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Visite du Pape François au Japon : retour sur un voyage unique

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©CBCJ
Écrit par Michael Amerigo
Publié le 27 novembre 2019

Entre la Coupe du Monde de Rugby et Les Jeux Olympiques 2020, le Japon vient de connaître un événement d'une grande ampleur. Il n'aura duré que deux jours et demi mais aura marqué les esprits de plusieurs centaines de milliers de personnes à travers le Japon. Le Pape, l'autorité la plus élevée de l'Eglise catholique, vient de visiter le pays qui aura ainsi vécu, durant cette courte période, sous le signe de la religion catholique. Ce 32ème voyage apostolique du Pape, groupé avec la visite de la Thaïlande les deux jours précédents, était en même temps son deuxième en Asie. Il constitue bien un événement puisque il faut remonter à 1981 pour trouver la présence d'un pape au Japon.


Bien que le catholicisme ne soit représenté que par une très faible partie des Japonais (0,42 % de la population), sa présence au Japon, marquée par une Histoire violente et vieille de plusieurs siècles, est très intense. Mais, même si l'événement a été relayé comme il se doit par les médias locaux, le Pape étant, en-dehors de toute question religieuse, une personnalité du monde et un chef d'État, peu de Japonais auront été impactés par cette visite, somme toute éloignée de leurs considérations quotidiennes. Le message du Souverain Pontife, pourtant accès sur des questions universelles telles que la Paix dans le monde ou l'abolition des armes nucléaires, aura été distillé tout au long de son séjour. Dès son arrivée à Tokyo samedi soir, le programme du Pape François, pour pouvoir être respecté à la lettre, a dû être chronométré, parfois à la minute près. Dans les trois villes qui y figuraient, beaucoup de choses étaient à faire et de gens à rencontrer en un minimum de temps, le tout dans un esprit de partage et de tolérance tel que le 266ème Pape de l'Histoire, le premier originaire d'un pays d'Amérique du Sud, sait transmettre au monde depuis son élection en 2013.

 

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Dimanche : la visite des deux villes bombardées à la fin de la Deuxième Guerre mondiale


Lorsqu'un programme est ficelé jusqu'à l'extrême et que tout doit être réalisé en un minimum de temps, peu de place est laissé à l'improvisation ou au repos. Dès le lendemain de son arrivée, Le Pape a quitté Tokyo pour rejoindre tout au sud de l'Archipel Kyushu et la ville de Nagasaki. Choix symbolique que cette ville puisque c'est là que le christianisme avait été introduit en 1549 par un prêtre jésuite, le même ordre que le Pape François. C'est à Nagasaki aussi que s'est abattue la deuxième bombe atomique de l'Histoire le 9 août 1945, occasionnant des pertes humaines et des dégâts matériels considérables. Le Souverain pontife s'est ainsi rendu pour son premier grand rendez-vous à l'Atomic Bomb Hypocenter Park, le parc construit sur le lieu de l'hypocentre de la bombe Fat Man, pour y délivrer un message très important, en déclarant que "ce lieu nous rend davantage conscients de la souffrance et de l'horreur que nous les êtres humains nous sommes capables de nous infliger". Il a ainsi condamné fermement l'utilisation ainsi que la possession d'armes nucléaires, affirmant qu'elles étaient immorales, et a appelé à leur interdiction en faisant appel à la responsabilité des dirigeants de ce monde.

 

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Sans attendre, il a enchainé avec un autre lieu symbolique de la ville et un haut lieu du catholicisme, la colline de Nishizaka. C'est précisément à cet endroit qu'avaient été crucifiés 26 martyrs chrétiens en 1597. Car malgré des débuts très rapides et une acceptation des gouvernements de l'époque, les chrétiens ont souffert d'une interdiction de pratiquer leur religion pendant plus de 200 ans. Cette interdiction, qui a pu aller en de certaines occasions jusqu'à la répression et la persécution, a poussé les plus fidèles d'entre eux à vivre leur foi de façon cachée. Et tout comme l'avait fait le Pape Jean-Paul II en 1981, le Pape François est allé rendre hommage à ces chrétiens qui sont allés au devant de l'interdiction et qui se sont ainsi sacrifiés pour permettre à leur foi de perdurer dans leur pays. Il a aussi eu une pensée pour les martyrs du XXIème siècle en proclamant qu'"en ce lieu nous nous unissons également aux chrétiens qui en diverses parties du monde subissent et connaissent aujourd'hui le martyre à cause de la foi La cérémonie, qui s'est tenue devant le monument élevé en hommage à ces fidèles sacrifiés, s'est tenue en public sous une pluie battante. Le dernier grand rendez-vous organisé à Nagasaki a amené le Souverain pontife à 14 heures dans le stade de baseball de la ville pour y célébrer la messe en présence de 35.000 personnes. Nagasaki est encore la ville du Japon où la tradition chrétienne persiste et c'est dans la région que vit la plus grande majorité des catholiques japonais.

