Ce n’est un secret pour personne - la mort n’est pas un sujet avec lequel les Chinois se sentent particulièrement à l’aise. En effet, toute connotation même indirecte fait partie d’un tabou, comme par exemple le chiffre quatre (homophone du mot “mort”), l’interdiction de planter des baguettes à la verticale dans le bol par similitude avec les baguettes d’encens brûlées pour les morts, ou le fait de ne pas offrir de poires à des malades qu’on visite à l’hôpital car le mot poire rappelle celui de “séparation” et par, extension, la mort. Cependant, les temps changent et ainsi change aussi le rapport à la mort dans la société chinoise, notamment chez les plus jeunes.


Ce que dit la tradition
Traditionnellement, dans la société chinoise, les biens d’une personne décédée étaient passés à la famille proche avec un accent sur la lignée masculine - le fils ainé héritant de la maison des parents par exemple.
Les règles de l'héritage étaient longtemps régies par le système Dishu selon lequel le fils ainé de la première épouse avait la priorité sur les fils issus des autres épouses.
Dans la Chine moderne on a mis l’accent sur l’égalité homme-femme donnant aux filles plus de droits d’héritage.
Actuellement, en l’absence de testament, les biens du défunt passent au conjoint, enfants ou parents. En l'absence d'héritiers proches ce sont les grand parents et la fratrie qui héritent.
Faire un testament ou même mentionner la mort était traditionnellement considéré comme mauvais augure.
Cependant, depuis quelques années, de plus en plus de gens décident de rédiger et faire enregistrer leurs dernières volontés dans le but de pouvoir décider à qui léguer leurs biens.
Un changement de tendance
Pour l’année 2024, le Centre d’enregistrement de testaments chinois a noté une augmentation record des dernières volontés qui a atteint le nombre de 357 512. Certes, ce chiffre peut ne pas sembler impressionnant pour la population chinoise mais il annonce déjà des évolutions sociétales. Il ne reflète qu’une petite partie de la population chinoise dont 310 millions ont plus de 60 ans (ce qui représente 22% de la population totale). Avec le vieillissement actuel de la population, le chiffre des seniors devrait atteindre 400 millions d’ici 2033.
Autre aspect intéressant - l’âge moyen des personnes se décidant à rédiger et enregistrer un testament a changé sensiblement aussi: en 12 années on est passé de plus de 77 ans à 67,7.
Enfin, il n'y a pas que les ainés qui pensent à transmettre leurs biens; de plus en plus de jeunes s'y résolvent actuellement notamment pour assurer l'avenir de leurs parents en cas de leur disparition prématurée.
Pourquoi ça change
D'une part il y a l’allongement de la durée de vie et l’augmentation de richesse familiale liée à l’augmentation du niveau de vie ce qui mène naturellement à une volonté de transmettre ces biens en bonne et due forme aux personnes de son choix pour préserver le patrimoine familial.
Ensuite, de plus en plus de chinois découvrent la possibilité de décider par eux mêmes et de faire enregistrer leurs dernières volontés au lieu de se fier à la tradition séculaire.
Ceci s’explique notamment par la migration de jeunes et adultes à la recherche du travail, ce qui contribue également à la distension des liens familiaux traditionnels.
Entre 2017 et 2024 dans la province de Guandong on a enregistré 740 testaments provenant des individus célibataires (ce qui fait 28% du total et dépasse les chiffres de Shanghai et Beijing).
Enfin, le progrès et les changements qu'il entraine jouent aussi un rôle indéniable: on ne transmet plus de maison ou de terres ou des fonds financiers mais aussi des affaires juteuses, des sociétés etc. et tant qu'à faire on préfère les remettre à des personnes qui sauront les faire fructifier.
D’après les dernières données, les femmes sont plus enclins à rédiger leurs dernières volontés que les hommes. L’année dernière elle étaient à l’origine de 60% de tous les testaments. Dans cette poule il y a des femmes âgées vivant seules, des femmes sans enfants ou encore des femmes célibataires ou remariées. Ceci reflète également l’évolution sociale de la femme, de son indépendance et de son statut social.
Les grandes villes en tête
Sans surprise, Shanghai - l’une des plus grandes agglomérations de Chine - est en tête des villes en termes d’enregistrement de testaments. Ainsi, entre 2021 et 2024, 33 483 personnes ont décidé de faire enregistrer leur testament à Shanghai, dont presque 8000 avaient moins de 39 ans! Le centre de Jing’An affirme avoir même été contacté par un homme de 25 ans, poussé à l’action par un décès subit dans sa famille.
Ce sont par ailleurs souvent des familles aisées disposant de nombreux d’actifs qui ont le réflexe de penser à un testament. Encore plus si la famille est nombreuse et ses membres ne vivent pas nécessairement en de bons termes.
Mais il ya aussi des cas spéciaux comme celui d’un jeune propriétaire de société de jeux en ligne dont l’affaire marche bien et rapporte beaucoup et qui souhaite léguer son business spécifiquement à son jeune frère qui s’y connait et pourrait continuer à faire fructifier le business.
Un nouveau rapport à la mort
D’après Long Yifei, professeur de droit à l’Université du Peuple de Beijing, de plus en plus de jeunes voient en la rédaction d’un testament plutôt une manière de prévoir la vie qu’un fait lié uniquement à la mort. Il souligne également qu’au-delà d’un fait purement matériel de transmettre ses biens à des membres de sa famille, le testament constitue également un lien émotionnel.
Yang Lixion, expert en code civil chinois, est d’accord avec cette analyse.
Avec l’évolution des facteurs sociaux et culturaux, les jeunes gens changent leur relation à leur mortalité et font plus attention à l’avenir et à leurs biens.
Ces évolutions au sein de la société chinoise se traduisent aussi par une nouvelle approche des funérailles. Là encore l’IA a trouvé sa place notamment lors des funérailles organisées récemment à Pudong lors desquelles un robot humanoid reproduisant la voix et l’apparence du défunt accueillait les proches du défunt. La fille du défunt explique:
Autrefois je craignais la mort et je pensais qu’on devait tous être submergés par le chagrin. Mais petit à petit j’ai commencé à l’accepter et la technologie imitatrice m’a apporté du réconfort (après le décès de mon père).
On voit également apparaitre des concerte en plein air ou autres évènements organisés directement dans l’enceinte des cimetières ce qui attire surtout des jeunes. Ainsi récemment au cimetière Fushouyuan de Qingpu, les gens se sont réunis pour faire leurs adieux à 11 membres du Cancer Recovery Club de Shanghai.
Autrefois j’évitais de parler de la mort ou de visiter des tombes mais maintenant des concerts en plein-air comme celui-ci permettent aux vivants d’explorer le sens de la vie
- affirme un jeune de 35 ans participant à l’évènement.
Une des sociétés de pompes funèbres à Shanghai a même organisé, dans une boutique de fleuriste dans le district de Xuhui, un rassemblement autour de café et de bouquets de fleurs pour inviter des jeunes à échanger sur le passage du temps et sur la fragilité de la vie dont on devrait profiter tant que c’est possible.
Cette nouvelle approche du sujet de la mort constitue indubitablement encore un autre élément du fossé générationnel en Chine, déjà creusé notamment par les avancées technologiques et les transformations sociales.