Depuis l’apparition de la Covid-19 fin décembre 2019, le travail de la communauté scientifique internationale a permis une avancée très rapide des connaissances sur cette nouvelle pneumonie atypique. A Singapour, le National Center for Infectious Diseases (NCID) a immédiatement déployé une équipe de chercheurs et cliniciens destinés à apporter des réponses rapides en termes de diagnostics et de profils cliniques. Parmi eux, le Singapore Immunology Network (SIgN), l’un des instituts de l’Agency for Science Technology And Research (A-STAR). Avec la participation de Laurent Rénia - Directeur Exécutif du SIgN, Sébastien Teissier - Virologue chez A-STAR, Clotilde El Guerche-Seblain – Epidémiologiste Vaccins Grippe - Asie Pacifique Sanofi-Pasteur, lepetitjournal.com vous propose un point objectif de la situation, ainsi qu’un aperçu des principaux sujets de recherches menées actuellement à Singapour.
Contexte
Le coronavirus à l’origine de la maladie Covid-19 appartient à la même famille de virus à ARN1 que celui du Syndrome Respiratoire Aigu Sévère (SARS-CoV), qui avait causé l’épidémie de SRAS en 2003 (Figure 1). Le nom officiel SARS-Cov-2 est choisi le 11 février 2020 par l’international Committee on Taxonomy of Viruses (ICTV). L’Organisation Mondiale de la Santé (OMS) déclare l’épidémie de Covid-19 comme urgence de santé publique de portée internationale le 30 janvier 2020 ; le stade de pandémie est déclarée le 11 mars 2020.
1 Acide ribonucléique (ARN): support de l’information génétique des coronavirus et autres micro-organismes. Chez les végétaux et les animaux, l’information génétique est portée par l’acide desoxyribonucléique (ADN), lui-même transcrit en ARN avant d’être exprimé dans l’organisme.
Caractéristiques de la Covid-19
Les premiers symptômes de la Covid-19 sont la fièvre, la fatigue et une toux sèche. L’infection a également été caractérisée par d’autres symptômes atypiques et plus aléatoires, tels que la perte de goût et d’odorat, les troubles digestifs, la conjonctivite, l’urticaire, les troubles vasculaires (rougeurs cutanées du visage et des extrémités, urticaire) (1)(2). La période d’incubation est le temps qui s’écoule entre l’infection et l’apparition des symptômes de la maladie. L’OMS estime actuellement qu’elle est de 1 à 14 jours, le plus souvent autour de 5 jours. Le risque que la maladie évolue en symptômes sévères (ex : difficultés respiratoires) est plus élevé pour les personnes immunodéprimées, avec maladies cardio-vasculaires, maladies auto-immunes, ayant plus de 60 ans. Les femmes, dont le système immunitaire est généralement plus robuste que celui des hommes, ainsi que les individus du groupe sanguin O, paraissent moins sensibles à la Covid-19 (3).
Données épidémiologiques de Covid-19
Le coronavirus SARS-Cov-2 à l’origine de la maladie Covid-19 est proche de ceux rencontrés chez certains animaux sauvages, comme la chauve-souris, réservoir probable de la maladie (4). Il s’agirait donc d’une zoonose, maladie transmissible de l’animal à l’homme. Apparu à Wuhan, dans la province chinoise de Hubei, le SARS-CoV-2 s’est progressivement répandu sur les 5 continents habités par l’Homme (Figure 2). L’estimation du taux de transmission (R0 ou Basic reproductive number) varie d’une étude à l’autre ; il a été estimé à 2,6 au Japon (4) et à 5,7 en Chine (5). Un R0 de 5,7 signifie qu’une personne infectée peut potentiellement en contaminer entre 5 et 6 autres. Le R0 estimé de la Covid-19 pourrait être supérieur à celui de la grippe saisonnière (1,3), du SARS-CoV (2-4), du MERS (2-5), mais bien inférieure à celui de la rougeole (12-18) (6). Quant à la sévérité du virus, elle est variable selon les pays. En Chine, le 11 février 2020, sur un nombre total de 44672 cas, 13.8% étaient hospitalisés pour symptômes sévères et 5% avaient été admis en service de réanimation en état critique (7). Le taux de mortalité (mesuré par le Case Fatality Ratio ou CFR), qui diffère selon les études et les pays, est fortement lié à l’âge de la population, l’offre de soins et la capacite du système de santé à prendre en charge les malades. Fin mars, estimé à 1,3% en Corée, il était de 9.5% en Italie, 7.9% en Iran, 6.6% en Espagne et 4.0% en Chine (8) (Figure 3).
