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La dictature de l'Ego ou comment se libérer de la prison du Moi

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Écrit par Raphaëlle Choël
Publié le 16 décembre 2018, mis à jour le 18 juin 2019

On ne peut plus y échapper ! Livres, magazines, télé, radio : partout on nous exhorte à être nous-mêmes, à nous aimer, à nous raconter. Mais, loin d'être libératrice, cette mise en avant toujours plus prononcée du Moi renforce nos dépendances et en crée de nouvelles. Normalien et agrégé de philosophie, enseignant dans le secondaire et le supérieur, Mathias Roux dresse ici le portrait du Narcisse contemporain et montre comment le succès du développement personnel favorise sa diffusion. Pour résister aux pseudos promesses d'émancipation et poser un regard alternatif sur les difficultés de l'existence, l'auteur esquisse des pistes philosophiques pour nous libérer de la prison du Moi. 

 

Lier philosophie et pédagogie n'est pas toujours facile. Comment procédez-vous ?

Mathias Roux :  J’ai  commencé une carrière d’enseignant comme c’est de coutume quand on est normalien. Après avoir rédigé quelques articles, j’ai publié mon premier livre, Socrate en crampons, une introduction sportive à la philosophie, en 2010. Je m’appuyais sur le déroulement de la finale de la coupe du monde de 2006 entre la France et l’Italie pour introduire les problèmes classiques liés aux notions de philosophie abordées en terminale. Cela a rencontré un certain intérêt – je bénéficiais à l’époque du contexte de la Coupe du Monde au moment de la parution – et j’ai eu la chance de me voir décerner un prix. Par la suite, j’ai publié quatre autres livres pour lesquels j’ai chaque fois tenté de mêler la clarté pédagogique à l’ambition de proposer un contenu de bonne tenue. Vulgariser la connaissance n’est pas simplifier selon moi.

Quelle a été la genèse de l'écriture de ce livre, La dictature de l'Ego ?

Je suis en général  fasciné par la manière dont les individus sont influencés par les modes de tous ordres (vestimentaire, capillaire, technologique, etc.). Notamment quand ils succombent si facilement à toutes celles qui accentuent la pente égocentrique présente en chacun de nous. Je trouve remarquable la complaisance avec laquelle de plus en plus individus mettent en scène leur vie et se sentent autorisés à informer plein de gens de leurs petites vicissitudes quotidiennes. Même sentiment concernant le soin mis à cultiver leur look pour affirmer leur singularité alors qu’ils ne font le plus souvent que suivre la dernière mode. J’ai eu envie de questionner le phénomène de ce que j’appelle le narcissisme de masse et d’analyser tout ce qui l’encourage. De donner une forme intellectuelle et réfléchie à mes observations et intuitions. Avant de juger, il faut essayer de comprendre !

Mathias Roux philosophie
 Mathias Roux

Vous êtes père de deux enfants, comment appréhendez-vous les réseaux sociaux pour eux plus tard ?

Pour moi, les réseaux sociaux ne sont pas un problème en soi et j’avoue que ma peur ne se situe pas à ce niveau-là. A condition qu’on en fasse bon usage. Or, pour cela, il faut prendre les choses très en amont : mon défi éducatif permanent est de faire intégrer aux enfants que le monde ne tourne pas autour de leur petite personne, que ce n’est pas nécessairement parce que quelque chose les intéresse qu’elle a une valeur mais plutôt que c’est parce  qu’elle a une valeur qu’elle est digne d’intérêt. Je pense à tout ce qui relève de la culture : la connaissance, les œuvres, les pratiques artistiques… Tout ce qui permet de sortir du tête-à-tête nombriliste, d’aller à la rencontre d’autres esprits, de partager des idées, des goûts possédant une dimension universelle.

A votre sens, cette dictature de l'ego et du Moi fait-elle ombrage aux initiatives éco-citoyennes et/ou humanitaires ?

La dictature de l’ego coupe chacun individu de la dimension collective de son existence. Nous n’existons, en tant que personne singulière, qu’à travers le groupe qui nous précède et qui nous permet d’être ce que nous sommes. Le groupe est toujours premier d’un point de vue chronologique et logique, l’individu second. Par conséquent, en perdant la dimension collective, nous affaiblissons le sens de l’engagement politique et nous renvoyons chacun à sa responsabilité individuelle, ce qui est la meilleure façon de ne rien changer du tout.

Comment voyez-vous ce culte de l'ego évoluer à deux-trois générations ?

Je suis assez optimiste car je pense que les dégâts occasionnés sur le fonctionnement psychique de plus en plus de nos contemporains vont modifier les pratiques et les approches, notamment éducatives. J’ai bon espoir, par exemple, que le fait de donner un smartphone à un enfant de 10 ans sera  rétrospectivement vu, dans quelques années, comme un comportement parental aussi irresponsable que celui qui consistait dans les années 1970 et 1980 à ne pas attacher ses enfants et à fumer toutes fenêtres fermées dans la voiture !

Quel message/conseil aimeriez-vous livrer à nos lecteurs ?

Qu’ils fassent confiance en leur propre jugement pour savoir ce qui est bon pour eux. Et, pour cela, qu’ils commencent par se passer de toute la littérature du développement personnel  qui ne fait qu’encourager toujours plus l’hypertrophie du moi tout en culpabilisant les gens en leur faisant croire que leur mal-être vient de ce qu’il ne s’occupe pas assez de leur intériorité, qu’ils ne travaillent pas assez sur eux-mêmes ! Quand quelqu’un souffre au travail en raison d’une réorganisation de l’entreprise, il est pourtant probable que cela est davantage dû à un pilotage objectivement inadapté, voire brutal, plutôt qu’à une soi-disant incapacité à se remettre en question ou à s’adapter de la personne !

raphaelle choel
Publié le 16 décembre 2018, mis à jour le 18 juin 2019