Delphine Leon est arrivée à Singapour en 1998, avec un Diplômée de l’Ecole Camondo comme Architecte d’intérieur et design de produits d’environnement. Elle a pris l’avion avec un sac à dos, un billet aller-retour, 500 francs, des CV et la ferme intention de trouver du travail… A l’époque, Singapour promouvait les métiers créatifs. Ils étaient en manque de « foreign talents », car il n’y avait pas encore toutes ces écoles d’arts qui ont fleuri depuis. Delphine a eu la chance d’arriver avec le bon diplôme, au bon endroit, au bon moment. Elle a trouvé un travail en quelques jours et y a rencontré son mari. Ils sont depuis lors installés à Singapour, leurs filles y sont nées et y grandissent encore.
Delphine, pouvez-vous nous raconter vos premières années à Singapour ?
Après 4 années à travailler dans un cabinet qui réalisait essentiellement des bureaux, j’ai eu envie de voler de mes propres ailes. Je fais un métier qui se nourrit d’expériences et je ne voulais pas être cantonnée au design de bureaux. En 2002, j’ai ouvert ma propre compagnie, avec un associé qui sortait de la même école. Nous rêvions de recréer à Singapour un Concept store à la parisienne. Nous avons ouvert nos bureaux – d’apres nous - dans une shophouse qui servait de showroom. Nous offrions nos services d’architectes d’intérieur. Nous désignions et réalisions toute une gamme de meubles, ainsi que des meubles sur mesure. Et nous distribuions des belles marques françaises pour la maison (Sabre, Garnier Thiebaut…).
Nous n’avions juste pas réalisé que Singapour n’était pas encore prête pour cela ! Après une 1ère année difficile, Nicolas, mon associé a eu l’opportunité de travailler pour Chanel. Je suis restée seule jusqu’en 2007, jusqu’au moment, où avec Guillaume, un ancien collègue, nous avons décidé de joindre nos forces. Nous avons renommé la compagnie d’apres nous D&B pour « Design & Built ». J’ai séparé les 2 activités : Service et Boutique. J’ai finalement fermé cette dernière en 2009.
La société telle qu’elle existe aujourd’hui réalise des projets clés-en-main, incluant design et travaux, et s’est développée au fil des années. Nous avons aujourd’hui un très beau portefeuille de clients, allant des bureaux, aux hôtels, F&B et résidentiel.
Quels souvenirs gardez-vous de Singapour lors de votre arrivée ? Quels sont les évènements qui vous ont le plus marqués ?
A mon arrivée à Singapour, je suis restée bouche bée devant la végétation luxuriante le long de la route. Par contre, j’ai été déçue d’arriver sur une île, où l’on n’avait aucune connexion avec la mer.
Le décès de Lee Kuan Yew en 2015, m’a énormément touchée. J’ai été frappée par cette ferveur populaire, qui était le reflet de la grandeur de l’homme. Le Tsunami en 2004 nous a également marqués, son impact sur toute la région, ainsi que les mouvements de solidarité qu’il aura fait naitre. Heureusement, il y a aussi eu des évènements plus joyeux, comme la construction d’Esplanade en 2002, qui a ouvert Singapour à la scène artistique internationale.
Quels ont été les challenges professionnels et personnels auxquels vous avez dû faire face ?
Pour le concept store, nous avons mis des années à réaliser que nous étions trop en avance. Nous amenions les nouvelles collections dès qu’elles sortaient en France. Or, le public singapourien n’était pas prêt, il avait besoin d’avoir vu dans la presse déco pendant 6 mois les nouveaux produits, avant de les vouloir. Les Singapouriens achetaient donc toujours en solde ! Nous ne perdions pas d’argent, mais ne dégagions pas de bénéfices.
Pour la partie architecture d’intérieur, quand je suis arrivée, les clients ne voulaient pas payer pour ce service, car ils avaient l’habitude de passer par des entreprises de construction et ne comprenaient pas la valeur ajoutée d’un designer. Au fil des années, les mentalités ont évolué et ils ont accepté que ce service soit payant.
Avec les entrepreneurs, il y avait toujours des conflits, car ils étaient réfractaires aux changements et aux nouvelles idées (méthodes de constructions). On devait se battre pour leur expliquer que certains designs étaient réalisables et que le problème venait de leur manque d’expérience, plutôt que des challenges techniques. Après réalisation, Ils étaient ravis de voir le résultat !
Quel a été l'appui que les différentes institutions françaises vous ont apporté ? La FCCS ? L'Ambassade?
Le bouche à oreille a toujours été un excellent vecteur à Singapour. La communauté française était petite (2500 – 3000 personnes enregistrées), il était facile de se rencontrer. Il m’a toujours paru évident de faire partie de la FCCS, je m’y suis inscrite dès l’ouverture de notre société. J’ai fait partie du Comité évènementiel pendant quelques années et aidé à l’organisation des galas annuels.
L’équipe de la Chambre de commerce, avec à sa tête Carine Lespayandel, a fait un travail extraordinaire et a développé la FCCS pour devenir ce qu’elle est aujourd’hui. Nous avons eu la chance de faire leurs 2 bureaux à Liat Tower. Récemment, j’ai participé au « Women Mastermind » et y ai découvert une communauté dynamique et prête à s’entraider.
L’Ambassade, quant à elle, a toujours été efficace pour répondre à mes besoins administratifs.
Comment voyez-vous la situation actuelle à Singapour dans le contexte de la pandémie ? Sur le plan professionnel ? Extra-professionnel ? Familial ?
La pandémie nous a touchés de plein fouet. Tous les projets de rénovations ont été annulés ou repoussés sine die. Nous sommes conscients que les entreprises doivent repenser leur façon de travailler, que ce soit un retour au bureau, travailler de la maison ou trouver des solutions agiles. Le bureau « agile » est un concept dont nous avons fait une spécialité et que nous prônons depuis longtemps. La pandémie a mis en lumière la viabilité du modèle hybride (maison/bureau/ailleurs) auquel nous avons toujours cru et sur lequel repose le concept ABW (Activity Based Working).
Personnellement j’ai profité de ce moment de répit pour me former. Je viens de terminer une formation sur la Stratégie & l’Innovation avec le MIT, Columbia & Tuck. Je vais pouvoir repenser mon métier et repartir sur des bonnes bases. Je suis en train de travailler sur un nouveau projet, qui j’espère verra le jour cette année. Quant à mon époux, il travaille pour une société américaine de B2B dans la fintech. Il n’est pas touché par la crise pour le moment. Nos enfants sont nés ici et sont scolarisées en école internationale.
Comment envisagez-vous votre avenir ? A Singapour ? En France ? Ailleurs ?
Après 23 ans à Singapour, il est difficile de nous projeter ailleurs. Nous sommes très attachés au pays et y avons développé de belles amitiés avec des Singapouriens et expatriés de toutes nationalités, qui sont comme nous ici depuis très longtemps.
La diversité des profils (et de culture) que Singapour nous offre est un atout majeur qui nourrit notre curiosité et notre ouverture d’esprit au quotidien. Quand le jour du départ viendra, nous aurons très certainement beaucoup de mal à laisser derrière nous ce pays qui nous a tant apporté.
Dans le cadre de l’anniversaire des 20 ans de lepetitjournal.com, l’édition de Singapour a souhaité donner la parole et mettre en lumière des Français et francophones résidant à Singapour depuis une vingtaine d’années.
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