Gestion de l'épidémie à Singapour
En l'absence de vaccin ou de traitement, ces chiffres montrent qu’il est important de mettre en place des mesures de prévention individuelles telles que le port du masque ou le lavage régulier des mains afin de contenir l’épidémie. D'autre part, préserver au maximum la capacite du système de soin à prendre en charge les malades permettra d’éviter sa saturation. Avec l'augmentation des cas en communauté reportés ces dernières semaines, d'abord dus à des cas importés et la formation de clusters, Singapour a mis en place des mesures telles que le testing systématique des personnes symptomatiques, la fermeture des frontières, l’identification de clusters, le contact tracing, la mise en quarantaine des personnes potentiellement contaminées, la diminution des interactions entre individus et le "circuit breaker", mesure plus stricte de distanciation sociale. L'approche fondamentale choisie par Singapour est de détecter au plus vite les cas, isoler les cas confirmés et couper la transmission en communauté.
Test de dépistage moléculaire
A Singapour, A-STAR a rapidement développé un test moléculaire permettant d’identifier le virus à partir de prélèvements nasaux et buccaux. Ce test est basé sur la Réaction de Polymérisation en Chaîne (PCR). La détection du pathogène est obtenue par l’amplification de séquences génétiques connues du virus. Ce type de test très puissant est également très sensible. Il nécessite du matériel de pointe et des techniciens professionnels. En effet, les conditions qui entourent le prélèvement puis la manipulation des échantillons doivent être d’une stérilité extrême (Figure 4). Les résultats de la PCR sont obtenus entre 2h et 4h (Figure 5).
Test de dépistage immunologique
A-STAR travaille actuellement sur un test permettant de mesurer le taux d’exposition à la Covid-19. Il s’agit d’un test immunologique basé sur la réponse antigène-anticorps des individus. Les anticorps, encore appelés immunoglobulines (Ig), sont produits par notre système immunitaire suite à une attaque pathogène (Figure 6). Il en existe plusieurs types, dont les suivants : les Ig M, produites au cours de l’infection ; les Ig G et A, qui gardent en mémoire « l’identité » du pathogène et constituent « l’immunité acquise ». Identifier le type d’anticorps présents dans une population, permettra d’identifier les individus asymptomatiques : récemment contaminés et possiblement contagieux (porteurs d’Ig M) ; immunisés et non-contagieux ou ayant été exposés au virus il y a plus d’1 semaine (porteurs d’Ig G ou A). Ce test pourrait être envisagé au sein de groupes à risque, tels que le personnel hospitalier, et pourrait déboucher sur la mise en place de nouvelles mesures de protection. Ce dépistage à réponse instantanée sera réalisé à partir d’une goutte de sang, prélevée à l’extrémité d’un doigt.
Recherche de traitements médicamenteux
Lorsque la Covid-19 dérive en symptômes sévères, la charge virale des patients est quasiment tombée à zéro. A ce moment, les médicaments rétroviraux ne sont plus utiles. Le système immunitaire devient incontrôlable et crée une forme sévère de l’infection. Il est donc nécessaire de définir avec précision la meilleure fenêtre d’action pour les médicaments rétroviraux et pour ceux agissant sur le système immunitaire. C’est à ces fins que les équipes de A-STAR focalisent leurs recherches sur l’identification de marqueurs (ex : médiateurs immunologiques comme les cytokines, molécules secrétées par des leucocytes « globules blancs ») ou autres cellules spécifiques de chacune des phases, afin d’être en mesure de proposer les médicaments les plus appropriés selon le stade de la maladie. De nombreux médicaments antiviraux (ex : HIV) et anti-maladies (ex : cancer) sont en cours de test.
