Rencontre avec Marie-Pierre Rixain, députée de l'Essonne, à l’occasion de son déplacement en Suède. Marie-Pierre Rixain, Présidente de la Délégation aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes, est l’auteure d’une proposition de loi visant à accélérer l’égalité économique et professionnelle. Cette interview est également disponible en format podcast, lien franskappodden.
Nous aimerions d’abord revenir sur votre parcours. Comment a débuté votre carrière ?
Je m’appelle Marie-Pierre Rixain, j’ai 44 ans, j’ai deux enfants et je suis députée de l’Essonne. C’est mon premier mandat d’élue. J’ai été élue en 2017, il y a 4 ans. J’ai commencé ma carrière comme collaboratrice parlementaire à l’Assemblée nationale pour le député Jacques Barrot au début des années 2000. J’y suis restée un certain temps avant de me rediriger vers la communication. J’ai passé le CELSA et ai travaillé pour une agence de communication, notamment des enjeux de communication publique pour les collectivités locales. Je me suis ensuite mise à mon compte, comme consultante de communication institutionnelle, notamment dans le milieu de la santé, de la périnatalité, jusqu’à mon élection en 2017.
Quels sont les objectifs de votre déplacement en Suède ?
Je dois préciser que j’ai été présidente de la Délégation au droit des femmes à l’Assemblée nationale. Ma visite en Suède s’inscrit dans ce cadre. Je travaille plus précisément sur les questions d’inégalité économique entre les femmes et les hommes. Je suis auteure d’une proposition de loi, discutée en mai dernier en France et votée à l’unanimité, qui devra être discutée au Sénat en octobre, et votée définitivement d’ici la fin de l’année. Cette loi vise à faire de la femme un sujet économique à part entière.
L’une des explications clés des inégalités économiques entre les femmes et les hommes reste la difficile conciliation entre la vie professionnelle et la vie personnelle
Alors pourquoi la Suède ? Parce que parmi tous les sujets sur lesquels j’ai pu travailler lors de la préparation de ce texte, ainsi dans le cadre d’une mission à laquelle je travaille pour la délégation aux droits des femmes, l’une des explications clés des inégalités économiques entre les femmes et les hommes reste la difficile conciliation entre la vie professionnelle et la vie personnelle des femmes. Aujourd’hui en France, il y a entre 8 et 10 % d’inégalités de salaire à poste égal, et 25 % d’inégalités de revenus (sur l’ensemble des revenus à l’échelle d’une vie, notamment la retraite). Ces inégalités s’expliquent essentiellement par le fait que les femmes sont d’avantage employées à temps partiel. Elles travaillent dans des secteurs moins rémunérateurs que les hommes, comme le secteur du « care », tandis que ceux-ci travaillent dans des secteurs porteurs et d’avenir.
Elles accèdent également moins aux postes à responsabilité. Elles sont davantage en charge des enfants malades, connaissent des ruptures de carrière à la suite d’une maternité. Tout cela mis bout à bout entraîne des inégalités de revenus.
Ce voyage en Suède me permet de comprendre comment ce changement culturel a été opéré en Suède, historiquement, en matière d’égalité entre les femmes et les hommes, de comprendre comment ce qui a permis de faire advenir la taxation individuelle; l’individualisation de l’impôt en Suède alors même qu’en France des acquis familiaux pourraient être perdus d’un côté mais gagnés par ailleurs. Il s’agit aussi de comprendre quelles sont les conséquences positives pour les femmes du congé paternité. En France, depuis le 1er juillet dernier, le congé paternité a été prolongé jusqu’à un mois, et a une durée minimale obligatoire de 7 jours.
Ce qui me fascine en Suède est la place qu’occupent les enfants dans la société
Qu’est-ce qui vous fascine le plus en Suède ?
C’est mon troisième séjour à Stockholm. Je suis venue pour la première fois en 2007 avec mon conjoint. Nous avons été tous les deux extrêmement séduits par la quiétude de la ville ainsi que son architecture. Je suis également venue il y a trois ans dans le cadre de mes fonctions, lorsque je travaillais notamment sur les violences sexuelles. Je découvre maintenant Stockholm pour la première fois sans neige. La typographie de la ville est complètement différente.
Ce qui me fascine, c’est le profil sociétal complètement différent de celui que l’on trouve en France, une société beaucoup plus articulée autour du rapport de force, qu’il s’agisse de la sphère sociale, politique ou intime. Ce qui me fascine également est la place qu’occupent les enfants dans la société. En France, j’ai le sentiment que l’enfant n’est pas vu de la même manière qu’en Suède. Je pense que cela va de pair avec un certain nombre de progrès qui ont été faits pour les droits des femmes.
