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"Ma quarantaine banalement épique de maman d’adolescents, séparée et très seule"

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L’invasion de l’Ukraine par la Russie a totalement relégué au second plan la pandémie de Covid-19. Dommage qu'il faille soigner le mal par le mal ! Pourtant le virus est toujours là, ressurgissant insidieusement dans nos vies au moment où l’on s’y attend le moins.

Ania* partage avec nous ses réflexions sur sa quarantaine banalement épique. Maman d’adolescents, mariée sur le papier mais seule dans les faits, elle a dû faire face, en février à un véritable parcours du combattant logistique, ubuesque et drôlement ordinaire. 

Propos recueillis par Bénédicte Mezeix

*Ania : Le prénom a été modifié.

 

Le petit mal de gorge de rien du tout 

Avez-vous vu le film 8 rue de l'humanité ? J'aime la façon grotesque dont l’acteur réalisateur, Dany Boon, présente nos peurs face à la première étape de la pandémie - parfois absurdes, parfois justifiées, mais surtout, générées par l’anxiété et un sentiment incontrôlable de perte au sens large (ma vie d’avant, mes petites habitudes sécurisantes, les contacts humains, les contacts physiques). Je ne pensais pas que j'aurais à faire face à une réalité aussi absurde que celle du film. Tout a commencé par un mal de gorge innocent... 

 

 

 

 

Alors que je grelottais de plus en plus, comme enveloppée dans un carcan de glace, j'ai décidé de faire un test covid à domicile, qui s'est avéré négatif ! J'ai poussé un soupir de soulagement et j'ai continué à me soigner, pensant que c’était juste un rhume. On exagère tout en ce moment à cause de cette satanée pandémie ! Mais le rhume s’éternisait… voire empirait ! Mentalement j’ai commencé à faire la liste des personnes avec qui j’avais été en contact, où avais-je été ? Qui est le « criminel » qui avait osé me lancer ses miasmes ? Mes collègues ? Par écran interposé, je les voyais bien me regarder en dessous avec culpabilité ! La paranoïa fait-elle partie des symptômes du coronavirus ? Lorsque j’ai voulu réchauffer mon café dans la machine à laver, je me suis dit qu’il était temps de refaire un nouveau un test afin de sortir de ce brouillard qui me faisait perdre ma lucidité. Je me suis donc à nouveau re autotestée : résultat positif. Positif, quelle ironie, quand on y pense !

 

Positif ! Mais pour qui ? 

Pour que vous compreniez bien, je suis maman de deux adolescents de 13 ans et 15 ans, séparée de mon mari qui prend une pose, pour faire le point sur sa vie. Pour résumer, j’ai les enfants 24h/24 à ma charge, sans parler de leurs cours en ligne, de mon travail en distanciel, de l’organisation de la maison et de nos vies.

Ce test positif déclenche soudain une avalanche de questions, doutes. Je stresse ! Que dois-je faire ? Qui va s’occuper des enfants ? Et moi, qui va s’occuper de MOI ? Ne comptez jamais sur l’empathie ou la compréhension des adolescents !

Ma fille de 13 ans a accueilli la nouvelle en pleurant très fort et s'est enfermée dans sa chambre, vlang ! Ne vous méprenez pas sur ses larmes. « To nie fair ! C’est pas juste ! Quiiii va m’amener à la danse ? Et l’anniversaire de Gosia, je fais quoi, moi ? ». Que lui dire ? Je comprends tellement son besoin de vie sociale… Au bout de quelques heures, elle est revenue radoucie me voir et m'a expliqué que je n'étais pas en cause, mais qu'elle était en colère à cause de la Covid-19, car elle avait des projets avec ses amis.

Quant à mon fils, je ne l’ai pas impressionné du tout, avec mon test positif, il en a juste profité pour m’informer que les parents de sa petite amie étaient également positifs au coronavirus depuis quelques jours alors que la fameuse petite amie venait nous rendre visite régulièrement - j'ai encaissé le plus calmement du monde ces deux informations. Pas de crise de son côté, car sa vie d’ado s’articulant autour de l’ordinateur, du lit, de la cuisine, de son portable et de brèves sorties - ne serait pas modifiée.

Concernant mon mari, avec qui je ne vis plus - même si  nous nous voyons régulièrement en thérapie, pour travailler sur son besoin de solitude, et bien, lui, il s’est isolé complètement de nous afin de ne pas risquer d'être contaminé ! Il nous ravitaillait en achats de première nécessité en déposant les sacs devant la porte et nous a soutenus par téléphone, dobre i to, comme on dit en Pologne ! C’est mieux que rien !

Bouclée dans ma chambre... mais pas trop : la vaisselle ne va pas se faire toute seule  !

Les enfants allaient finalement bien, moralement et physiquement, mais avec la perspective des vacances d’hiver, ils ont décidé de m'enfermer dans ma chambre, afin que je ne gâche pas leur pause prochaine. Une situation cocasse s’est installée : ils m’apportaient des boissons, en entrant masqués, me faisaient des câlins comme on flatte un animal, lorsque j’étais couchée sur mon lit.  Tout cela, vu de l’extérieur, était hilarant, étant donné que nous avons un petit appartement où il n'est pas facile d'isoler quelqu'un du reste de la famille. Mais vu de l’intérieur, c’était parfois difficile...