 

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La messe terminée, un dernier grand rendez-vous attendait le Pape qui a dû prendre l'avion pour se rendre à Hiroshima, la première ville de l'Histoire à avoir subi les effets dévastateurs de la bombe atomique le 6 août 1945. C'est donc en pèlerin de paix qu'il s'est rendu au Parc de la Paix. Et c'est précisément devant le Mémorial de la Paix qu'a eu lieu une cérémonie d'envergure à 18h40. Le Pape a pu y rencontrer des survivants de la catastrophe et, après avoir écouté le témoignage de deux victimes, a pu s'exprimer. Son discours a été d'une grande intensité et a soulevé une profonde émotion. D'autant plus que le jeune Jorge Mario Bergoglio, qui n'avait pas encore 9 ans lors du bombardement de la ville, avait été profondément marqué par l'action du prêtre espagnol Pedro Arrupe, alors missionnaire à Hiroshima, qui avait œuvré pour aider et soigner les survivants. Engagement auprès des autres qui eut un impact sur le futur Pape dans son désir d'aider son prochain, surtout les plus démunis, et qui fut à l'origine de son rêve de Japon. Tout jeune prêtre, il avait en effet émis le souhait de suivre les traces du père jésuite mais le projet n'avait pu se réaliser à cause d'une santé jugée trop fragile. Revenant sur son souhait de voir interdite l'arme nucléaire, le Saint-Père a donné sa vision du monde de demain : "nous sommes appelés à marcher ensemble, avec un regard de compréhension et de pardon, ouvrant l'horizon à l'espérance et apportant un rayon de lumière au milieu des nombreux nuages qui assombrissent le ciel aujourd'hui. Ouvrons-nous à l'espérance, en nous convertissant en instruments de réconciliation et de paix." Le Pape a ensuite rejoint l'aéroport pour prendre l'avion à 20h30 et retourner à Tokyo juste avant 22h.

 

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Lundi : une journée pleine à Tokyo


Après la première journée très intense passée entre Nagasaki et Hiroshima, le Pape n'a pas eu une minute de répit non plus à Tokyo. Après seulement quelques heures de repos, son premier rendez-vous de la journée était à 10h à la "Bellesalle Hanzomon" pour rencontrer des survivants de la triple catastrophe de 2011, tremblement de terre, tsunami et accident nucléaire de Fukushima. C'est ensuite l'empereur du Japon Naruhito, intronisé depuis peu, qui devait le recevoir au Palais impérial pour une rencontre privée d'une demi-heure. Son programme déjà chargé l'a amené ensuite à la cathédrale Sainte-Marie dans laquelle l'attendaient des jeunes catholiques japonais. Arrivé à 11h45, l'accueil en-dehors et dans l'enceinte a été très chaleureux. Beaucoup de fidèles s'étaient en effet réunis à l'entrée de la cathédrale et, sur autorisation, juste devant son entrée pour entrevoir, ne serait-ce que quelques secondes, le Pape. Pas le temps d'aller se recueillir devant la reproduction de la grotte de Lourdes, son temps en ces lieux était toujours aussi chronométré. Une cérémonie d'accueil s'est tenue sur le parvis de la cathédrale avec des enfants qui ont chanté "Amenokisaki" pour souhaiter la bienvenue au Saint-Père et c'est peu avant midi qu'il a pu pénétrer dans l'impressionnante cathédrale à l'architecture unique imaginée par Kenzo Tange, pleine à craquer pour l'événement. Pas de messe ici, il s'agissait juste d'une rencontre ouverte entre les jeunes et le Pape qui s'est installé sur son trône pour écouter différents témoignages. Parole a ainsi été donnée à trois jeunes sur leurs rapports avec la société japonaise. C'est surtout le récit plein de tristesse de Leonardo Cachuela qui aura marqué les esprits. D'origine philippine, il a exprimé devant l'assemblée sa difficulté en tant que fils d'immigrés d'être bien accepté dans la société japonaise. Il est revenu sur les problèmes qu'il a rencontrés lorsqu'il était plus jeune et sur le salut, le réconfort qu'il a trouvé en allant à l'église. L'évêque de Rome a ensuite pris la parole pour revenir longuement sur le problème du harcèlement qui touche tant de jeunes de par le monde. N'hésitant pas à sortir de son discours écrit sur la feuille et à demander pour cela une traduction instantanée (par le père Renzo De Luca qui l'accompagnait) pour que le message soit compris de tous, le Pape s'est exprimé pendant près de 30 minutes. Après avoir reçu en cadeau un happi, le manteau traditionnel japonais à manches droites qui a été dessiné spécialement pour lui (avec des mots en espagnol et en japonais) et qu'il s'est empressé de mettre au-dessus de sa chasuble, il a quitté la cathédrale sous les acclamations du public.

