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Réfugiés : comment le "Bon Maharaja" sauva un millier de petits Polonais en 1942

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Groupe d'orphelins Polonais en Inde dans l'un des camps créé pour eux par le Maharaja Jam Saheb Digvijaysinhji Ranjitsinhji, souverain de Nawanagar
Écrit par Lepetitjournal.com Varsovie
Publié le 4 avril 2022, mis à jour le 23 septembre 2024

Les Polonais tendent aujourd’hui la main vers les réfugiés en provenance d’Ukraine. Hier, c’est vers les Polonais meurtris par l’horreur de la Seconde Guerre mondiale que des mains se sont tendues. Une en particulier a marqué durablement les mémoires : celle du « Bon Maharaja » !

Saviez-vous que l'Inde a une place bien particulière dans la mémoire collective polonaise qui trouve encore un échos aujourd'hui avec l'arrivée fin février, de 80 réfugiés Indiens en provenance d'Ukraine ? En 1942 après l'amnistie des polonais déportés en Union soviétique, l'Inde a été l’un des pays où ils ont trouvé refuge. Lepetitjournal.com/Varsovie vous propose de découvrir l'histoire du « Bon Maharaja » qui a non seulement accueilli mais aussi adopté de nombreux enfants polonais.

 

 

Les orphelins polonais et le « Bon Maharaja » qui estimait la Pologne

Avant la Seconde Guerre mondiale, les Russes avaient envoyé des milliers de Polonais travailler dans les régions reculées du nord-est et de la Sibérie. Des milliers d’enfants polonais abandonnés étaient dans des orphelinats soviétiques sordides, les condamnant à une vie sans avenir. Lorsque le 24 décembre 1941 Staline donne la permission aux enfants polonais orphelins de quitter l’URSS, un maharaja au grand cœur va venir au secours d'un millier d’entre eux, de manière inattendue.

 

Maharaja Jam Saheb Digvijaysinhji Ranjitsinhji, le souverain de Nawanagar, un État princier de l’Inde britannique, s’est immédiatement porté volontaire pour fournir un foyer à un millier d’enfants. En tant que délégué hindou au cabinet de guerre de la Grande-Bretagne, le Maharaja était bien conscient de la situation internationale à l’époque, et sa nature généreuse l’a incité à présenter immédiatement son offre. Les enfants ont été conduits en Inde par des membres de l’armée d’Anders (une force armée polonaise formée en Union soviétique après l’amnistie), la Croix-Rouge, le consulat polonais à Bombay et des responsables britanniques.

Le Maharaja avait entendu parler de la Pologne dans les années 20, alors qu’il vivait avec son oncle en Suisse, un voisin cultivé – et non des moindres, avec qui il conversait souvent : Ignacy Paderewski (pianiste, compositeur, militant indépendantiste, homme d’État et homme politique polonais) lui avait donné une excellente image du pays.

 

Un avenir enfin radieux !

Les enfants se sont levés le matin, ont mis un short et un t-shirt et sont sortis de la maison. Pas de chaussettes ni de chaussures ? La réponse est non. Avec cette chaleur, la seule occasion pour laquelle ils seraient obligés d'en porter serait la fête de Pâques !

De toute façon, les garçons avaient déjà utilisé toutes leurs chaussettes pour la fabrication d'un ballon. Imaginez-les donc, sortant dans la cour, pieds nus, pour la levée du drapeau polonais, puis allant à l'école du camp. À la récréation, ils jouaient au foot ou se balançaient sur des lianes, certains préféraient nourrir leurs perroquets ou nager dans la mer. 

Ces jours heureux se déroulaient au camp Balachadi dans le Gujarat, un État fédéré situé dans l'ouest de l'Inde - une petite Pologne en paix entre 1942 et 1946.

Pendant la Seconde Guerre mondiale, environ 1000 enfants polonais qui venaient des camps de prisonniers soviétiques de la Sibérie et du Kazakhstan ont parcouru la route jusqu’en Inde.  À un moment où le monde était en guerre et où l'Inde luttait pour sa propre indépendance, le Maharaja Jam Saheb a pris des risques personnels pour accueillir ces petits réfugiés. Il a construit un camp uniquement pour eux dans un lieu appelé Balachadi à côté de son palais d'été, à 25 km de sa capitale Jamnagar, leur permettant ainsi « de se sentir chez eux ». Les enfants ont joui d'une vie structurée et rassurante dans une communauté pacifique : ils ont joué, fait la grève des épinards, sont allés à l'école, ont vu se lever le drapeau polonais tous les matins et ont finalement vécu des aventures incroyables.

 

Est-ce que le sabotage des épinards a marché ?

Drôle de question, me direz-vous. La réponse : oui !

