Lech Walesa a acquis la gloire internationale dans les années 1980 pour son combat contre la dictature communiste. Le statut de héros du fondateur de Solidarność fait aujourd’hui débat. Retour sur les polémiques contestant son intégrité.
Des chantiers navals à la lutte intrépide anti-communiste
Né en 1943, l’ouvrier polonais puise son combat des chantiers navals Lénine, à Gdansk. Il y exerçait alors - et ce depuis 1967 - le métier de monteur électricien. Désigné pour initier le mouvement de grève du 14 août 1980, puis élu président du syndicat libre Solidarnosc en 1981, son statut d’emblème de la lutte anti-communiste s’impose naturellement. Une incarnation telle qu’il reçoit en 1983 le prix Nobel de la Paix. À l’aube de l’ère post-communiste, ses positions lui valent d’être élu président de la République lors des élections libres de 1990. Cinq ans plus tard, sa popularité perd de sa superbe. Il est battu par Aleksander Kwasniewski aux présidentielles. Annonçant à l’occasion son retrait de la vie politique, il se présente une ultime fois en 2000 où il n’obtient qu’1% des voix. La star de la fin du XXe siècle semble être d’un millénaire révolu. On la relègue désormais au rang de figure historique figée. N’ayant plus voix au chapitre dans la politique contemporaine, sa mise au vert était sans compter le mouvement constant de l ’Histoire. Le XXIe siècle avait eu le temps de prendre du recul sur les dernières décennies. Il était alors l’heure de remettre en cause son statut de sauveur du peuple polonais.
Lech Walesa : porte-drapeau de la Pologne libre ou espion à la botte du régime autoritaire ?
Le paradoxe est tel que nous aurions pu croire à une farce, et pourtant. En 2008, les historiens Slawomir Cenkiewicz et Piotr Gontarczyk sortent le livre “La SB [les services de sécurité] et Lech Walesa”. Cette fois, il ne s’agit pas de faire l’éloge de ses mérites, mais bel et bien de questionner sa probité. Les deux hommes font partie de l’Institut de la mémoire nationale (IPN) - chargé d’enquêter sur les crimes nazis et communistes - et comptent bien faire tomber les masques. Leur accusation est sans appel : Lech Walesa aurait de 1970 à 1976, sous le pseudonyme « Bolek », fourni des informations à la police secrète communiste, touchant à l’occasion des compensations financières. Lors de sa présidence, vingt ans plus tard, il aurait récupéré le dossier le concernant pour détruire toute preuve de son appartenance aux services secrets. Une démonstration immédiatement réfutée par le quotidien d’opposition Gazeta Wyborcza, soutenant que les documents seraient factices et les preuves uniquement orales. Ils ouvrent à l’occasion le débat en interrogeant les raisons pour lesquelles les services secrets n’auraient pas révélé au grand jour ces documents dans les années 1980. Ils auraient pourtant été, selon eux, un terreau fertile pour compromettre l’image du leader de Solidarnosc.
Mardi 1er février 2017, nouvelle avancée dans le débat. Lech Walesa fait la Une des journaux polonais de tous bords. L’IPN - toujours - l’accuse une nouvelle fois d’avoir collaboré avec le régime communiste. Un constat, fruit de documents découverts un an auparavant au domicile du défunt général Kiszczak, anciennement ministre de l’intérieur sous le régime communiste. L’expertise graphologique effectuée par l’IPN se veut formelle : les documents ont bel et bien été signés de la main de Walesa, son identité toutefois dissimulée sous le pseudonyme de « Bolek ». Ces allégations, loin de faire l’unanimité, divisent l’opinion. Tandis que Gazeta Wyborcza dénonce une conspiration initiée par le parti conservateur PiS dans son éditorial « ils veulent détruire Walesa », le journal conservateur Rzeczpozpolita estime que l’ « On peut quand même en vouloir à Walesa ». Walesa lui-même se défend publiquement, soutenant qu’il s’agirait de signatures falsifiées, cette dernière étant très facile à imiter.
Si sa collaboration avec le régime communiste dans les années 1970 est fortement suspectée, le jugement de celle-ci est quant à lui soumis à de nombreux facteurs. À commencer par le contexte politique de l’époque. À une période où le communisme régnait en maître, il est important de se demander si une impartialité totale était réalistement possible, et si les erreurs qu’il a commises avant son engagement politique public, soustraient quelque chose à la force de son combat.
Des propos polémiques sur les homosexuels achèvent de mettre le feu aux poudres
En 2013, dans le contexte d’un projet de loi visant à introduire l’union civile en Pologne pour les couples homosexuels et hétérosexuels, Lech Walesa se prononce au micro de la chaîne TVN 24. Il y soutient que les gays ne devraient, au sein de la Diète - la chambre basse du parlement - pas être autorisés à siéger au premier rang des bancs parlementaires. D’y ajouter que s’ils étaient un jour représentés, il les invitait à s’assoir « plus près du mur du fond, voire derrière le mur ». On devine derrière ses propos une représentation conservatrice, fruit de la tradition catholique polonaise et des stigmates de l’étroitesse d’esprit du monde communiste, qu’il a pourtant combattu avec tant de véhémence. Son fils, député au Parlement européen à Bruxelles a tenu à prendre position auprès du site américain Newsweek « j’ai dit avec respect à mon père qu’il avait eu tort de dire cela ».
Au vu des excuses publiques réclamées en profusion, Walesa s’est défendu d’être homophobe tout en refusant de demander pardon à quiconque. Lors d’une interview citée par CNN, il argua : “Tout ce que j’ai dit, c’est que les minorités, que je respecte, ne devraient pas avoir le droit d’imposer leur vision des choses à la majorité. Je pense que la plupart des Polonais me soutiennent.” Une vision nébuleuse que l’on ne peut s’empêcher de mettre en perspective avec les propos récents du président polonais -au titre actuellement en jeu - Andrzej Duda. Ce dernier avait soutenu ce 13 juin 2020 que le mouvement LGBT était une « idéologie », considérée comme du « néo-bolchévisme ».
A l’heure actuelle, Lech Walesa demeure dans le cœur des polonais tout comme à l’international, l’emblème de la bataille ayant mené à la chute en Pologne du régime communiste. Sa réputation a néanmoins été ternie par les scandales. Ses propos gauches sur twitter, son vocabulaire peu élaboré et ses apparitions malencontreuses semblent, pour l’opinion publique, déplacées et d’un autre temps. Son passé glorieux fait face à un monde contemporain dont il a du mal à cerner les enjeux.
Quant à la remise en question de ses actes héroïques, il serait judicieux de se demander si le problème ne se nicherait pas au cœur du statut de héros lui-même. A regarder Gandhi en Inde, Atatürk en Turquie ou Charles de Gaulle en France, il semble difficile de ne conférer que des actes altruiste à un homme, aussi grand puisse-t-il être. Modifier le statut de héros, tenant plus du fantastique que de la réalité, permettrait d’avoir une vision d’entrée plus lucide sur l’Histoire et ses acteurs.