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Rencontre avec Jean-Pierre Rollet, Grand Maître de la Grande Loge Nationale Française

La Grande Loge Nationale Française a fêté cette année son 110ème anniversaire, avec près de 33.000 Frères. Lors de sa venue à Singapour la semaine dernière, Jean-Pierre Rollet, Grand Maître de la GLNF, s’est confié à cœur ouvert sur son parcours et son engagement en franc-maçonnerie. Il a partagé son regard sur la Grande Loge Nationale Française aujourd’hui, tout en rappelant la philosophie de l’obédience.

Jean-Pierre Rollet Grand Maitre GLNFJean-Pierre Rollet Grand Maitre GLNF
Jean-Pierre Rollet (copyright GLNF)
Écrit par Laurence Huret
Publié le 6 novembre 2023, mis à jour le 2 août 2024

La Franc-maçonnerie est une association d’hommes libres et indépendants en quête d’élévation spirituelle et de perfectionnement moral, qui mettent en pratique un idéal de paix et d’amour. Cette fraternité initiatique vise au perfectionnement individuel de ses membres qui se réunissent dans des loges. Où on ne parle ni de politique, ni de religion. Obédience régulière fondée en 1913, la Grande Loge Nationale Française (GLNF) https://www.glnf.fr/ se réfère au Grand Architecte de l’Univers lors de l’ouverture de ses travaux, contrairement au Grand Orient (GO). Elle est reconnue par la Grande Loge Unie d’Angleterre (GLUA) et compte aujourd’hui près de 33.000 Frères, répartis dans 1.437 Loges situées en métropole, en outre-mer ou à l’international avec notamment la Loge Wandailan - Fleur d’Asie à Singapour.

Successeur de Jean-Pierre Servel, vous êtes Grand Maître depuis 2018 de la GLNF. Quand vous êtes-vous engagé en franc-maçonnerie ? Etait-ce une tradition familiale ?

J’ai été initié en 1988 à 33 ans. Comme beaucoup d’hommes, je me posais des questions sur le sens de ma vie. J’avais un désir, une volonté de recherche de spiritualité, d’intérêt pour tout ce qui est ésotérisme. Je savais que la franc-maçonnerie existait, mais sans savoir très bien ce que cela voulait dire. Ce n’était pas une tradition familiale, mais un grand sujet de discussion avec cette crainte de l’excommunication.

 

La GLNF a des relations très importantes avec la conférence des évêques pour expliquer ce que nous sommes : Nous ne sommes pas des athées, pas des anti cléricaux. Nous partageons entre nous le fait de croire en Dieu, que nous nommons Grand Architecte de l’Univers. Les maçons de la GNLF se renforcent d’ailleurs dans leur croyance ou dans d’autres formes de spiritualité, notamment chez les bouddhistes.

J’ai été initié après différentes rencontres animées de discussions philosophiques. C’est de cette manière que l’on se coopte. On essaie de comprendre quelles sont les motivations des candidats, pour écarter ce qu’on appelle les mauvaises candidatures, ceux qui ont un intérêt personnel, ceux qui croient qu’ils vont avoir une capacité à faire des affaires chez nous. C’est le vieux phantasme ! Est-ce qu’il y en a qui passent à travers ? Probablement oui. Est-ce qu’ils restent chez nous ? Non.

Il faut vraiment être animé d’une quête de perfectionnement, de travail sur soi-même. L’âge moyen de cette prise de conscience est de 35 ans, voire un peu plus. Ce n’est pas toujours facile de se remettre en cause, de suivre un apprentissage pendant au moins une année, durant laquelle on n’a pas droit à la parole. Il y a une structuration de la pensée, de la compréhension, de ce qu’on appelle la bienveillance, la capacité à faire silence en soi, de respecter l’autre… Au fil des années, je me suis senti devenir un homme meilleur dans mes relations avec ma famille, mes relations de travail, mes amis, en développant de la bienveillance, de la compréhension.

Votre profession vous prédisposait-elle à la franc-maçonnerie ?

Non, pas du tout. J’ai eu deux professions dans ma vie. Lors de la première, j’étais dans l’administration, j’étais directeur administratif et financier dans un groupe militaire appartenant à la défense. J’en ai rapidement fait le tour. A l’occasion de formations complémentaires, j’ai rencontré des personnes avec lesquelles j’ai fondé un cabinet d’associés de consulting en organisation, en systèmes d’information.

Ce tournant professionnel et mon engagement maçonnique datent de la même période en 1989 et j’ai été initié à peu près en même temps. Les choses se sont faites un peu en parallèle. Mais ma profession ne m’a pas mené à la franc-maçonnerie. C’était plutôt une envie personnelle d’une réalisation que je recherchais.

Quel a été ensuite votre parcours maçonnique ?