 

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Puis est venu le moment tant attendu par plusieurs dizaines de milliers de catholiques japonais, la fin d'après-midi consacrée à la grande messe du Tokyo Dôme. Ayant reçu l'autorisation d'assister à la messe en tant que média œuvrant à l'information de la communauté française établie à Tokyo, Le Petit Journal a pu prendre part à l'événement. La salle, réservée en temps normal aux rencontres sportives (et surtout de baseball avec l'équipe des Giants), aux concerts mais aussi aux salons d'envergure, était pleine à craquer pour accueillir le Pape François. Plus de 50.000 personnes, soit plus d'un dixième de la minorité catholique japonaise, avaient fait le déplacement et s'étaient réunis dans cette énorme arène. A l'entrée du Souverain pontife dans sa papamobile, peu avant 15h30, c'est l'émotion et la ferveur qui ont soulevé le Dôme. Pendant une demi-heure, le Pape, rayonnant et affichant constamment son plus beau sourire, a ainsi salué ses fidèles qui n'avaient pas hésité, lorsque c'était possible, à quitter leur siège pour se rapprocher de leur idole. Le pape est d'ailleurs souvent comparé à une "Rock Star" eu égard aux liesses qu'il soulève et cette entrée en matière était véritablement un moment digne des plus grands concerts. Sur son parcours, beaucoup d'enfants ont été amenés au Pape afin qu'il puisse déposer sur leur front un baiser sacré, et un arrêt devant la section des personnes handicapées a été remarqué en fin de parcours. La messe a pu commencer peu après 16h et a suivi son cours, avec des interventions de plusieurs personnes, dans plusieurs langues et de nombreux chants, orchestre et chorale à l'appui.

 

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Le Pape a fait son discours de 15 minutes en espagnol pendant lequel il a confronté la société japonaise à ses maux pour appeler la petite communauté catholique du pays à les combattre. Il est revenu notamment sur la compétition excessive qui caractérise le Japon et son monde du travail. Il a aussi encouragé les Japonais à combattre l'isolement et le consumérisme à outrance : "L'obsession de croire que tout peut se fabriquer, s'acquérir et se contrôler, opprime et enchaîne l'âme". Les moments de silence ont été admirablement observés par toute une foule de fidèles et à peine perturbés par les cris des passagers du "Thunder dolphin", le grand manège à sensations fortes voisin du Tokyo Dôme. Celui qui avait rêvé en son temps de venir au Japon en tant que missionnaire et d'œuvrer pour cette communauté, est sorti de la scène géante vers 17h30 et la messe a pris fin quinze minutes plus tard, laissant plus de 50.000 personnes dans la joie d'avoir vécu un très grand moment en présence de leur guide spirituel. La messe à peine terminée, le dernier rendez-vous de la journée était réservé au Premier Ministre Shinzo Abe. La rencontre avait lieu dans la résidence de ce dernier à Kantei, au Sakura-no-ma-Hall.

