« Un véritable miracle ». C’est en ces termes – également utilisés pour qualifier la sortie du « zéro Covid » – que le Président Xi Jinping, masqué et lunettes noires, a salué les efforts de construction pendant la pandémie, de la nouvelle zone de Xiong’an (Hebei), à 100 km au sud-ouest de Pékin, six ans après le lancement du projet.
Initiée par le Président chinois en 2017, Xiong’an est censée permettre de désengorger la capitale en y accueillant toutes les fonctions « non-essentielles » de la ville, les sièges d’entreprises d’Etat et les campus universitaires.
Plus ambitieux encore, Xiong’an a été conçue pour être la vitrine de ce que la Chine sait faire de mieux en matière de « ville du futur » « aux caractéristiques chinoises » : plan urbain inspiré du vieux Pékin, « ceintures vertes », énergie propre, corridors et tunnels logistiques, « data centers », stockage en « cloud », véhicules autonomes et yuan digital… Voilà ce à quoi devrait ressembler Xiong’an d’ici quelques années.
"Un projet d'une importance millénaire", selon Xi Jinping
Signe de l’importance du projet aux yeux du Secrétaire général du Parti, il était accompagné sur le terrain de plusieurs membres du Politburo, dont le Premier ministre Li Qiang (son prédécesseur, Li Keqiang, ne s’était jamais rendu sur place), son secrétaire particulier et ancien secrétaire du Parti de Pékin, Cai Qi, le vice-Premier ministre exécutif qui a hérité du projet dans son portfolio, Ding Xuexiang, le vice-premier Ministre en charge de l’Economie et des Finances, He Lifeng, mais aussi Li Ganjie, chef de l’Organisation, en charge des promotions et des rétrogradations…
« Le développement de Xiong’an est un projet national d’une importance millénaire et doit être encouragé par des actions concrètes et des efforts constants », a rappelé Xi Jinping. Lire entre les lignes : le projet n’avance pas assez vite à son goût.
De fait, ces six dernières années, mis à part les infrastructures qui se sont développées à vitesse grand V, les entreprises d’Etat et leurs filiales traînent des pieds pour s’y implanter. China Satellite Group, Huaneng (énergie) et Sinochem (pétrochimie) font partie des rares qui ont pris leurs quartiers à Xiong’an, tandis que seules quatre universités ont démontré un intérêt pour cette ville-satellite. Mais ce rappel à l’ordre de Xi Jinping pourrait bien changer la donne et inciter les réfractaires à sauter le pas.
« Les faits ont prouvé que la décision de bâtir Xiong’an était complètement correcte », a martelé le dirigeant, mettant ainsi en garde tous ceux qui doutent encore de ce projet pharaonique : être contre Xiong’an, cela revient à s’opposer au « noyau du Parti » (c’est-à-dire Xi).
Pourtant, certains architectes-urbanistes ont averti dès la genèse du projet que ses chances de succès étaient minces, Xiong’an n’étant proche d’aucun pôle commercial régional. De plus, les incitatifs pour convaincre les Pékinois à déménager restent insuffisants aujourd’hui. Qui voudrait renoncer aux précieux avantages qu’offre le « hukou » (permis de résidence) de Pékin pour aller « s’enterrer » à Xiong’an ? A terme, Xiong’an pourrait tout de même attirer des jeunes diplômés de villes de second tiers ou des retraités à la recherche d’une meilleure qualité de vie.
Un gouffre financier pour la postérite de Xi Jinping
A noter que la Chine n’est pas la première à être tentée de relocaliser sa capitale. Plusieurs pays comme l’Indonésie, la Birmanie, l’Egypte, la Malaisie, le Kazakhstan, le Brésil, ont déjà sauté le pas pour des motifs divers (surpopulation, réchauffement climatique, considérations géographiques et politiques…) avec des résultats mitigés.
Mais au lieu de laisser le projet s’éteindre doucement, le gouvernement paraît déterminé à le mener à bien, quitte à ce qu’il se transforme en gouffre financier. La zone de 1 770 km2 affiche déjà un investissement de 460 milliards de yuans, presque le double du célèbre barrage des Trois Gorges ! A ce stade, le projet pourrait déjà être « trop gros pour échouer ».
Mais qu’importe, il en va de la postérité de Xi Jinping. Deng Xiaoping a eu Shenzhen, Jiang Zemin a eu Pudong (Shanghai), Xi Jinping veut avoir Xiong’an. Ces zones économiques n’ont toutefois rien en commun : Shenzhen et Pudong se sont développées essentiellement grâce à des capitaux privés et en période d’ouverture de la Chine sur le monde. Xiong’an, elle, est financée par des fonds publics, sur fond de tensions croissantes entre la Chine et l’Occident et de polémique autour de la nécessité d’un découplage…