L'histoire permet de comprendre pourquoi Varsovie ne dispose toujours pas aujourd'hui d'une mosquée digne de ce nom pour accueillir les fidèles le vendredi. Un projet de construction, largement mis en ?uvre d'ailleurs, dans le quartier de Blue City puis un second dans un autre quartier de la ville pourrait laisser penser qu'un lieu de culte d'envergure pour les musulmans verra prochainement le jour. Pas si sûr?
Une mosquée provisoire à Wilanów
S'il est difficile d'évaluer le nombre exact de musulmans en Pologne (entre 15 et 30 000 selon les sources) et à Varsovie (peut-être une dizaine de milliers), leur présence remonte à loin puisque c'est dès la fin du XIVe s que des Tatars musulmans se sont installés dans le Grand-Duché de Lituanie, dont l'union avec la Pologne s'est faite à la même époque. Et c'est à partir du XVIIe s que des Tatars ont reçu des terres dans le Royaume de Pologne en échange de leurs bons et loyaux services dans les guerres qui opposaient la République des Deux Nations à ses voisins. Peu nombreux ? on estime le nombre de Tatars polonais à environ 2.000 aujourd'hui ? ils sont désormais minoritaires face aux musulmans originaires des pays du Golfe persique et du Moyen-Orient arrivés à partir des années 80.
Depuis 1925, l'islam polonais historique a son organisation, l'association religieuse musulmane en Pologne (Muzu?ma?ski Zwi?zek Religijny w Rzeczypospolitej Polskiej). Avant la Deuxième guerre mondiale, les musulmans avaient reçu du maréchal Pilsudski un terrain à Varsovie, en récompense des services rendus à la patrie, pour y construire une mosquée. Une collecte était en cours auprès des fidèles lorsque la guerre a éclaté et les musulmans polonais ont donné l'argent de leur mosquée pour les besoins de la défense du pays. Aujourd'hui, l'association historique des musulmans polonais cherche depuis des années à obtenir un terrain de la ville pour y bâtir un centre de culte en remplacement de leur mosquée provisoire, une simple maison transformée dans le quartier de Wilanów, où des centaines de fidèles s'entassent tant bien que mal chaque vendredi.
Un donateur mystérieux pour la construction d'une grande mosquée
Cette construction a donc réussi à réunir contre elle en 2010, lors du lancement du chantier, une alliance de courants allant des libéraux et des féministes aux nationalistes. Les affirmations de Samir Ismail, le président de la Ligue musulmane en Pologne, selon lesquelles chaque transfert d'argent en provenance de ses donateurs serait contrôlé par le ministère de l'Intérieur ont été contredites par les fonctionnaires du ministère. Par ailleurs, la presse polonaise a publié il y a trois ans des informations sur les relations entre la Ligue musulmane de Pologne et son président avec des organisations et des personnes en Allemagne liées aux Frères musulmans et au Hamas. Le mufti Tomasz Mi?kiewicz, président de l'association religieuse musulmane en Pologne, est lui-même plutôt réservé sur la construction de cette mosquée.
Mais alors que le chantier de cette grande mosquée, dont l'achèvement était prévu en 2012, semble ne plus en finir après la faillite de la première entreprise chargée de la construction et les difficultés avec la deuxième entreprise arrivée à la rescousse, c'est aujourd'hui un autre projet de mosquée qui soulève les protestations. Le mouvement Ahmadiyya, considéré par beaucoup de musulmans comme une secte, cherche aujourd'hui à obtenir de la mairie de l'arrondissement de W?ochy un permis de construire pour une mosquée dans un quartier de villas. Cette fois-ci les protestations semblent limitées aux riverains qui évoquent un risque d'islamisation de leur quartier pour certains ou un manque de cohérence architecturale pour d'autres. De leur côté, les membres du collectif opposé à la construction de la mosquée voisine de Blue City ne protestent pas, les renseignements pris dans les pays européens où Ahmadiyya est présente les ayant rassurés sur le caractère pacifique et apolitique de ce mouvement.
Quant à la grande mosquée de la Ligue musulmane de Pologne, les médias n'en parlent plus depuis un an, le chantier, pourtant bien avancé, semble aujourd'hui déserté et même les inscriptions sur le panneau d'information obligatoire à l'entrée du chantier ont été effacées. On ne sait donc toujours pas quand les musulmans de Varsovie pourront se rassembler dans un lieu de culte digne de ce nom.
Olivier Bault (www.lepetitjournal.com/varsovie) - Mercredi 9 octobre 2013
Photos : O. Bault
