Clotilde García del Castillo, fille du photographe valencien Antonio García Peris, épouse le peintre Joaquín Sorolla en 1888. Muse, compagne, Clotilde est aussi une femme moderne, qui saura trouver sa place dans une période où les femmes d’artistes sont reléguées au rang de faire-valoir. Amour fou et peinture…
Journal apocryphe de Clotilde de Sorolla
Du plus loin que je puisse me rappeler, j’ai été une image. Devant l’objectif de mon père, qui me photographiait comme les bourgeoises valenciennes ou le chevalet de Sorolla. Une fille que l’on regarde, une fille qui se sent laide, visage figé, silhouette docile sous le pinceau, signant sa correspondance, tu fea. Laide… Et une femme est belle, ou elle n’est pas…
Pourtant, le jour où, dans l’atelier de mon père, j’ai croisé le regard de Joaquín, j’ai su que ça n’avait plus d’importance. J’aimais cet homme et il m’aimait. Ne restait que l’amour fou, qui gommait tout le reste…
Nous nous sommes mariés. L’Italie rend les choses belles. C’était si doux, à Assise, ces soirées avec lui, sa main sur la mienne et les nuits à s’aimer. Clotilde de Sorolla, femme de Joaquín. Les deux facettes d’une même personne. Eres mi carne, mi vida y mi cerebro. Joaquín n’était pas le peintre le plus réputé, je n’étais pas la plus étincelante des modèles, mais nous étions heureux.
Un jour, le bonheur s’est terni. Au XIXe siècle, être une femme, c’est avant tout être une mère. Joaquín peignait, et j’avais des enfants. Je les chérissais, je les soignais, je laissais Joaquín à Madrid, parce que c’est là que ça se passe, parce qu’il avait “une carrière” et je rentrais à Valence m’occuper de Maria. J’étais loin, j’étais sans lui. Je haïssais nos séparations. J’étais redevenue la fea qu’il m’avait fait oublier. Mes larmes étaient des larmes de tristesse et de rage…
Un jour, j’ai décidé que non, je ne serai plus une image. J’ai décidé quelle femme je serai. J’ai commencé à écrire à Joaquín. Des milliers de lettres. L’encre sur le papier a pris la place de son corps contre le mien. Je n’avais plus peur des autres femmes, ces petites actrices qu’on lui prêtait. Non. Ma rivale, je la connaissais. La peinture, et encore la peinture. Et connaître, c’est comprendre par où on peut vaincre…
Joaquín n’était qu’un peintre en devenir. J’en ferais Sorolla ; Loin de moi les discrètes épouses des peintres célèbres. Poser, préparer les expositions, voyager, payer, organiser notre vie, faire taire les ragots. Il y avait quelque chose de réjouissant à singer la rougissante femme de l’artiste. La peinture était devenue mienne. Nous étions devenus Sorolla. Les jours où je n’étais pas à ses côtés, les expositions étaient médiocres. Sorolla était aussi le mari de Clotilde.
Une femme moderne et amoureuse
Pourtant, je savais qu’on on ne peut pas tout vaincre. Je savais que ça allait arriver.
Des jours à l’aimer, désespérément, alors que je veillais sur lui, mourant peu à peu, sur la plage de Valencia, sous la lumière qu’il avait si bien peinte. Sorolla est mort et c’était fini. J’ai donné ses tableaux à l’Espagne pour qu’elle en fasse un musée. La peinture, je la laissais désormais aux autres.
Et j’ai gardé, au fond de moi, notre amour fou.