Quand on entre en franc-maçonnerie, on ne se pose pas la question de savoir ce que l’on va devenir, si ce n’est d’être un meilleur maçon. Vous faites d’abord votre travail dans votre Loge, apprentissage, compagnonnage, puis maitrise, la compréhension par des degrés successifs. Et puis à un moment donné, il y a une rupture qui se fait. Vous rentrez au service des autres comme Officier de la Loge. Vous avez un service particulier : Trésorier, Secrétaire, Orateur ou Hospitalier qui va aider ceux qui sont en difficulté. Vous devenez peut-être ensuite Premier ou Second Surveillant, c’est à dire ceux qui seront chargés d’enseigner.

Chaque élément est intéressant, car il vous ouvre une facette que vous n’auriez peut-être pas eu l’occasion d’avoir dans votre vie de tous les jours. Enfin,  à un moment donné, les frères vous disent qu’il est temps pour toi de devenir Vénérable Maitre, c’est à dire celui qui pendant une année ou deux va diriger l’ensemble de ses frères. On atteint l’égrégore spirituel, un état de satisfaction empreint de sérénité générale. Puis on peut vous appeler pour occuper une fonction dite provinciale au service de l’Ordre. Puis par la suite, on vous propose de prendre la direction d’une Province, ce que j’ai fait pendant 6 ans. Après, j’ai été Assistant Grand maitre, puis Député Grand Maitre. Et il y a cinq ans, on m’a proposé le poste de Grand Maître.

 

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Quel est votre regard sur votre fonction de Grand Maitre ?

Certains peuvent avoir des ambitions, mais la vieille habitude maçonnique est que l’on ne réclame jamais. Il faut que ce soit les autres qui vous le proposent. C’est vraiment un état d’esprit très particulier. C’est uniquement quand vous avez développé un certain nombre de qualités, de compétences, de mise à disposition de votre temps, d’implication très forte au service des autres, que l’on vient vous chercher. Cela se passe de manière assez naturelle.

J’ai été désigné Grand Maitre en 2018, après avoir été pendant 6 ans Grand chancelier, Ministre des affaires étrangères, et puis Député, le numéro deux du Grand Maître. J‘ai été réélu en 2021, c’est un mandat de deux fois trois ans maximum. C’est extrêmement important, car il faut que se renouvellent les capacités des uns et des autres à apporter sa pierre à l’édifice. Depuis mon arrivée à ce poste, mon objectif est de développer la formation et l’instruction qui sont des éléments clés pour le développement et la pérennité de notre Ordre.

A l’issue de votre mandat actuel, quelle suite prendra votre engagement maçonnique ?

Les anciens Grands Maitres en GLNF restent impliqués. Ils sont membres d’office du conseil d’administration qui peuvent être consultés par leurs successeurs. La fonction de l’ancien Grand Maître est une fonction extrêmement importante dans le système maçonnique. Il y a l’actif, celui qui est en charge de faire vivre l’Ordre, qui apporte son énergie. Et il y a ceux qui ont donné, et qui sont très heureux d’accompagner

Comment se situe aujourd’hui la GNLF dans la franc-maçonnerie française ?

A l’heure actuelle, nous sommes 33.000 Frères qui couvrent d’une part la métropole, d’autre part des provinces ultra-marines : la Martinique, la Guyane, la Réunion, la Nouvelle Calédonie, Tahiti, et enfin un district international dans lequel nous avons des loges à Singapour, à Bangkok, à Phnom Penh, à Macao et une dernière au Liban. La particularité c’est que ces implantations sont dans des pays où il n’y a pas de loges nationales. Car s’il y avait une loge nationale, nous ne pourrions pas nous implanter au vu des protocoles d’accord que nous avons. La loge de Singapour se développe merveilleusement bien, c’est un peu le chef lieu du district international.

Avez-vous des projets de développement de ce district international?

Tout à fait, on regarde d’autres pays. Peut-être la Corée, le Vietnam. Notre facteur clé est la capacité d’avoir sur place un certain nombre de frères qui vont pouvoir aider, ce qu’on appelle les frères fondateurs, qui seront présents sur place, pendant quelques années et d’avoir une forte population locale française ou d’expatriés.

L’objectif est d’apporter des réponses aux questions que se posent les gens sur leur devenir, leur vision. La maçonnerie régulière croit en la perfectibilité de l’homme afin de s’améliorer et participer à une société meilleure. C’est toute la différence entre la maçonnerie régulière dont nous faisons partie et l’autre maçonnerie dite irrégulière qu’on appelle plutôt libérale.

La Franc-maçonnerie comprend deux grandes familles : Celle du Grand Orient, qui n’hésite pas à faire des travaux politiques et sociétaux, qui va prendre position dans le cadre de leurs travaux de loge. Celle de la GLNF, qui avec 250 autres loges à travers le monde, pratique la croyance en un Grand Architecte de l’Univers. A la GLNF, nous n’abordons jamais en tenue de sujets à caractère politique ou religieux car ils sont sources de divergences et on ne veut pas de divergences entre nous

 

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Comment justifiez-vous aujourd’hui d’interdire la franc-maçonnerie aux femmes au sein de la GLNF ?

