Les aléas de la vie d'épouse d'entrepreneur ont amené Christine Etcheparre à Singapour avec ses deux enfants, alors âgés de 3 et 5 ans. En juillet 1990, elle quitte New-York où elle vivait depuis plus de 10 ans, pour suivre son mari Jean qui travaillait à Singapour dans ce qu'on appelait encore l'informatique, avant que cela ne devienne le numérique. Après une période d'adaptation, Christine rejoint le groupe Technip, pour une collaboration riche et intense de près de 20 ans. Elle tourne la page en 2016 et commence une nouvelle aventure en rejoignant Harmony & Mobility Consulting, cabinet international de coaching et de conseil en gestion de carrière.
Christine, quels souvenirs gardez-vous de Singapour à votre arrivée?
Je me souviens du jour de notre arrivée comme si c'était hier : la moiteur et la douceur de l'air qui nous ont accueillis à la sortie de l'aéroport Changi, l'East Cost Parkway bordé de bougainvilliers en fleurs dont les couleurs vives tranchaient avec la mer grise sous le ciel sombre du petit matin. Cette abondance de végétation tropicale incorporée dans le centre urbain est probablement la meilleure image que je conserve du Singapour de ces années.
Un temps où Takashimaya n'existait pas, où Orchard road était encore bordée d'anciennes shop-houses et de belles villas avec jardin dont l'Ambassade de Thailande reste l'unique exemple, où Sentosa était encore une petite île ignorée des touristes, presque sauvage et Boat Quay une série d’entrepôts plus ou moins à l’abandon.
Quels évènements vous ont le plus marquée ?
En évoquant ces souvenirs et en essayant d'effectuer un tri parmi les événements qui me reviennent en mémoire, je me rends compte que c'était il y a bien longtemps et je crains que vos lecteurs n'aient du mal à reconnaitre le Singapour d'aujourd'hui.
Je vais donc me limiter à citer rapidement et au hasard : L'ouverture du Night safari en 1994. L'arrivée de Carrefour en 1997 avec l'énorme magasin de Suntec City, à l'intérieur duquel les vendeurs ne circulaient qu'en patin à roulettes. Les incroyables coupons qu'il fallait acheter, perforer et placer sur le parebrise de sa voiture pour pouvoir pénétrer dans la CBD. La formidable renommée acquise par la France en 1998, suite à la victoire de l'équipe de France de football à la coupe du monde. Tous les chauffeurs de taxi de l'époque connaissaient les noms des joueurs français !
Il me semble que tout s'est soudainement accéléré au début des années 2000, peut-être avec l'accès et la généralisation d'internet. Cette transformation, planifiée et préparée depuis longtemps, me semble s'être effectuée en douceur, sans bruit sans qu'on s'en aperçoive. Elle a entrainé une modernisation profonde de la ville et de la façon d'y vivre. Soudainement, la ville s'est verticalisée avec par exemple la construction du Pinnacle, immeuble d’habitation le plus haut du monde à l’époque avec ses 52 étages et 7 tours. C’est depuis son sommet que le Premier Ministre a fait son discours le jour de la fête nationale, le 9 août 2009. De nouveaux quartiers sont apparus, absorbant progressivement les espaces verts et une partie des vestiges du passé colonial. Le quartier de Fusianopolis à partir de 2005 ou celui de Marina Bay en 2010 avec le célèbre hôtel à l'architecture d'avant-garde qui a fait connaitre Singapour au monde entier, puis les Gardens on the Bay...
Je ne peux pas terminer cette évocation de Singapour sans mentionner son père fondateur, Mr. Lee Kuan Yew et ses obsèques, le 29 mars 2015 sous une pluie diluvienne dans un ciel désespérément gris qui semblait s'associer au deuil de la nation.
Quels ont été les challenges professionnels et personnels auxquels vous avez dû faire face ?
Sur le plan professionnel, après une période d'adaptation pendant laquelle j'ai collaboré aux projets de mon mari dans une "flatted factory" du Singapour industriel de l’époque, j'ai rejoint le groupe Technip dont le siège en Asie était à Kuala Lumpur et qui souhaitait s'implanter à Singapour ; Ce fut le début d'une collaboration riche et intense de près de 20 ans !
