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Les bâtisseurs français de Shanghai : Léonard et Veysseyre

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Écrit par David Maurizot
Publié le 5 novembre 2017, mis à jour le 5 novembre 2017

Le « Shanghai des Concessions » reste encore à portée de main. Au détour de certaines rues, les pierres gardent la mémoire de ce Shanghai des folles années 20 et 30 : l’époque de l’Art Déco. Ah ! si seulement ces pierres-là pouvaient parler ! Elles nous raconteraient leur histoire et celle de leurs illustres créateurs français, les architectes Alexandre Léonard et Paul Veysseyre.

Léonard et Veysseyre : deux personnalités complémentaires, deux trajectoires de vie aux antipodes, mais une œuvre commune qui a survécu aux aléas de l’Histoire pour arriver jusqu’à nous – presque intacte, seulement abîmée par le temps…

 

Deux noms, une œuvre

Certains se retrouveront dans Paul Veysseyre : rien, dans les origines modestes de sa famille ne le prédispose au métier d’architecte. Pourtant, très jeune, il ne rêve que de ça. A 24 ans, impatient de voir sa carrière décoller dans une France où tout semble si lent, il tente l’aventure en Chine. Transféré à Shanghai en 1921, il y fait la connaissance d’Alexandre Léonard qui tout comme lui vient juste de débarquer sur les rives du Huangpu.

Léonard, fraichement diplômé de l’école des Beaux-Arts de Paris, a alors 31 ans. Polyglotte, esprit libre, il est, avec Veysseyre, animé d’une même aspiration : celle de se faire un nom dans cette ville en plein boom. Ils partagent également une même certitude : à Shanghai, tout est possible. Leur rencontre fera des étincelles.

En 1922, auteurs des dessins qui ont permis au cabinet qui les emploie de remporter le projet de construction du nouveau Cercle Sportif français, le club privé du gratin français d’alors, ils emportent à la hussarde plans et contrat dans leurs cartons ! Provocant ainsi le destin sur ce coup de poker très osé, ils fondent ensemble leur propre étude, A.Léonard & P.Veysseyre, et lancent le chantier de ce qui sera leur première et plus célèbre réalisation commune.

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Le Cercle Sportif Français

"Le Cercle" est un projet grandiose : lieu de "l’excellence de l’art français", il comporte une salle de bal au parquet posé sur ressorts – luxe de l’époque afin de mieux voltiger au rythme du jazz à la mode – et une piscine couverte de près de 50 mètres de long – la plus vaste de Shanghai !

Comme aujourd’hui, les travaux doivent tenir compte du sol marécageux. Afin de soutenir les 4.200 m2 du bâtiment, les fondations en tige d’acier n’étant pas encore le standard, la technique de l’époque impose que soient enfoncées dans le sol des milliers de pieux de bois. Ceux-ci seront importés de l’Oregon, aux Etats-Unis.

Le Club est inauguré le 30 janvier 1926 : la façade de style classique impose, mais l’intérieur éblouit : la décoration Art Déco est un mélange savant de lignes géométriques et d’éléments exotiques. Son Président, Henri Madier, saluera « Messieurs Léonard et Veysseyre qui ne se sont pas contentés d’être des architectes de talent, mais qui ont été aussi de grands artistes. »

La modernité insufflée par ses architectes fera du Cercle une institution à part dans le paysage shanghaïen. Le Club, au contraire de son alter ego britannique, était d’ailleurs le seul à accepter la présence en son sein de la gente féminine… « Cet essaim si garni attirait les gentlemen, beaucoup de British qui, las du Shanghai Club, venaient se distraire à la gauloise, leurs moustaches tombantes devenant des ramasse-femelles » écrivait Lucien Bodard.

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Le bâtiment du Cercle existe encore : il est devenu la réception et la base de l’immense tour en béton de l’Okura Garden Hotel, au croisement des rues Changle et Maoming. Si la piscine a malheureusement été détruite, la salle de bal est toujours là. Quand on y pénètre, le regard est attiré par le magnifique vitrail Art Déco décorant le plafond. L’espace de quelques secondes, on arrive alors à imaginer le Cercle dans les années 30 lors d’un 14-Juillet : resplendissant, chic, résonnant des rires aux éclats, des coupes de champagnes qui s’entrechoquent, et des grands discours de tous ces mondains qui le peuplaient alors…

 

Shanghai, "Paris de l’Orient"

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Avenue Joffre (aujourd’hui Huaihai Lu) dans les années 30

Léonard et Veysseyre deviendront de véritables spécialistes de l’Art Déco. A Shanghai, et dans l’enclave française en particulier, ils réaliseront plus de 150 immeubles, villas privées, bâtiments publics. Leur empreinte a été si importante et si magistrale, que les autorités ont classé la plupart de leurs réalisations au patrimoine municipal. Maitres de l’Art Déco, ils ont fait de Shanghai un "Paris de l’Orient."

Avec eux, la ville cesse d’être un petit port colonial. Alors que les automobiles commencent à parcourir en nombre les routes shanghaïennes, que les premiers réfrigérateurs font leur apparition dans les cuisines, et que les films d’Hollywood connaissent un succès fulgurant dans les cinématographes, l’Art Déco envahit l’architecture.

Les nouveaux venus et les touristes de passage seront fascinés : la métropole de 3 millions d’habitants est bien loin de cette vieille Chine traditionnelle qu’ils avaient imaginée. Shanghai est une ville moderne, résolument internationale. D’ailleurs, n’a-t-elle jamais cessé de l’être ?

 

Fin brutale

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En 1937, inquiet de l’expansionnisme japonais en Chine, Paul Veysseyre préfère s’exiler avec sa femme et sa petite tribu à Saïgon, puis à Dalat, en Indochine. Il rentrera ensuite définitivement en France où il meurt en 1963.

La fin d’Alexandre Léonard reste quant à elle mystérieuse : il disparait en mars 1946 au moment de la rétrocession définitive de la Concession aux autorités chinoises, alors que les Français de Shanghai se déchirent encore entre ceux qui avaient choisi Vichy et ceux qui avaient choisi de Gaulle. Accident ? Suicide ? Meurtre ? Aucun acte de décès ne fut jamais établi, ni aucune preuve de sa mort jamais apportée. Aujourd’hui encore, sa succession n’a toujours pas eu lieu puisqu’en droit français, il est toujours vivant…

Aujourd’hui, si Léonard et Veysseyre sont bien évidemment morts, leur empreinte sur Shanghai a, elle, survécu. Pour notre plus grand bonheur, elle reste encore visible au détour de certaines rues…

Note : Une petite exposition (gratuite) retraçant le parcours et le travail d’Alexandre Léonard a actuellement lieu au 578 Yongjia Lu.

A suivre : nous vous proposerons dans un prochain article une visite guidée dans Shanghai dédiée aux réalisations de Léonard et Veysseyre.

 Marie-Astrid de Mézerac et David Maurizot

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