Vous abordez là la question très particulière de la masculinité dans laquelle les grandes loges régulières se réunissent, tout en reconnaissant bien évidemment qu’une franc-maçonnerie régulière féminine existe. Régulière au sens où elle pratique les mêmes systèmes que les nôtres, sauf qu’elles ne reçoivent que des femmes. Il existe également en France une maçonnerie mixte depuis la fin du 19ème siècle avec le Droit Humain. Une partie du Grand Orient de France s’est féminisé depuis une dizaine d’année, en phase avec son mouvement sociétal et politique.

Quelle est la raison de votre venue à Singapour ?

J’arrive de Los Angeles où la grande loge de Californie a autorisé la création d’une loge France qui permet à des Frères français expatriés de vivre la maçonnerie dans leur langue d’origine.

Lors de mon étape à Singapour où je n’étais pas venu depuis trois ans, j’ai rencontré les Frères puis je vais m’envoler ensuite pour la Nouvelle Calédonie, où nous avons une Province. En tant que Grand Maitre, on essaie de visiter une fois, voire deux fois, dans son mandat les Frères en outre-marin ou à l’international.

Qui avez-vous rencontré à Singapour? Sur quels sujets ont porté vos discussions ? Quelles sont vos relations avec les obédiences locales ?

J’ai rencontré les apprentis, les compagnons et les maitres ainsi que  les Grands Officiers du district. J’ai rencontré le représentant du District anglais avec lequel nous avons de très bonnes sympathies. J’aurais pu aussi rencontrer le District écossais qui partage la même conception maçonnique que la nôtre. Lors de mon dernier passage à Singapour, j’avais participé à une réunion publique, j’étais alors Député Grand Maitre. C’était une conférence ouverte aux profanes.

C’est une approche un peu nouvelle. Pendant très longtemps, nous étions plutôt dans la confidentialité. On ne dit pas secret. On pensait que l’on n’avait pas besoin de faire de publicité, que l’entrée en franc-maçonnerie se faisait surtout par parrainage.  Mais nous nous sommes rendus compte qu’il était nécessaire d’expliquer ce que nous sommes et ce que nous ne sommes pas. Il y a dans certains endroits de France de l’anti-maçonnisme, cela a toujours existé. Il est donc important d’expliquer certaines choses. « Vous servez à quoi ? » Cela me permet notamment d’expliquer que les francs-maçons servent à faire le bien.

Comment portez-vous vos actions caritatives ?

Ici-même à Singapour, les Frères participent à un fonds particulier qui gère une somme importante. Nous avons aussi sur le plan national une Fondation de la GNLF, qui s’est mobilisée sur de nombreux sujets, lors de conflits, l’Ukraine par exemple, lors de tremblements de terre, comme en Turquie, au Maroc ou à Haïti. La fondation s’intéresse ainsi à l’enfance en difficulté, l’enfance en maladie. Nous avons un grand programme pour les jeunes aveugles, pour les aider par le financement d’un chien d’aveugle, ou de matériel informatique spécialisé, ou nous participons à des soutiens d’opérations d’enfants ne pouvant pas être opérés dans leur pays ou par le bais de partenariat pour la fabrication de main et de prothèse, en 3 D,…

On est très impliqués dans la Fondation. Pour nous, cela va au delà de notre croyance. C’est  aussi une manière de répondre au monde qui nous interroge : On est ouvert aux autres… On n’a pas le même degré d’implication qu’ont les pays anglo-saxons, où les « charities » sont extrêmement importantes. Des millions de dollars y sont récoltés. Ils sont propriétaires de cliniques, d’hôpitaux. En France on a un système social qui fonctionne déjà bien, notre action caritative est un complément nécessaire de faire le bien.

Comment rejoindre la GNLF si le candidat à l’initiation ne connaît aucun maçon dans le pays où il réside ?

Généralement un candidat potentiel est « approché » par des francs-maçons de son entourage ou alors il manifeste son intérêt auprès de personnes qu’il a identifiées comme maçons et qui pourront répondre de lui. Ces francs-maçons pourront alors le parrainer. Si le candidat ne connaît aucun maçon ou s’il n’existe pas à sa connaissance de Loge dans le pays dans lequel il réside, il peut alors adresser un email sur le site de la Grande Loge Nationale Française. Une fois contactée, l’Obédience choisira de donner suite ou non, et de transmettre la demande à une Loge du pays du candidat potentiel. Cette Loge décidera à son tour si elle veut aller ou non plus loin avec cette candidature. Il s’agit de s’assurer que les candidats à l’initiation comprennent bien qu’ils ne vont pas participer à des questions de société, que nous ne sommes pas un club, un parti politique ou un mouvement de citoyens.

Nous avons des sites internet, on intervient sur les réseaux sociaux, ce qu’on ne faisait pas avant. Nous sommes sur Facebook ou Tiktok. Ce n’est pas destiné à faire appel à de nouveaux candidats, mais à expliquer qui nous sommes. L’idée c’est de donner une bonne image de ce que nous sommes.

 

Jean-Pierre Rollet Laurence Huret
Jean-Pierre Rollet et Laurence Huret

Cette interview se situe dans le cadre d’articles sur la Franc-maçonnerie, publiés par Lepetitjournal.com à Singapour, notamment :

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