Après des études très littéraires à La Sorbonne, aux Langues O puis à Sciences Po, j'ai pénétré dans un monde d'ingénieurs encore essentiellement masculin, mais heureusement déjà très international. Ayant vécu et travaillé au Japon et aux Etats-Unis, j'étais consciente de l'importance des différences culturelles, et savais qu'il me faudrait faire preuve d'humilité et de patience. Il m'a fallu un peu de temps pour trouver ma place et bien comprendre la nature des relations entre Singapour et la Malaisie... Ce ne fut pas facile, j'ai dû beaucoup travailler et apprendre, composer et m'adapter au gré des projets et des fusions au sein du groupe.
20 ans après, je suis fière de ce que j'ai contribué à créer, animer et développer et de tout ce que j'ai contribué à accomplir pour le groupe.
Tourner la page en 2016 fut triste et difficile mais m'a offert une formidable opportunité, commencer une nouvelle aventure ! J'ai rejoint Harmony & Mobility Consulting, cabinet international de coaching et de conseil en gestion de carrière, qui accompagne le développement des talents et des équipes. C’est une équipe féminine très dynamique, dotée d'une vaste expérience internationale, valorisant professionnellement l'écoute et la bienveillance, centrée sur l'être humain, son organisation, ses aspirations et ses difficultés. Cette collaboration au sein d'une équipe multigénérationnelle est formidablement enrichissante. Nos échanges et réflexions sur l'Homme et sa place au sein du monde du travail d'aujourd'hui et de demain me passionnent.
Culturellement je suis française et je tenais à transmettre cette culture à mes enfants. Il était donc important qu'ils aient accès au système éducatif français. Ils sont très fiers de compter parmi les quelques élèves du LFS qui y ont effectué l'intégralité de leur scolarité. D'abord à Bukit Tinggi, ils conservent un souvenir ému de la cantine ouverte sur la nature et des singes de la jungle voisine qui facétieux, dérobaient les cartables, puis à Thompson Road et enfin à Ang Mo Kio.
Quel appui vous ont apporté les différentes institutions françaises ?
La présence de l'administration française a largement facilité notre implantation et notre vie à Singapour. Sans elle, il est probable que nous ne serions pas restés si longtemps ! En particulier, le Consulat toujours disponible et très présent, dont le soutien solide a été très apprécié dans les moments difficiles.
Au cours de toutes ces années, la communauté française s'est considérablement agrandie, transformée et organisée. Et vous avez raison, Il faut rappeler tous les efforts déployés par les services économiques de l'Ambassade et la Chambre de Commerce pour le succès et le développement de cette présence. J'ai été très heureuse de pouvoir m'y impliquer et apporter une modeste contribution, d'abord en siégeant au Board de la Chambre de commerce pendant quelques années, puis en tant que Conseiller au Commerce Extérieur. Je conserve un excellent souvenir de nos réunions de partage d'expérience, d'échange sur nos espoirs ou nos difficultés ainsi que des efforts fournis par chacun en ce sens.
Comment voyez-vous la situation actuelle à Singapour dans le contexte de la pandémie ?
La crise actuelle me rappelle évidemment celle du SRAS en2003, où soudainement tout le monde s'est senti vulnérable et menacé. Je me rappelle en particulier que le LFS a fermé du jour au lendemain et je me souviens d'un voyage entre Singapour et Paris à la fin de cette crise à bord d'un avion transportant seulement une trentaine de passagers !
Comment envisagez-vous votre avenir ?
Bénéficiant du statut de Résident Permanent à Singapour, j'aimerais pouvoir vous dire sans aucune hésitation que je vais rester à Singapour pour encore les trente prochaines années, mais honnêtement je n'en suis pas sûre.
D'un côté, je me sens vraiment ancrée à Singapour où me retiennent des liens solides avec des amis singapouriens ou occidentaux, des souvenirs, la cuisine locale, le climat et la végétation luxuriante dont je suis tombée amoureuse... D'un autre côté, mes enfants et leurs familles travaillent et vivent l'un en France et l'autre entre la Chine et les Etats-Unis, et désormais c'est en France que nous pouvons nous réunir. Je m'inquiète de l'éloignement et des distances, elles sont importantes et malheureusement un temps viendra où elles constitueront un véritable obstacle.
Pour l'instant j'essaie d'organiser ma vie entre les deux, avec un pied à Singapour et l'autre en France et puis après on verra...
Dans le cadre de l’anniversaire des 20 ans de lepetitjournal.com, l’édition de Singapour a souhaité donner la parole et mettre en lumière des Français et francophones résidant à Singapour depuis une vingtaine d’années.