 

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Mardi : L'Université de Sophia


Les dernières heures du Pape au Japon se sont déroulées dans la prestigieuse Université Sophia. Le choix de cet établissement n'a pas été anodin puisque des liens étroits l’unissent au Pape. Fondée en 1913 par les Jésuites, concrétisant par là un projet imaginé par Saint François Xavier dès 1549, l'université a fêté ses 100 ans l'année où le père Francesco est devenu le 266ème pape, faisant de lui le premier Jésuite élu au plus au rang de l'Eglise catholique. Aujourd'hui considérée comme l'une des plus belles réalisations de la Compagnie de Jésus au Japon, elle est aussi, avec ses 13000 étudiants (dont 1400 venus de l'étranger) l'une des meilleures universités du pays. Cette université, dans laquelle il aurait pu terminer sa « carrière » si son souhait de venir au Japon en tant que missionnaire avait pu se réaliser, était donc pour lui un passage indispensable et symbolique avant son retour au Vatican. Il a même expliqué plus tôt avoir le sentiment de prendre sa revanche sur son état de santé qui l’avait alors empêché de réaliser son rêve de jeunesse. Il l’avait au demeurant réalisé en partie lorsque, alors en charge de l’ordre des Jésuites à Buenos Aires, il avait envoyé au Japon huit missionnaires, dont son interprète le père Renzo De Luca, désormais à la tête des Jésuites du Japon. La visite en ces lieux se voulait informelle, comme nous l’a expliqué le père Sali Augustine en conférence de presse. C’était le vœu du Pape de simplement visiter les lieux, rencontrer ses compagnons et apporter aux étudiants son message. Vis-à-vis de sa position, une telle visite a quand même dû être méticuleusement préparée et six mois auront été nécessaires à son organisation.

 

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La journée a commencé encore une fois très tôt avec une messe privée célébrée avec les membres de son ordre en la chapelle de l'université. Il a ensuite rendu visite aux prêtres âgés et malades avant de visiter l’établissement et de rencontrer les étudiants et professeurs. Parmi ceux-ci se trouvait l’Argentin Juan Carlos Haidar, professeur à la faculté de théologie, qui vécut de 1983 à 1988 sous les ordres du futur Pape François, alors recteur de la "Inmaculada Concepcion Seminary" de Buenos Aires, en Argentine. Des liens étroits ont demeuré entre les deux serviteurs de Dieu et un rendez-vous, aussi inattendu qu'unique, a pu se réaliser dans l'enceinte de l'université le 18 décembre 2017, au lendemain du 81ème anniversaire du Pape. Sur proposition du professeur, le Saint-Père avait accepté de jouer le jeu des questions-réponses avec les étudiants via une vidéo conférence. 700 étudiants avaient ainsi pu poser leurs questions et le Pape, tranquillement installé dans des appartements au Vatican, avait pu engager la discussion et ainsi répondre à une dizaine d'entre elles. L'initiative de l'Université Sophia avait su attirer une certaine attention et une présentation est accessible en suivant le lien. L’intégralité des échanges est également disponible, en japonais et espagnol, sur la chaîne Youtube de l'Université Sophia. A cette époque, le Pape pensait encore impossible une visite au Japon. Moins de deux ans plus tard, son vœu de venir au Japon (qu’il avait toutefois visité en 1987) s’est réalisé et le rendez-vous a pu se dérouler cette fois en personne. Dans son discours, le Pape a pu rappeler le travail que doit accomplir l’université pour créer le monde de demain, une société d’espoir composée de gens responsables qui savent protéger les plus faibles et rendre son rang à la Nature.

 

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"Aucun étudiant de cette Université ne devrait obtenir un diplôme sans avoir appris comment choisir, de manière responsable et libre, ce qu’il sait, en conscience, être le meilleur ". Il a terminé en disant qu’il n’oublierait jamais ce qu’il a vécu durant ce court mais intense séjour au Japon et a demandé à ce qu’on prie pour lui et pour ceux qui ont le plus besoin d’aide. Tel est le credo de l’université Sophia, qui signifie en grec sagesse : « Men and women, for others, with others » (« Hommes et femmes, pour les autres, avec les autres ») dont la majorité des étudiants ne sont pourtant pas chrétiens mais se destinent à la fin de leur cursus à des professions qui les aideront à supporter les autres, à améliorer les droits humains, à travers des programmes pour réfugiés par exemple, ou dans des associations. Après avoir reçu en cadeau une très rare statue de la déesse Kannon utilisée en substitut de la Vierge Marie par les chrétiens cachés, le Pape a quitté les lieux avec un dernier bain de foule et rejoint l’aéroport de Haneda avant la fin de la matinée.

 

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