

L'Australie est un pays plein de légendes. Grace à elles, les populations Aborigènes avaient structuré leurs croyances, lois et tabous dans un ensemble cohérent remontant à l'origine des temps. Aujourd'hui, bien que ces cultures ancestrales soient en voie de disparition les légendes, elles, demeurent.
Que sont les légendes aborigènes ?
Les légendes Aborigènes, également appelées histoires du Temps du rêve, avaient pour but de transmettre la sagesse et la connaissance acquises au fil des siècles, y compris les lois extrêmement strictes qui régissaient la vie de ces peuples de chasseurs-cueilleurs. Transmises oralement, les légendes étaient apprises par c?ur et possédaient des degrés d'interprétation dont la complexité était révélée au cours de toute une vie, aux seuls membres de la tribu ayant subi les rites initiatiques élaborés. Les légendes recueillies dans l'Encyclopédie de l'Australie aborigène par le linguiste émérite Robert Dixon constituent les versions simples que l'on racontait aux enfants et personnes non-initiées. Fondées sur une observation méticuleuse de la faune et la flore, elles constituent également un témoignage unique de la topographie du territoire vieille de plusieurs millénaires. Et grâce au travail méticuleux de Robert Dixon, un de ces mythes a même été inscrit sur le registre du patrimoine national par la Commission du patrimoine australien.
Si chacune des 400 tribus Aborigènes possédait ses propres légendes, le trajet des créatures originelles pouvait s'étendre sur le territoire de plusieurs peuples qui partageaient ainsi des origines communes. Il existe également certaines ressemblances dans les mythes : par exemple, un héros civilisateur est présent dans les légendes de chaque tribu, et chacune en revendique la descendance.
Le chant des pistes
Ces récits, souvent composés en chansons pour faciliter leur mémorisation, constituaient pour l'anthropologue et linguiste T.G.H Strehlow, une véritable carte orale du territoire. Selon lui, ces chants étaient structurés de telle manière que toute personne empruntant le trajet utilisé par l'une des créatures originelles, et chantant le récit de leur aventure, voyait décrit les marques saillantes du territoire et pouvait ainsi se repérer dans un paysage inconnu. Fasciné par ce principe, le romancier britannique Bruce Chatwin en a même fait le thème central de son roman Le chant des pistes - en omettant d'ailleurs de citer la source de sa connaissance.
Que racontent ces légendes ?
Le temps du rêve est le thème central de la culture aborigène. Il s'agit du moment de la création du monde et explique les origines de la culture. Il n'y avait d'abord que la terre et le ciel. Puis le soleil est apparu, réveillant les ancêtres, des créatures géantes nées de la terre et du ciel, comme le Serpent Arc-en-ciel. Le récit de leurs aventures est inscrit à jamais dans le paysage, chaque naissance, mort et bataille ayant donné lieu à la création d'un élément saillant du territoire. Les esprits sont à jamais métamorphosés en rocher, montagne, arbre ou rivière et ils perdurent là pour l'éternité. Parmi ces lieux hautement sacrés, le plus connu est bien sur le monolithe d'Uluru, baptisé par les premiers explorateurs Ayers Rock.
Quelques légendes aborigènes?
L'une des légendes Aborigènes les plus connues est celle des "Trois s?urs", cette formation rocheuse situées dans les Blue Mountains, près de Sydney, et qui est l'image emblématique du site. L'histoire raconte qu'il y a très longtemps, trois s?urs vivaient dans une tribu aborigène appelée Katoomba. Meehni, Wimlah et Gunnedoo tombèrent chacune amoureuse d'un des trois frères d'une tribu rivale, entraînant une horrible guerre. Afin de protéger les s?urs, le sorcier de leur tribu les transforma en pierre. Malheureusement, il mourut pendant le combat, condamnant les s?urs à rester figées pour l'Eternité.
Les Devil Marbles, ou "Billes du Diable" sont eux aussi des figures emblématiques du paysage australien.
Ces rochers sphériques en granite, situés à Tennant Creek, dans le Territoire du Nord, tiennent en équilibre depuis des millénaires. Selon les Aborigènes, il s'agirait en réalité des ?ufs fossilisés du Serpent Arc-en-ciel, laissés là au Temps du Rêve. Ce site sacré pour les Aborigènes possèderait de nombreux pouvoirs.
La légende de l'oiseau Brolga, elle, décrit la création de cette grue australienne connue pour son étrange danse nuptiale. Pendant le Temps du Rêve, Brolga était la meilleure danseuse que le monde ait connue. Elle se dressait comme l'émeu, déployait ses bras comme le pélican et tournoyait comme le vent.
Chaque matin, elle allait s'entrainer dans la plaine. Mais un jour, un esprit malin descendit sur terre et la vit danser. Il voulut alors immédiatement la posséder, se transforma en tourbillon, et captura Brolga pour l'emmener loin de son village.
Ne la voyant pas revenir, son peuple partit à sa recherche. Ils la cherchèrent plusieurs jours, et finalement trouvèrent l'esprit malin et sa captive. Ils attaquèrent l'esprit, projetant leurs lances et leurs boomerangs, mais l'esprit hurla "Si je ne puis la posséder, personne ne le pourra !". Et alors que la tribu s'approchait, il disparut avec elle dans le ciel.
Le village se lamenta sur la perte de leur merveilleuse danseuse, puis un jour, le village vit apparaitre un magnifique oiseau gris que personne n'avait encore jamais vu. L'oiseau déploya ses ailes et se mit à danser, flottant dans les airs avec la même grâce que Brolga. Le village réalisa que Brolga avait réussi à échapper à l'esprit malin, et qu'elle s'était transformée en oiseau pour revenir sur terre et danser à nouveau. Les villageois s'écrièrent "C'est Brolga ! C'est Brolga !". L'oiseau sembla comprendre, et dans un dernier mouvement gracieux, s'élança dans le ciel et disparu. Depuis ce jour, dans les plaines infinies d'Australie, le Brolga vole sans fin avec la même grâce.
Les réclamations territoriales
Ces mythes ont aujourd'hui acquis une valeur qui va bien au-delà du folklore. Dans les processus de réclamations territoriales, établies dans le cadre juridique du Native Title pendant les années 1990, les mythes constituent l'évidence essentielle du lien entre une tribu et son territoire traditionnel. Chaque famille est en effet dépositaire des mythes associés à la partie du territoire qui lui revient en héritage. Certaines personnes sont responsables d'organiser les cérémonies ritualisées qui raniment l'esprit du lieu; elles sont également les seules autorisées à en raconter le mythe fondateur. Mais plutôt qu'un droit de propriété aliénable, il faut concevoir ce lien comme celui d'un gardiennage, la famille étant responsable de l'entretien du lieu et du bien être de son esprit grâce à la performance fidèle des cérémonies qui lui sont associées. Cependant grâce au Native Title, ce lien a aujourd'hui acquis une valeur légale : la mise en évidence du réseau complexe de mythes qui sont associés à un lieu constitue la preuve d'appartenance de ce territoire à un groupe de personnes, qui peuvent en devenir propriétaires de plein droit.
Les légendes australiennes sont une façon de ne pas oublier les premiers habitants de l'Australie. Chaque légende permet d'en apprendre davantage sur l'Australie elle-même, et raconter ces histoires à nos enfants permet de maintenir en vie la tradition orale instaurée par les Aborigènes il y a environ 40 000 ans, et, qui sait, de leur inculquer cette sagesse si fondamentale aux yeux des peuples Aborigènes.
Article co-écrit par Edith Nicolas et Julia Szuflak (www.lepetitjournal.com/melbourne) mercredi 29 Mai 2013


