 

La seule âme complètement amicale était mon chat, qui m'a courageusement tenu compagnie en éternuant de temps en temps par solidarité (c’est incroyable combien de fois un chat peut éternuer d'affilée – je vous livre telle quelle l’une de mes pensées hautement philosophique du moment).

Je vous mentirai si je vous disais que mon moral était au top ! Loin de là… J'ai eu des moments de solitude immenses et de ressentiment accablants. Se sentir si seule à quelques mètres de mes enfants a entrainé mes pensées vers tous ces gens qui étaient vraiment malades, dans les hôpitaux.

En plus, j'étais stressée car je devais travailler en ligne pour assurer toutes mes tâches professionnelles et mon seul rêve était de dormir. En étant à la tête de votre propre société, vous pouvez oublier les charmes de la convalescence, bien au chaud dans votre lit devant Netflix.

Et puis j’ai été assaillie par des pensées étranges comme : « ma brosse à dents peut-elle se tenir à côté des brosses à dents des enfants ? » Je l'ai rangée immédiatement dans le placard. J'ai ensuite pensé aux serviettes et j'ai décidé de laver les miennes après chaque utilisation. J'ai bien emballé toutes mes lingettes usagées dans des sacs en plastique. 

En même temps, tout cela me paraissait absurde, car il fallait cuisiner pour les enfants et moi-même, laver la vaisselle, le sol, faire les travaux ménagers habituels. Lorsque je nettoyais la cuisine, j’étais tiraillée entre la culpabilité que je puisse contaminer tout le monde et le besoin de continuer à faire tourner la maison. Car si je ne le faisais pas, qui d’autre s’en chargerait ? Tomber malade avec deux enfants n'est pas un moment pour soi, surtout si l'on est une famille monoparentale.

 

Publicité polonaise de 2016 : "Les mères ne prennent pas de congés ! "

 

Mais pourquoi me suis-je brossée les dents ?

Au bout de deux jours, j'ai enfin pu faire un test antigénique, qui s’effectue par le nasopharynx.

En montant dans ma voiture j’ai remarqué que le réservoir de carburant était vide. J’ai appelé mon mari pour lui demander conseil : « Puis-je aller faire le plein alors que je suis en quarantaine ? » Comme il a les clefs de ma voiture, j’espérais qu’il me proposerait de s’en charger pour moi. Mais ayant signalé à son travail que sa femme avait été testée positive à la covid-19, il était donc lui aussi, à l’isolement, tranquillement chez lui ! Quel sens du sacrifice !

Le centre de dépistage était loin de chez moi, quelque part perdu dans une banlieue inconnue. Enfin arrivée, j'ai lu les informations affichées, par ennui. C'est là que j'ai découvert que je ne devais pas manger, boire ou me brosser les dents pendant au moins 2 heures avant de me faire tester. Dommage, je m'étais justement brossée les dents avant de venir. Nouvelle bouffée de stress !

 

L'humanité ? Parlons-en !  

Le lendemain, pendant que j'attendais impatiemment le résultat, je recevais des SMS et des appels me rappelant les règles de la quarantaine et l'obligation de télécharger l'application. C'était complètement absurde : j’étais tellement fatiguée que je n’avais absolument pas la force d’avoir une quelconque vie sociale. Je me suis demandée combien de personnes étaient mobilisées pour faire fonctionner ces services ? 

 

Ultime rebondissement : mon test est négatif ! Cependant, je n'ai pas été rassurée pour autant. Je me sentais toujours aussi mal, et en plus, je m’étais brossée les dents avant l'examen, ce qui a bien fait rire mon amie. C'est peut-être pour ça qu'elle aussi était « négative ».

Les enfants, eux, ont poussé un soupir de soulagement, leur monde a commencé à revenir à la normale. Ils m'ont montré encore plus d'affection et d'intérêt, maintenant qu'ils me sentaient « en sécurité ».

Mais à la fin de la semaine, il s'est avéré que mon mari, qui nous évitait si soigneusement, est tombé malade, et je vous le donne dans le mille : de la Covid-19 ! 

Juste après mon isolement, j'ai donc reçu un coup de pied insidieux, sous la forme d'une longue liste de tâches et d'une personne supplémentaire à prendre en charge.

Les inégalités sont grandes, entre les femmes et les hommes, y compris face à la maladie : mon mari est tellement resté au lit pour se reposer qu'il s'est ennuyé. Alors que moi, j'avais l'impression de m'extraire d'un enfer pour me jeter dans un autre.

La charge mentale des femmes, voilà le nom d’une pandémie sûrement aussi vieille que l'humanité !

8 rue de l’humanité ? Chacun a sa propre définition de cette fameuse humanitébien éloignée de celle du dictionnaire. Il faudra repasser pour la « compassion envers ses semblables ». 

Quant à la Covid-19 ? C’est définitivement la maladie de la solitude ! 

Je rêvais d'une humanité qui n'aurait à cœur que le bonheur de son voisin de palier. Daniel Pennac, extrait de La petite marchande de prose 

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