Édition internationale
Radio les français dans le monde
--:--
--:--

Interview - Jean Rossi : « la Pologne c'est un pays à long terme »

Jean Rossi, avocat français inscrit au barreau de Paris et admis au barreau de Varsovie, vit en Pologne depuis 1994. Il est partenaire chez PWC Legal depuis 2015 et l’un des principaux avocats spécialisés en droit immobilier en Pologne, selon les classements Chambers Europe et Legal 500, mais aussi Conseiller des Français de l’étranger en Pologne depuis 2014. Lepetitjournal.com Varsovie revient avec lui sur son parcours professionnel, son rôle au sein du conseil consulaire, sa relation avec la Pologne, sans oublier ses origines au cœur des montagnes corses et l’Hymne national polonais, seul au monde à faire une référence à Napoléon. "Idziemy", en polonais, "Andemu", en corse !

Jean RossiJean Rossi
Écrit par Margot Calisti
Publié le 25 février 2024, mis à jour le 4 octobre 2024

Lepetitjournal.com Varsovie : Mr. Rossi, pourriez-vous revenir sur votre parcours professionnel pour nos lecteurs ?

Jean Rossi : Je suis avocat et j'ai toujours voulu travailler à l'international. Après avoir terminé mon service militaire, j’ai rejoint le cabinet Gide Loyrette Nouel ; à l'époque, les pays de l’Est se sont ouverts, j’ai donc passé 6 mois en République Tchèque pour assister à la première privatisation réalisée par le bureau de Prague.

En 1993, j’ai effectué une première mission en Pologne, puis m’y suis installé au début de l’année 1994, ça fait donc presque 30 ans que je vis dans ce pays. Bien que j’aie changé de cabinet, je travaille toujours dans le même domaine, à savoir principalement, le droit immobilier, où j’assiste des investisseurs étrangers ou polonais dans leurs acquisitions- ventes ou développements en Pologne.

Nous assistons les investisseurs lors de l’acquisition de bâtiments résidentiels, de centres commerciaux, de centres de logistique – dans la mesure où nous vérifions la situation juridique des terrains, préparons les contrats d'acquisition, la documentation de financement et/ou de refinancement, de surcroît, nous assistons les clients lors de l’obtention des permis de construire, et décisions de développement.

La situation immobilière est très particulière en Pologne, puisque c’est une terre chargée d’Histoire. Les registres fonciers - du fait notamment des partitions du pays, contiennent parfois des documents russes, et cetera.

Cela génère des risques : il y a énormément de recours d'anciens propriétaires pour lesquels la situation n'a pas été réglée. C'est un travail extrêmement minutieux que nous devons réaliser. C'est très spécifique à la Pologne et cela induit la nécessité d'avoir des juristes spécialisés en la matière pour pouvoir vérifier la situation juridique des actifs et l’absence de réclamation ou de contestation.

 

Comment était la Pologne à votre arrivée ? Qu'est-ce qui a le plus changé pour vous dans le pays depuis ?

À l'époque, la situation était très différente dans la mesure où par exemple, il n’y avait pas de grands magasins proposant différentes variétés de produits, les hypermarchés ne sont arrivés que dans les années 1995 ou 1996. Les conditions de vie étaient également plus compliquées, l’eau n’était pas toujours potable, les routes en mauvais état et donc cette différence permettait de se rendre compte, à l'époque, du confort dans lequel nous vivions en France, puisqu'en Pologne, toutes ces transformations étaient à l’état embryonnaire.

Malgré ces conditions un peu difficiles, il y avait déjà un dynamisme très fort, une volonté de se développer. Le pays venait juste de sortir d'une longue période de communisme, il y avait une énergie qui était formidable et qui continue à être formidable, mais qui était à l'époque encore plus impressionnante.

Le pays s'est depuis fortement rapproché des standards européens, en termes de qualité des routes, des bâtiments, des infrastructures. Il y a maintenant beaucoup d'autoroutes, de connexions, les trains notamment, certains rapides.

D'un point de vue professionnel, je trouve que la Pologne est devenue un pays européen comme un autre, a acquis une maturité qui a estompé les différences, à savoir les situations exceptionnelles comme cela pouvait être au tout début. Maintenant, les choses se passent comme en France ou ailleurs, on travaille comme nos collègues partout en Europe.

 

Est-ce qu'il y a un conseil que vous auriez voulu recevoir quand vous vous êtes installé en Pologne ou quelque chose que vous auriez aimé savoir avant d'emménager ?

Non, car j'ai découvert le pays par moi-même, où je n'ai aucune racine, aucun élément commun avec la Pologne, mais j'ai pu vivre le pays totalement.

J'ai vécu avec l'évolution de la Pologne et j'ai appris à comprendre ses différences, notamment l'importance de l'Histoire pour les Polonais, toute une série de choses qui semblent moins centrales en France et qui sont très importantes ici.

 

Est-ce qu'il y a un conseil que vous donneriez maintenant à ceux qui s’installent en Pologne ?

D’abord un conseil relevant de la sphère privée ; il existe une période un peu difficile au mois de novembre : il y a le changement d'heure, le jour se couche tôt, mais après, il y a Noël et d’autres choses exceptionnelles comme l'arrivée du printemps qui est merveilleuse en Pologne.

Et puis dans le cadre professionnel, la Pologne, c'est un pays à long terme : il ne faut pas imaginer - parce que le pays est en constante croissance, l'économie est performante, qu’il est possible de vendre n'importe quoi avec des marges importantes. Il faut prendre le temps : si vous investissez à long terme, les résultats seront là.

