Le 27 avril dernier, l'Ambassadrice SEM Minh-di Tang a remis le titre de Chevalier dans l'Ordre des Palmes Académiques à David Binan, Proviseur de l’International French School (IFS) depuis janvier 2022. Originaire des Hauts de France, David Binan a débuté sa carrière en France comme enseignant en lycées généraux et professionnels, avant de partir en Turquie en qualité d’attaché linguistique, puis comme enseignant expatrié de Lettres-Histoire en Australie. Après un virage professionnel à l’Ambassade de France en Bulgarie, il a obtenu ses premiers postes de Proviseur adjoint en France, puis au Lycée français international G. Pompidou de Dubaï, avant de retourner en Australie, au Lycée franco-australien de Canberra, cette fois-ci comme Proviseur. La cérémonie qui s'est tenue à la Résidence de France reconnaît ses contributions exceptionnelles dans le domaine de l'éducation nationale. Toutes nos Félicitations à David Binan !
Lors d’un entretien exclusif avec Laurence Huret pour lepetitjournal.com le 30 mai 2022, David Binan nous avait raconté son parcours, était revenu sur le bilan de ces deux années de pandémie, avant de nous exposer son projet d’établissement et d’évoquer l’avenir de l’IFS.
David, vous avez eu une carrière très riche, en France, comme à l’étranger, pourriez-vous nous la présenter ?
Débuts de carrière dans les Hauts de France…
Je suis issu d’une famille de modestes agriculteurs des Hauts de France, pour laquelle les études longues n’étaient pas vraiment dans l’ordre des choses. Après avoir fait Hypokhâgne, Khâgne et notamment traduit du latin, des annales royales écrites au Haut Moyen Age afin d’obtenir une maîtrise en Histoire médiévale, je suis devenu, par la voie des concours, professeur d’histoire géographie, puis professeur de Lettres-Histoire. Ma carrière d’enseignant a ainsi débuté auprès de publics d’abord de lycée général, puis de lycée professionnel. Très attaché à aider les jeunes ayant le moins de facilités scolaires, je souhaitais - et je souhaite toujours - à mon niveau, contribuer à maintenir l’école comme ascenseur social. Mon parcours de professeur en France et à l’étranger s’est également enrichi d’expériences d’enseignement du latin, de la musique, du français langue étrangère, de culture et civilisation françaises avec des apprenants de tous âges.
… avant la Turquie et l’Australie.
Au début des années 1990, à l’âge de 24 ans, je suis parti en Turquie comme Volontaire du Service National Actif (VSNA). Première expérience en ambassade comme attaché linguistique, en développant mes compétences de l’enseignement audiovisuel du français Langue Etrangère par le biais de la télévision d’Etat, en contribuant à la mise en place d’un département de français Langue Etrangère Appliquée à la banque et à la finance dans une université privée ou encore en élaborant avec des universitaires turcs, les écrits des concours d’accès au corps des professeurs de français. A l’issue de mes deux années de service, je suis resté à Ankara; fort d’une certaine expertise, j’ai travaillé au lycée français, à l’Institut français et dans deux lycées turcs avec filières bilingues francophones. Je fus même pour l’un de ces établissements, conseiller pédagogique. Ce fut une expérience de cinq années très riche qui m’a beaucoup apporté, dans un pays extraordinaire, historiquement, culturellement et artistiquement.
De retour dans ma région française d’origine, j’ai enseigné en lycée général, collège et lycée professionnel, avant de repartir en 1997 pour six années en tant qu’enseignant expatrié au lycée franco-australien de Canberra dont je me suis imprégné du contexte bilingue. Des projets scolaires montés avec le concours de l’Alliance française m’ont amené à organiser des expositions ou à tenir des conférences sur des sujets d’actualité et d’Histoire comme celle sur le mythe de la Frontière dans l’Australie du dix-neuvième siècle qui fut l’aboutissement d’un travail de deux années avec mes élèves et mes collègues, traitant de l’arrivée des migrants européens et asiatiques, de leurs relations à l’espace, aux éléments, de leurs relations avec les populations aborigènes, et ce, dans le cadre des célébrations du centenaire de la Fédération australienne en 2001. Un article sur l’éducation à la citoyenneté dans un ouvrage didactique australien est venu clore ce premier séjour professionnel aux antipodes.
