nous, comme avant, veillerons sur la démocratie. L’Ukraine ne sera jamais victime de la Russie, et un dictateur qui cherche à reconstruire un empire ne réussira jamais et n’échouera jamais à affaiblir l’amour du peuple pour la liberté. » , a affirmé Joe Biden.
Cependant, le principal message adressé au président russe est apparu plus tôt, le 20 février, lorsque Joe Biden est arrivé à Kiev. Lors d’une visite inattendue dans la capitale ukrainienne, le président des États-Unis a clairement indiqué que le soutien, tant militaire que mental, se poursuivrait - au moins jusqu’à ce que la Russie recule et rende les territoires annexés à l’Ukraine.
Poutine et les autres dictateurs…
Au-delà de Vladimir Poutine, son message peut également être interprété comme un discours aux autres dictateurs.
« Les autocrates ne comprennent qu’un seul mot : « non, non, non » : Non, vous ne prendrez pas mon pays. Non, vous ne prendrez pas ma liberté. Non, tu ne prendras pas mon avenir. », a rappelé le Président américain.
Le président Biden a également précisé, en faisant des allusions dans le contexte de systèmes autoritaires, que les démocraties chérissent et protégeraient leurs valeurs. « Lorsque la Russie a envahi, le monde entier a été mis à l’épreuve. Toute démocratie est menacée. Nous avons dû répondre à des questions simples : serons-nous capables de maintenir notre force ou ferons-nous preuve de faiblesse ? Dans un an, nous connaîtrons la réponse : nous avons prouvé que nous étions forts et nous continuerons à nous battre pour la souveraineté et le droit des peuples à résister à l’agression. »
Dans le même temps, il a souligné que les États-Unis et l’OTAN défendront la démocratie « aujourd’hui, demain et toujours ».
Une attention spéciale pour le peuple russe
Fait notable : le président américain s’est également adressé au peuple russe. Par rapport au discours de M. Poutine, qui a traité le monde occidental comme des ennemis quelques heures plus tôt, Biden a établi un parallèle clair entre l’État et le peuple. Il a souligné que la Russie n’était pas un ennemi de l’OTAN et des États-Unis :
« Je veux lancer un appel au peuple russe : les États-Unis et les pays européens ne veulent pas détruire la Russie. Nous n’avons pas l’intention d’attaquer la Russie. »
C’est l’un des points clés et la principale différence entre les deux prises de parole.
Une différence de taille : l’État russe matraque le peuple avec l’existence d’un ennemi extérieur, en utilisant toutes sortes de méthodes.
Dans le système occidental, au contraire, le rationalisme domine, dont le but n’est pas de créer un ennemi, mais de chercher des compromis et de mener une diplomatie cohérente et polie.
Nous attendons la réponse de Vladimir Poutine qui ne devrait pas tarder…
Traduction du discours de Vladimir Poutine, du russe vers le français : Dmitriy Veselov