Mutations du SARS-CoV-2
Les chercheurs ont identifié 3 lignées de SARS-Cov-2. Chacune d’elles est susceptible de muter au cours du temps, et de créer des formes de SARS-CoV-2 de virulences variables. On ne sait pas encore si l’immunité acquise après infection à l’une de ces formes protège contre les autres. Le cas contraire pourrait expliquer pourquoi certaines personnes rechutent quelques semaines après guérison. Un vaccin est actuellement en développement dans les laboratoires de la DUKE-NUS Medical School de Singapour. Il sera vraisemblablement élaboré à l’aide des parties conservées du virus, celles qui ne mutent pas.
Autorisation des nouveaux traitements
Tout dossier d’Autorisation de Mise sur le Marché (AMM) d’un nouveau traitement est accompagné d’un certain nombre d’essais cliniques ayant pour but de démontrer : l’innocuité de la substance médicamenteuse, son efficacité et ses effets secondaires. La pertinence de ces essais repose directement sur le nombre de patients étudiés. Par ailleurs, on sait que des médicaments sont efficaces sur certains types de populations et pas sur d’autres (ex : individus asiatiques versus caucasiens). Conduire ces essais au niveau mondial permettra d’identifier ces particularités. La plupart des médicaments étudiés disposant déjà d’une AMM dans de nombreux pays, leur processus d’autorisation pour le traitement de la Covid-19 sera accéléré. Celui-ci sera plus long pour les nouveaux médicaments ne bénéficiant pas encore d’AMM, du fait des nécessaires tests d’innocuité. Plusieurs essais cliniques sont actuellement en cours à Singapour, dans toute l’Asie, en Europe et aux USA. A Singapour, les dossiers d’autorisation seront soumis à la Health Sciences Authority (HSA) ; en France, c’est l’Agence Nationale de Sécurité du Médicament et des produits de santé (ANSM) qui les examinera.
Les techniques de pointes dont dispose l’humanité à l’heure actuelle ont permis une coalition sans précédent de la communauté internationale dans la lutte contre la pandémie de Covid-19. Les mesures mondiales de confinement devraient permettre de limiter significativement la progression de la maladie. Cette étape constitue un gain de temps précieux pour les systèmes de santé et l’avancée de la recherche médicale.
Références :
- Organisme Mondial de la Santé. Maladie à coronavirus 2019 (COVID-19) : questions-réponses [consulté le 17 avril 2020]. Disponible ici.
- Syndicat National des Dermatologues Vénérologues. Communiqué de presse [publié du 6 avril 2020]. Disponible ici.
- Zhao J. and al. Relationship between the ABO blood group and the Covid-19 susceptibility, Southern University or Science and Technology, Shenzhen, China [publié le 27 mars 2020]. Disponible ici.
- Kangpeng X. and al. Isolation and characterization of 2019-nCoV-like coronavirus from Malayan pangolins. College of veterinary medicine, South China Agricultural University, Guangzhou, China. [publié le 20 février 2020]. Disponible ici.
- Kuniya T. Prediction of the Epidemic Peak of Coronavirus, Graduate School of System Informatics, Kobe University, Japan. Disease in Japan, 2020. Journal of Clinical Medicine, 9(3), 789. Disponible ici.
- Sanche S. and al. High Contagiousness and Rapid Spread of Severe Acute Respiratory Syndrome Coronavirus 2, Los Alamos National Laboratory, Los Alamos, New Mexico, USA. Emerging Infectious Diseases Journal, Vol 26, July 2020 (Early release). Disponible ici.
- Magazine Sciences et Avenir [en ligne]. Incubation, contagiosité, mortalité… les mots qui comptent pour décrire le coronavirus Covid-19 [publié le 26 février 2020]. Disponible ici.
- Statista. Study: Majority of coronavirus cases are mild [publié le 18 février 2020]. Disponible ici.
- Organisme Mondial de la Santé. Coronavirus disease 2019 (COVID-19) – Situation report [publié le 19 avril 2020]. Disponible ici.