Virage professionnel avec un poste d’attaché de coopération pour le français à l’Ambassade de France en Bulgarie
Après l’Australie, le Ministère des Affaires Etrangères m’a confié un poste d’attaché de coopération/ attaché culturel en Bulgarie, non pas dans la capitale, mais à Veliko Tarnovo où se trouvait une antenne de l’Institut français depuis la chute du Mur. Là s’y trouvait un enseignement très poussé de la littérature française avec des universitaires férus de linguistique ou encore de l’Heptaméron de Marguerite de Navarre… Outre le soutien que j’apportais à celles et ceux qui s’efforçaient de faire rayonner la langue de Molière, mon objectif était aussi de démontrer par diverses actions que la langue française était une langue très actuelle offrant de belles perspectives professionnelles au même titre que la langue de Shakespeare. Pour ma dernière année bulgare, je suis parti avec ma famille, nous installer, sur les bords de la Mer Noire, à Varna, deuxième ville du pays, où j’ai développé une nouvelle antenne de l’Institut français. A l’époque notre fille étant en âge d’être scolarisée, mon épouse et moi y avons créé une petite école qui a jeté les fondations de ce qui est devenu par la suite, le lycée français de Varna.
De Proviseur Adjoint en France et aux Emirats Arabes Unis…
Après la Bulgarie, nouveau passage en France où j’ai souhaité reprendre mes activités d’enseignant. Cela faisait longtemps que j’avais quitté la France et c’était important pour moi de reprendre contact avec le terrain. De fil en aiguille, détenteur du concours de personnel de direction en 2009, je suis devenu Proviseur Adjoint d’abord dans un lycée des métiers - ébénisterie, tapisserie et broderie- à Saint Quentin dans l’Aisne, puis au lycée général et technologique Paul Claudel de Laon, deux établissements avec du Post-Bac et des internats importants.
En 2012, j’ai eu la chance d’être une nouvelle fois retenu par l’Agence pour l’Enseignement Français à l’Etranger pour aller exercer au lycée français international Georges Pompidou de Dubaï, comme Proviseur adjoint. Et pendant près de 5 années, j’ai accompagné, notamment par le biais de projets immobiliers, la croissance de cet établissement réparti sur plusieurs sites et qui a fini par atteindre à mon départ, près de 3000 élèves.
… à Proviseur du lycée franco-australien de Canberra et de l’”International French School of Singapore”.
Après Dubaï, j’ai été nommé, en août 2017, à la tête du Lycée franco-australien de Canberra, établissement bilingue déjà mentionné, binational, doté d’une double gouvernance et de pas mal de défis à relever comme l’articulation entre les curricula français et australiens.
Ma nouvelle mission australienne devait s’achever en juillet 2022, mais, au mois d’octobre/novembre dernier, l’AEFE me propose la direction de l’”International French School” de Singapour, proposition qui m’a honoré et que j’ai acceptée.
Quel est fil conducteur de votre parcours ?
J’ai toujours été animé par la passion de transmettre un savoir, un savoir faire, un savoir être. J’ai toujours souhaité faire de nos élèves, des citoyens du monde, responsables et actifs, connaissant, comprenant et acceptant l’autre, des citoyens contribuant à une société plus juste et plus inclusive. M’a toujours habité le souci de donner à nos jeunes, les outils qui leur permettront de gérer leur vie d’étudiants, d’adultes, les outils qui leur permettront de relever tous les défis qui se présenteront. Mon objectif est aussi de rendre nos jeunes, maîtres de cet esprit critique - une critique constructive- si cher au système éducatif français et dont se revendiquent avec fierté tous mes anciens élèves ayant gardé le contact avec moi.
L’ouverture sur le monde est une chance incroyable que nos établissements français de l’étranger offrent plus particulièrement. En France, j’ai été amené à gérer des situations où je voyais des élèves préférer suivre une formation qui ne correspondait pas à leurs voeux, dans le lycée professionnel proche de leur domicile, par peur d’aller un peu plus loin, dans un lycée général qui leur offrait pourtant un cursus accessible et plus ambitieux. On parle beaucoup de mobilité, mais il reste encore du chemin à faire dans ce domaine, surtout dans la région d’où je viens. Notre fille a 20 ans; elle a commencé sa scolarité avec sa maman en Bulgarie, a suivi son Primaire en France, puis son Secondaire à l’étranger. Et elle a choisi de poursuivre ses études supérieures en Australie. Ma femme et moi sommes heureux de pouvoir l’accompagner dans son projet, non seulement parce que nous avons pu le faire, mais aussi parce que nous estimons que ses études internationales seront un atout considérable lorsqu’elle accèdera au marché du travail.
Enfin dernier objectif et pas le moindre: l’épanouissement de nos jeunes dans le cadre scolaire. Peut-être plus à l’étranger qu’en France, un certain nombre d’entre eux ressentent beaucoup de pression, “se mettent beaucoup la pression” à la pensée de leurs études supérieures qui les inquiètent et les angoissent. Pour atténuer celle-ci, améliorer le bien-être, redonner confiance, je suis attaché à l’accompagnement le plus personnalisé possible. Comme nos textes officiels le promeuvent, nous devons nous efforcer d’être attentifs et de répondre au plus près, aux besoins de chacun/e de nos élèves afin qu’il/elle se sente bien, protégé/e et aime apprendre.
