Saviez-vous que Singapour est le pays ayant la plus grande diversité religieuse au monde ? C’est donc l’endroit idéal pour dialoguer avec des croyants et découvrir les autres religions ! Lepetitjournal.com a rencontré François Bretault, engagé dans le dialogue inter-religieux depuis plus de 30 ans à Singapour. Sa femme et son fils sont Singapouriens. François voulait initialement devenir prêtre catholique et a passé trois ans au séminaire. Il a enseigné dans diverses institutions, notamment à l’Alliance française, et a participé à de nombreuses initiatives pour favoriser l’harmonie entre les religions.
François, qu’est-ce qui vous a amené à Singapour ?
C’est une longue histoire qui commence en Anjou, où je suis né. Mes parents, agriculteurs, étaient très engagés dans l’action catholique, notamment en participant au CMR (Chrétiens du Monde Rural), association de laïcs qui vise à apporter leur contribution pratique pour bâtir un avenir solidaire dans les campagnes.
J’ai suivi leurs pas en joignant l’ACE (Action Catholique des Enfants), puis le MRJC (Mouvement Rural de Jeunesse Chrétienne). J’ai passé mon enfance à La Pommeraye, siège de la congrégation des sœurs de la Providence de La Pommeraye, une organisation qui apporte une aide concrète aux populations locales en Amérique, en Afrique et en Asie. J’ai fréquenté une école privée catholique, c’était la seule école de mon village en fait. Nous avions ainsi souvent l’occasion de bénéficier de conférences par des religieuses qui nous racontaient leur expérience à l’étranger. Cela a nourri mon attrait pour les autres mondes. J’étais d’autant plus intéressé que je souhaitais éviter le service militaire en faisant mon service dans la coopération.
Vers 15 ans, j’ai fait part à mes parents de mon souhait de devenir prêtre. Sans s’opposer à cette vocation, mes parents m’ont conseillé de commencer par terminer mes études, dans lesquelles je réussissais plutôt bien. A 18 ans, mon Bac C en poche, je suis allé passer les deux premières années du cursus menant à la prêtrise au séminaire d’Angers. A l’issue de cette première étape, compte tenu de mon jeune âge, on m’a conseillé de me frotter au monde réel pour conforter ma vocation. Je suis donc allé à l’Institut Catholique de Paris pour passer une licence en sciences économiques et sociales. Puis vint l’heure du Service National. Par l’intermédiaire la Délégation Catholique pour la Coopération (https://ladcc.org/ ), on m’a proposé de faire mon service à Singapour. J’étais plutôt branché sur l’Afrique, j’avais suivi quelques cours d’ethnologie à l’université et la langue n’était pas un obstacle. Mais après quelques jours de réflexion, la curiosité l’a emporté et j’ai accepté cette proposition. C’est comme cela que j’ai atterri ici en 1990 à l’âge de 22 ans.
Que s’est-il passé ensuite ?
Mon poste consistait en deux emplois à mi-temps : l’un dans une paroisse, l’autre comme professeur à l’Alliance Française. Ce second poste a pris plus de temps que prévu, ce qui ne me laissait guère de loisirs. Je logeais à la procure des prêtres des Missions Etrangères de Paris (MEP) sur la paroisse de l’OLPS à Siglap. J’ai eu alors beaucoup de contacts avec les prêtres français des MEP qui sont présents dans la région depuis plus de trois siècles. Ils m’ont permis de découvrir les différentes facettes de Singapour et de Malaisie en profondeur.
A la fin de mon service national, j’ai décidé de revenir en France pour reprendre le séminaire en me posant pas mal de questions. Après six mois, je me suis rendu compte que je n’étais pas fait pour une vie de prêtre, particulièrement en France, où du fait du manque de prêtre, le rôle est essentiellement sacramentel et moins axé sur l’action sociale qui était ma véritable vocation. Mais je n’ai jamais regretté ce passage au séminaire qui m’a énormément apporté humainement. Pendant 6 mois, j’ai eu plusieurs emplois successifs, avant de décider de repartir sur Singapour, qui m’avait beaucoup plu, notamment du fait de sa diversité culturelle et religieuse, et où je savais que je pourrai trouver un emploi. En effet, l’Alliance Française, satisfaite de mes services passés, était prête à me reprendre comme professeur à plein temps. En 1995, j’ai rencontré Catherine, une Singapourienne, avec qui je me suis marié trois ans plus tard. En 2000, nous sommes allés en France pour un break. J’y ai enseigné le français, tandis que mon épouse, qui parle parfaitement le français, y enseignait l’anglais.