Qu’est-ce qui vous a étonnée en Suède, en positif comme en négatif ?
En positif, toujours le fait que les enfants sont acceptés, dans les musées, dans les trains. Aussi, j’ai été séduite par l’odeur de la cannelle, qu’on sent très facilement ici.
Enfin, ce que je trouve stupéfiant, c’est à quel point les Suédois arrivent à arrêter de travailler à partir de quatre ou cinq heures de l’après-midi, alors même qu’en France, partir à 19h est presque considéré comme une façon d’échapper à ses obligations professionnelles.
J’ai eu plusieurs rendez-vous dans des ministères à 19h15 alors même que j’étais enceinte, et lorsque je refusais et demandais d’organiser la réunion à un autre moment, on me regardait avec de gros yeux. Toutes les semaines, j’ai des réunions à 19h, à 20h, tout comme mon mari. C’est probablement la chose la plus stupéfiante quand on vient de France.
Quel premier constat faites-vous lorsque vous comparez la France et la Suède en matière d’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes ?
Le premier point concerne le fait que la maternité n’est pas un problème. Au fur et à mesure des entretiens que je fais, la maternité n’est même pas un sujet. Quand je discute avec les entreprises, les syndicats, la maternité est un non-sujet. Une femme enceinte peut être recrutée, garder son emploi, partir, revenir et reprendre son emploi.
La maternité n’est même pas un sujet.
En France, avoir des enfants tout en travaillant est une grosse source d’inquiétude pour les femmes. Elles ont de grosses inquiétudes concernant ce qui peut advenir durant leur congé maternité. Pour nombre d’entre elles, il est très difficile de revenir travailler alors que l’enfant a seulement dix semaines. S’ajoute une violence institutionnelle. On peut par exemple demander à des femmes qui ont un travail physiquement difficile de continuer malgré le fait qu’elles sont enceintes. On peut également les faire culpabiliser.
Le deuxième point important est celui de la taxation individuelle qui, je crois, permet véritablement de faire des femmes des sujets économiques totalement autonomes et émancipés. Leur revenu n’est pas un revenu d’appoint, mais leur revenu propre, ce qui me semble essentiel.
Nous sommes à 46 % de femmes dans les conseils d’administration des entreprises du CAC 40
Revenons en France : quel bilan dressez-vous dix ans après l’adoption de la loi Copé- Zimmerman, imposant un quota minimal de 40 % de femmes au sein des conseils d’administration et de surveillance ?
Le bilan est clairement positif. Nous l’avons dressé à la Délégation aux droits des femmes. Nous sommes à 46 % de femmes dans les conseils d’administration des entreprises du CAC 40. Par ailleurs, cela a permis à la fois de féminiser et de professionnaliser les conseils d’administration, puisqu’avant cette loi, il s’agissait d’un réseau d’hommes qui se cooptaient entre eux. Il a fallu « trouver » des femmes compétentes – et il y en avait beaucoup – ce qui a poussé les entreprises à avoir recours à des chasseurs de têtes et a permis de professionnaliser les conseils d’administration et d’améliorer la gouvernance des entreprises.
En revanche, cette loi devait permettre une féminisation des instances de direction des entreprises, pas seulement de gouvernance. Or, aujourd’hui, il n’y a en moyenne que 18 % de femmes dans les comités de direction, d’où l’intérêt de la loi que j’ai déposée, qui impose également des quotas dans les instances de direction.
Je suis convaincue que le travail est une source d’émancipation, une garantie d’autonomie économique
Vous avez souhaité aller plus loin avec cette loi visant à accélérer l’égalité économique et professionnelle entre les femmes et les hommes. Quelles en sont les grandes lignes ?
Le premier concerne le versement des revenus. En France, les femmes peuvent ouvrir un compte en banque et travailler sans l’autorisation de leur mari depuis 1965, ce qui me semble une loi très totémique de l’indépendance économique des femmes. Je me suis rendu compte que le revenu des femmes, qu’il s’agisse d’allocations sociales individuelles ou d’un salaire, pouvait être versé sur un compte tiers, dont elles ne sont pas titulaires, ce qui peut engendrer des captations de revenu, des violences économiques. Je souhaite faire en sorte que les prestations sociales individuelles et les salaires soient versés sur un compte bancaire dont les femmes sont titulaires ou co-titulaires.
Il s’agit ensuite de faire en sorte que toutes les femmes puissent accéder au marché de l’emploi. Je suis convaincue que le travail est une source d’émancipation, une garantie d’autonomie économique. L’idée est que certaines femmes, comme les femmes au foyer, qui n’ont pas acquis de droit à la formation, puissent maintenant suivre une formation et réintégrer le marché de l’emploi.