 

Qu'est-ce qui vous a donné envie de rester définitivement en Pologne puisque cela fait 30 ans que vous y résidez maintenant ?

Alors d'une part, je suis marié à une Polonaise et d'autre part, après une si longue période, vous avez vos clients, votre compétence ici, donc j’ai plus d'intérêt, économiquement, à rester en Pologne, qu’à revenir en France.

Je crois aussi qu’il y a de moins en moins d'expatriés comme on l’entendait par le passé, qui viennent pour 3 ou 4 ans, seulement.

 

Qu'est-ce qui fait, selon vous, de la Pologne un pays aujourd'hui attractif pour les Français ?

Il y a plusieurs facteurs. L'économie est évidemment toujours extrêmement performante, et se corrèle avec un besoin de développement important, notamment dans le cadre de projets d’infrastructure financés par l'Europe.

De surcroît, l'économie polonaise est un grand marché intérieur qui a permis de résister à la crise de 2008, en raison d’une forte consommation.

Enfin, la Pologne a accueilli favorablement tous les investisseurs étrangers. Il y a de la place pour véritablement toutes les compétences en Pologne.

Si vous ajoutez ces caractéristiques économiques au dynamisme du marché intérieur, et à l'ouverture du pays aux investisseurs étrangers, je pense que vous obtenez les ingrédients du succès de la Pologne.

 

Vous êtes élu depuis 2014, puis de nouveau en 2021 Conseiller des Français de l’étranger, en quoi cela consiste, quelles sont vos missions ?

Notre rôle consiste à être à l’écoute, soutenir et représenter les Français de l’étranger auprès des ambassades et consulats de France à l’étranger. Nous siégeons au « conseil consulaire », émettons des avis sur les questions relatives aux Français de l’étranger, et sommes consultés pour toutes questions relatives à l’emploi, la santé, l’apprentissage, l’enseignement ou encore la sécurité des Français installés hors de France.

Nous nous prononçons enfin sur les bourses demandées par les Français pour étudier dans les lycées français à l’étranger, ainsi que sur les subventions accordées aux associations ayant un lien avec la France ou la langue française.

Nous assurons essentiellement le lien entre les Français de Pologne et les autorités françaises en Pologne. De plus, nous pouvons saisir les autorités françaises de tout problème particulier, rencontré par un de nos compatriotes, ou de tout problème pénalisant globalement les Français de l’étranger.

 

Parlons de vos racines corses : vous êtes originaire du Niolo, en Corse, à votre avis, y-a t-il des ressemblances entre le peuple polonais et les Corses ?

Les Corses sont comme les Polonais dans leur volonté d’autonomie, ils se sont toujours battus pour leur indépendance, pour exister. La Pologne a disparu longtemps de la carte à cause des partages, ainsi chaque Polonais sait qu’il ne doit compter que sur lui-même, car l’Etat n’a pas toujours été très présent.

Il y a un côté polonais qui est assez entrepreneur, indépendant : « Je vais gérer ma vie moi-même, je vais me débrouiller » je pense que les Corses sont un peu pareils, avec la situation locale qui fait qu’ils sont loin de tout, ils veulent absolument prendre les choses en main et se débrouiller tout seul.

Il y a quelques années, 4 ou 5 ans, j’ai vu un investisseur corse, possédant plusieurs hôtels en France, qui avait choisi de venir prospecter en Pologne pour trouver des opportunités. Il a eu un certain nombre de possibilités d'investissement et puis avec l'arrivée de la COVID-19, le projet a été stoppé, néanmoins, la Pologne intéressait assez fortement les investisseurs corses.

La Pologne est un pays du Nord alors qu’en Corse, on retrouve plutôt une culture de pays du Sud, mais cette volonté d'indépendance me semble, dans les deux cas, quelque chose de relativement commun.

 

Est-ce qu’il y a des communautés corses en Pologne ?

Non, je ne crois pas... J'ai quelques amis corses, certains étaient expatriés, d'autres sont déjà rentrés. J'avais parlé, à l'époque, avec Gilles Simeoni [N.D.LR : Gilles Simeoni, membre du parti autonomiste Femu a Corsica, est l’ancien maire de Bastia et actuel président du Conseil exécutif de Corse] de la diaspora dans le monde entier et de mémoire, en Pologne, il n’y a pas véritablement de diaspora corse. Cela fait du bien en tout cas de penser à la Corse quand on a des journées d’hiver comme en ce moment, où il fait relativement mauvais, et sombre rapidement (Rires).

 

La Pologne est le seul pays du monde à parler de Napoléon dans son hymne national, il y a-t-il à votre connaissance des liens plus récents ?

C'est vrai que ça a été important, car Napoléon a vécu ici avec Madame Maria Walewska, il a dirigé l'Europe depuis la Pologne. Napoléon a été important pour le Duché de Varsovie.

Autre chose : il est souvent expliqué que la constitution polonaise était l’une des premières. En fait la constitution corse, de Paoli, est légèrement antérieure, elle est mentionnée dans « Du contrat social » de Jean-Jacques Rousseau : ils ont revendiqué très tôt les concepts de la démocratie et étaient très en avance sur leur temps.

Personnellement, j'essaye de vanter l'intérêt de la Corse, de promouvoir l'Île de Beauté et notre façon de vivre dans le Niolo, très différente d’ici.

 

Pensez aussi à découvrir nos autres éditions