En 2002, nous sommes retournés à Singapour. J’ai longtemps travaillé à l’Alliance Française, où je me suis notamment occupé de la classe de chant, mais peu à peu, après avoir passé une maîtrise en enseignement du français langue étrangère, je me suis engagé dans d’autres institutions : Nanyang Polytechnic, NTU, NUS, SMU, NAFA. En 2009, est né notre fils Yann. Aujourd’hui, j’enseigne toujours à NUS, SMU et NAFA, mais aussi à la SJI (St Joseph Institution) International School. Par ailleurs, j’ai participé à la fondation de l’Association des Professeurs de Français de Singapour (APFS), dont j’ai été le vice-président pendant 4 ans.
J’ai cru comprendre que vous étiez très engagé dans le dialogue interreligieux. Pouvez-vous nous en dire plus ?
Dès mon arrivée à Singapour en 1990, j’ai été intéressé par les aspect interreligieux. Ayant été bercé dans le catholicisme toute ma jeunesse, j’avais hâte de découvrir d’autres façons d’appréhender le monde. Il est vrai que Singapour est un véritable laboratoire en la matière, car la plupart des religions y cohabitent. A l’époque, le seul organisme interreligieux était l’IRO (Inter-Religious Organisation) : c’est l’une des plus anciennes organisations de ce type dans le monde, regroupant les 10 religions officiellement reconnues à Singapour et permettant des échanges harmonieux entre elles. J’en suis devenu membre, mais c’est une organisation plutôt représentative et trop formelle à mon goût.
C’est à travers mes étudiants de l’Alliance Française que j’ai découvert la réalité des différentes religions ; en effet, ils m’emmenaient visiter divers lieux de culte en m’expliquant les spécificités de chacun d’eux. Tout cela donnait vie à ce que j’avais étudié lors de mes études au séminaire où nous avions eu des présentations approfondies de différentes religions.
En 2005, j’ai fait la connaissance de Bruno Saint Girons, un prêtre des MEP qui partageait le même attrait que moi pour le dialogue interreligieux. Il m’a fait connaitre l’organisation EIF (Exploration Into Faith), qui organise des dialogues entre les différentes religions et écoles de pensée (y compris les athées). J’en ai suivi le programme de formation pour devenir un « facilitateur » apte à animer des débats sur ce sujet particulièrement délicat à Singapour. Je suis maintenant régulièrement sollicité pour animer de telles discussions.
En 2019, on m’a contacté pour démarrer avec 9 autres personnes de différentes religions (en tout 6 hommes et 4 femmes) le CIFU (Centre for Interfaith Understanding), une ONG qui vise à aborder des sujets pratiques relatifs à la coexistence des différentes religions et courants de pensée dans un esprit d’inclusivité, en étant particulièrement attentif aux religions moins connues, à la place des femmes, des personnes LGBT, des non-croyants, etc... Un pôle d’action est académique (conférences, discussions, publications de livres…) et un autre est plus de l’ordre de la praxis (formation d’animateurs, actions caritatives, organisation d’évènements…). Un de mes sujets de prédilection est l’aide aux couples interconfessionnels, sur lesquels je suis en train de rassembler des témoignages en vue d’écrire un livre sur les difficultés pratiques qu’ils rencontrent dans le contexte singapourien.
Pendant quatre ans, j’ai fait partie du Conseil diocésain pour le dialogue interreligieux (ACCIRD) (https://catholicnews.sg/tag/accird/ ). Dans des domaines un peu différents, j’ai aussi été membre de CARE (Catholic AIDS Response Effort), qui vise à aider les malades du SIDA qui rencontrent des difficultés, notamment à se loger, et je suis engagé avec ma femme au ‘Marriage Encounter’ (https://wwmesg.org/ ), une organisation catholique visant à aider les couples à renforcer leur communication pour s’inscrire dans la durée, notamment à travers un week-end ouvert aux couples mariés, quel que soit leur religion. Je suis aussi correspondant à Singapour d’« Églises d’Asie » , la plateforme d’information des MEP (https://missionsetrangeres.com/eda/ ).
En fait, je pourrai parler des heures sur ce sujet qui mériterait un article à lui seul. Pour un échantillon de mes réflexions, je vous invite à consulter mon blog « Singapour au pluriel ».
Comment voyez vous votre avenir ?
J’ai envie de vous répondre avec une citation de Saint Exupéry : « Pour ce qui est de l’avenir, il ne s’agit pas de le prévoir, mais de le rendre possible. » J’ai tendance à ne pas me projeter très loin dans le futur parce qu’on ne sait jamais ce que demain nous réserve comme surprise. J’aime bien ma vie à Singapour et ma priorité reste toujours ma vie de famille ; alors rester ici, retourner en France ? On verra bien… en attendant, j’aimerais pouvoir continuer à essayer d’apporter ma pierre à la construction du vivre ensemble.
Ce portrait se situe dans la série d’articles visant à donner la parole et mettre en lumière des Français et francophones résidant à Singapour depuis 20 ans ou plus.