Quelle est la situation de l’International French School of Singapore, en quelques chiffres, en cette période post-pandémie ?
L’IFS compte aujourd’hui environ 2850 élèves, les effectifs ayant augmenté en janvier d’un peu plus de 100 élèves. Malgré la pandémie et ses impacts socio-économiques, les effectifs se sont globalement maintenus à l’IFS. IL y a deux ans, on était à 2900 élèves, on était en phase de croissance, rien ne laissait présager un palier. Aujourd’hui, il semble que l’on reparte sur une croissance que j’espère pérenne et non conjoncturelle.
Environ 400 membres du personnel, dont 280 enseignants. Une vingtaine de collègues devraient quitter à la fin de cette année scolaire, Singapour, pour la France ou d’autres pays. Nous subissons le contre-coup de cette longue période de Covid 19, éprouvante par ses confinements et ses restrictions qui ont été indispensables à la preservation de la santé de tous. Les personnels n’ont pas pu voir leurs familles, cela pèse beaucoup. Singapour n’est pas très grand, cela n’a pas non plus aidé, même si c’est une cité-état qui me semble fascinante à découvrir.
Je suis évidemment très heureux de voir la situation localement s’améliorer grâce à la levée des restrictions par les autorités singapouriennes. Mais la pandémie est toujours là, avec un impact encore très fort dans d’autres pays de la zone Asie Pacifique; elle nous oblige à la vigilance vis à vis de nos jeunes, à leur accompagnement: ces derniers ont pu voir leurs parents perdre leur emploi; ils ont été séparés de leurs camarades de classe pendant les confinements; ils ont dû s’adapter à un enseignement à distance qui ne fut facile pour personne… Il va falloir être très attentif sur la suite.
Quel bilan faites-vous de ces deux dernières années de pandémie ? Comment voyez-vous l’avenir de l’IFS ?
Au niveau des élèves comme des personnels, les capacités de résilience ont été mises à dure épreuve pendant ces deux années, mais elles nous ont permis de surmonter. Le développement de nos compétences numériques, le fait de les utiliser dans le cadre de l’enseignement à distance ont permis de mobiliser les équipes en un temps record. Cela n’a pas été simple, notamment dans un contexte de réformes du lycée et du baccalauréat. Cette période nous a aidés à réaliser plus encore l’importance de l’interaction humaine, de la chaleur et de la convivialité, l’affect qui facilite les conditions d’apprentissage, se transmettant difficilement à travers les écrans.
Nos parents ont certainement aussi mieux cerné le travail de l’enseignant au quotidien. Les enfants ont suivi l’école, de la maison, durant plusieurs semaines et je sais que cela n’a pas été simple pour tous les parents qui travaillaient aussi à distance et qui ont ainsi pu mieux réaliser tout le travail généré par l’enseignement. Le Covid 19 a malheureusement exacerbé, crispé les relations. La pandémie a fait surgir des fragilités dont on s’accommodait. Pour corriger et rassurer, il faut accompagner, être à l’écoute et apporter les réponses adéquates.
Je suis très confiant sur l’avenir de l’IFS, preuve en est la reprise de notre projet d’extension immobilière. Nous sommes entourés de professionnels. Les membres du conseil exécutif sont percutants, d’une maîtrise remarquable des dossiers qui leur incombent. C’est une force pour notre établissement, idem avec les équipes administratives. La situation est sous contrôle. Certes on n’est pas à l’abri de tout, mais tout est fait pour anticiper au mieux, atténuer les impacts de la pandémie, du conflit en Europe orientale…
Quelle sera la teneur du prochain projet d’établissement ?
Tous les membres de notre communauté éducative seront les rédacteurs et les acteurs du futur projet d’établissement. Les élèves, les parents, les personnels enseignants, d’éducation et administratifs auront un rôle à jouer dans l’élaboration du bilan du précédent projet, comme dans la rédaction du prochain. Ce dernier posera les jalons de l’avenir en répondant aux attentes institutionnelles françaises et aux évolutions de notre système éducatif, au plus près des besoins de nos élèves, de leur épanouissement et de leur bien-être…. Il y a déjà mille choses qui se font ici, c’est un établissement fabuleux qui a des ressources, qui a beaucoup à apporter, à Singapour et ailleurs. Il nous faut aussi poursuivre l’internationalisation conformément à la charte de l’enseignement français à l’étranger pour promouvoir notre système éducatif auprès d’élèves d’autres nationalités. Vivre à l’étranger, c’est aussi s’inspirer, s’enrichir du contexte international dans lequel nous évoluons, ce n’est pas reconstituer – malgré toute l’affection que je lui porte – le village gaulois d’Astérix.
Ce projet d’établissement maintiendra et développera l’excellence dont l’IFS se prévaut, autant au niveau des résultats et du devenir de nos élèves que dans la prise en charge de chacun/e d’entre eux.