Madame Jadwiga Tomaszek, a été l’un de ces enfants polonais ayant vécu en Inde et raconte dans le documentaire La petite Pologne en Inde  que le Maharaja (ou Bapu comme elle l'appelle encore aujourd'hui) a ordonné que les cuisiniers arrêtent de donner des épinards aux enfants dès qu'il a compris qu'ils n'aimaient pas ça.

 

Bapu (beau-père) les adopte tous afin qu’ils ne soient pas expulsés

Jam Saheb Digvijaysinhji Ranjitsinhji Jadeja de Nawanagar ou le Maharadja a aussi légalement adopté tous ces enfants afin d’empêcher leur expulsion.

Son rôle n'était pas seulement celui de financer les dépenses du camp, il avait aussi un rôle symbolique pour les enfants dont certains étaient orphelins, d'autres n'avaient aucune information sur le reste de leur famille, ne sachant, ni si leurs parents étaient en vie, ni où ils se trouvaient. Il visitait régulièrement le camp pour participer aux fêtes, aux matchs de football contre des équipes de jeunes indiens où il s'avérait être un grand supporteur des petits Polonais.

Les "anciens" enfants polonais encore vivants gardent de vifs souvenirs du Maharaja qui se levait de son fauteuil, souriait et applaudissait quand ils gagnaient. Il les a même invité dans son palais, et les a laissé jouer avec ses propres enfants. Ses paroles célèbres montrent l'esprit de compassion et la responsabilité qu'il a ressenti envers eux :

"Ne vous considérez pas comme des orphelins. Vous êtes maintenant Nawnagaris et je suis Bapu (beau-père), père de tous les gens de Nawanagar, donc aussi le vôtre ". 

 

L’image a été prise en 1943, par le caméraman des rois pendant Noël cette année-là, L’image a été prise à Jamnagar
Le Maharaja Jam Sahib célèbre Noël en 1943, à Jamnagar avec les enfants polonais qu’il a sauvés des camps soviétiques.

 

 

Un sauvetage permis grâce à un effort international commun

Il est à rappeler également l'effort commun international qui a rendu possible le transport de ces enfants réfugiés en Inde. La coopération fructueuse entre les autorités locales indiennes, la Croix-Rouge, le commandement du Deuxième corps polonais, le Consulat Général de Pologne à Bombay et l'armée britannique, étaient des alliés proches pour  les Polonais, pendant la guerre. Chacun d'entre eux a contribué à la création de la "petite Pologne en Inde". D'autres nouveaux réfugiés polonais sont arrivés en Inde par la mer, au port d'Ahvaz à Bombay, car en plus du camp spécial de Balachadi plusieurs autres camps se trouvaient dans et autour de Bombay, avec le plus grand, qui accueillait des familles polonaises, à Valivad près Kohlapur dans le Maharashtra. 

 

Aujourd’hui, 80 ans plus tard, la Pologne accueille des étudiants indiens, réfugiés en provenance d’Ukraine

 

"Le Maharaja de Jamnagar au Gujarat a contribué à sauver 1000 enfants polonais pendant la Seconde Guerre mondiale en leur donnant un abri. Aujourd'hui, 80 ans plus tard, la Pologne donne un abri aux étudiants indiens d'Ukraine qui sont livrés à eux-mêmes. C'est la vie. C'est une vidéo d'un refuge polonais," a écrit le journaliste indien Aditya Raj Kaul, le 28 février dernier, sur son compte Twitter en adressant ses remerciements à Adam Burakowski, l'ambassadeur polonais en Inde.

 

 

 

Cet exemple d'humanisme au-delà des frontières et à travers les continents a été commémoré de nombreuses façons en Pologne 

- Par la remise au Maharaja à titre posthume de la Croix de commandeur de l’ordre du Mérite de la République de Pologne, le 23 décembre 2011.

  • L'inauguration de la Place du Bon Maharaja (Skwer Dobrego Maharadzy) à Varsovie en 2012.
  • Le lycée réputé "Bednarska" de Varsovie porte le nom officiel de « Zespół Społecznych Szkół Ogólnokształcacych „Bednarska” im. Maharadzy Jam Saheba Digvijay Sinhji »
  • En 2016, le Sejm polonais a adopté à l'unanimité une motion visant à commémorer le maharaja. "Le Sejm de la République de Pologne, rappelant la figure de Jama Saheb Shri Digvijaysinhji Ranjitsinhji Jadeja, Maharaja de la Principauté de Navanagar, à l'occasion du 50e anniversaire de sa mort, honore sa mémoire et lui rend hommage pour ses immenses mérites et le grand désintéressement dont il a fait preuve en sauvant de la faim et de la souffrance plus d'un millier d'enfants polonais". - a proclamé le texte de la résolution.

 

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