Cela va de pair avec la question des enfants, notamment des enfants en bas âge. Contrairement à la Suède, les femmes en recherche d’emploi n’ont pas une garantie de place en crèche. L’idée est de donner la priorité les femmes en situation de monoparentalité pour l’obtention d’une place en crèche.
Par ailleurs, on compte seulement 28 % de femmes dans les écoles d’ingénieurs. Or, les métiers de demain sont des métiers technologiques, scientifiques, en lien avec les enjeux écologiques. Il faut que les femmes soient autour de la table, qu’elles soient décisionnaires. Or l’ensemble de ces métiers sont aujourd’hui essentiellement occupés par des hommes. Il est essentiel que les écoles et les établissements d’enseignement supérieur soient évalués de manière très précise, selon des critères, sur les biais genrés qui pourraient être développés dans ces écoles, ainsi que sur la lutte contre ces biais et les stéréotypes.
Faire des femmes des sujets économiques à part entière.
Les deux derniers axes concernent les quotas, dont j’ai parlé plus tôt, mais aussi le fait de faire des femmes des sujets économiques à part entière, en leur donnant plus facilement accès aux financements dans la création d’entreprises (TPE ou startup). Aujourd’hui, la BPI finance seulement 2 % d’entreprises dont la gouvernance est uniquement portée par des femmes, et 18 % d’entreprises dont la gouvernance est portée par un homme et une femme, tandis que les autres sont uniquement gérées par des hommes. Il y a des difficultés. On connaît l’importance du rôle que jouent les comités d’investissements dans la décision des montants accordés.
Il faut donc que ces comités soient paritaires, de manière à éviter les biais genrés : en effet, on ne pose pas les mêmes questions aux femmes et aux hommes lors des demandes de levées de fonds. On interroge notamment plus les femmes sur les risques qu’elles prennent et font courir à leurs associés, tandis que les hommes sont plus interrogés sur les bénéfices et les opportunités qu’ils vont créer. Nécessairement, les réponses ne sont pas les mêmes. On cherche donc à lutter contre les biais genrés, en imposant 30 % de femmes aux comités d’investissements de la BPI, et d’inciter les comités d’investissements privés à avoir une représentation équilibrée entre les femmes et les hommes. Voilà donc l’ensemble des points que nous avons abordés et qui ont été adoptés.
Nous agissons sur la protection des droits des femmes et sur l’ouverture de droits nouveaux
Comment menez-vous votre combat au quotidien ?
Mon combat au quotidien est triple. Il est d’abord personnel : je suis moi-même mère de deux enfants, dont un bébé, que j’ai eu au cours de ma mandature. Mon combat consiste à ne jamais baisser la garde, à faire en sorte que dans mon espace privé, dans ma famille, les responsabilités soient toujours partagées. Le conseil que je donne aux femmes, concernant le travail ménager par exemple est le suivant : il suffit de ne pas le faire. Il ne faut pas avoir mauvaise conscience, il faut laisser des chaussettes traîner quelques jours. Comme par miracle, un jour, les chaussettes ne traînent plus. Il faut prendre sur soi, aller faire un tour, et ne pas culpabiliser de lire un livre alors que les biberons ne sont pas lavés.
Mon deuxième combat se tient à la Délégation aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les femmes et les hommes. Nous sommes 36 femmes et hommes de tous bords politiques. Nous agissons sur un diptyque, à la fois sur la protection des droits des femmes, qu’il s’agisse des droits sexuels et reproductifs, de l’accès à des protections lorsque c’est nécessaire, ou de l’ouverture de droits nouveaux, et sur l’égalité entre les femmes et les hommes, notamment les enjeux économiques et de parité politique.
Enfin, mon troisième combat est mon combat de députée, élue sur un territoire, où je dois aussi prendre mon bâton de pèlerin et expliquer que l’égalité entre femmes et hommes n’est pas un sujet accessoire mais bien déterminant pour une société plus apaisée.
Que retiendrez-vous de votre séjour en Suède ?
Je n’en suis qu’à mon deuxième jour, mais j’ai été frappée par la chaleur des toutes les personnes que j’ai rencontrées, toutes extrêmement disponibles et ouvertes pour échanger avec moi, pour partager leurs expériences. Je retiendrai également l’accueil de l’Ambassade de France, qui a permis à ce séjour de se dérouler. Je remercie notamment Eric Trottmann, présent ici, pour la diversité des entretiens et la composition des journées proposées, ainsi que pour sa disponibilité pour me faire découvrir l’histoire de la Suède.