Quatorze candidats (dont trois femmes seulement) ce dimanche 15 novembre pour un fauteuil : celui de maire (prefeito) de la mégalopole paulista, avec ses 12 millions d’administrés et son budget proche de 69 milliards de réais (environ 10,8 milliard d’euros). Grande ville, grands enjeux forcément, a fortiori dans le contexte pandémique, et à deux ans de la prochaine présidentielle au Brésil.
Ces municipales, qui sont l’équivalent brésilien des élections de midterm aux Etats-Unis, sont en effet un test pour le président Jair Bolsonaro. Déjà affaibli depuis la défaite de son modèle américain (il n’a d’ailleurs toujours pas su prononcer une parole officielle pour reconnaître le scrutin et féliciter le vainqueur), il voit aujourd’hui les candidats qu’il a ouvertement soutenus dévisser dans les sondages.
C’est le cas en particulier de celui qu’il a adoubé à São Paulo, Celso Russomanno, l’homme qui part devant et finit derrière. C’est la troisième candidature à la mairie de ce présentateur télé, défenseur des consommateurs floués, et par ailleurs député fédéral affilié aux Républicains, une formation de droite proche d’une église évangélique, l’Igreja Universal do Reino de Deus. Hélas pour lui, rien n’y fait : à chaque fois le même scénario se répète. Il démarre sur son capital audimat, qui le propulse en tête des sondages, puis la campagne électorale le voit s’éteindre progressivement. La faute en partie (cette fois) à sa proximité recherchée et revendiquée avec Bolsonaro, qui n’aura pas été la plus avisée des tactiques, dans une ville où le taux de rejet du président atteint les 55%.
La révélation Guilherme Boulos
Donné en tête à 26% le 2 octobre dernier, Russomanno n’est plus crédité que de 12% des intentions de vote, selon l’institut Datafolha, en troisième position derrière la révélation Guilherme Boulos, le candidat du PSOL, le Parti Socialisme et Liberté, classé à la gauche de la gauche. Celui-ci a fait le chemin inverse: 8% début octobre, 13% désormais. Le jeune homme, ancien psy, manque d'expérience gestionnaire, mais il a du charisme et une rhétorique efficace. Stratégiquement il a eu la bonne idée d’ajouter à son ticket, comme vice-maire, l’expérience de Luiza Erundina (85 ans), députée fédérale de son parti, mais surtout ancienne maire de São Paulo (1989-93) sous les couleurs du PT (Parti des Travailleurs), parti de l’ex-président Lula, dont il a siphonné les soutiens au passage.
Il a en outre une solide base militante, issue de mouvements de défense du droit au logement, dont il est l’un des leaders (il est en partie le coordinateur national du Mouvement des Travailleurs Sans Toit). Une partie de la classe moyenne l’apprécie (ses adversaires, s’ils utilisaient les mêmes catégories qu’en France, parleraient volontiers de bobos), et il a le soutien de quelques figures artistiques comme les chanteurs Chico Buarque et Caetano Veloso. En cette fin de campagne, même s’il a encore un déficit de notoriété dans les quartiers périphériques (qu’il veut pourtant mettre au centre du débat), on le sent vent arrière, comme poussé par l’espoir d’un vote utile à gauche qui finirait de le propulser au second tour contre le sortant, Bruno Covas.
Le jeune maire expérimenté
Bruno Covas est d’ailleurs aussi un jeune candidat, et donc un jeune maire sortant. Quarante ans à peine. Mais il n’est pas le moins expérimenté de cette campagne. Il en joue d’ailleurs, contre son désormais principal rival, Guilherme Boulos, qu’il prend de haut (alors qu’il n’a que deux ans de plus) sur le thème classique du « c’est bien les beaux discours généreux, mais pour gouverner São Paulo, il faut avoir de l’expérience, il faut être préparé ».
De fait, préparé, il l’est. Petit-fils de Mario Covas, ancien Maire de la Ville et gouverneur de l’Etat de São Paulo, auprès duquel il a fini de grandir dès l’âge de quinze ans, il est en quelque sorte tombé dedans. Député de l’État de São Paulo à 26 ans, secrétaire d’État à l’environnement à 31, député fédéral à 35, vice-maire à 37, puis maire à 38 quand le titulaire, João Doria, à quitté l’Hôtel de Ville pour le Palácio dos Bandeirantes, le palais du gouverneur de l’Etat de São Paulo. Belle progression, si bien qu’on avance déjà son nom pour prendre la relève du PSDB (Parti de la Social-Démocratie Brésilienne), le parti créé par son grand-père ; machine puissante à São Paulo, mais aujourd’hui éclaboussée à son tour par les affaires de corruption, et en quête de sens entre ses origines de centre-gauche et son évolution plus libérale.
Dans les sondages, sa courbe est à l’image de sa carrière: exponentielle. A 20% le 2 octobre, il est désormais donné largement en tête avec 32% des intentions de vote. Certains analystes, projetant une évolution similaire sur la dernière semaine, le voient déjà priver ses adversaires d’un second tour, qu’il gagnerait cependant dans tous les cas de figure selon le même sondage.
D’où un dernier débat en ligne, organisé par le journal A Folha de São Paulo (débat assez remarquable, vu de France, par sa bonne tenue et le respect mutuel entre les quatre candidats présents) qui s’est vite transformé en « tous contre Covas ».
Une alliance au centre
A ce petit jeu, Marcio França, aujourd’hui quatrième dans les sondages, n’a pas été le moins virulent. Vieux routier de la politique brésilienne, rompu à l’art du « en même temps », - d’aucuns diraient opportuniste -, le leader du PSB (parti socialiste brésilien) a réussi en une seule phrase à dire du bien du Bolsonaro, de Lula et de l’actuel gouverneur de São Paulo, João Doria, tout en taclant ce dernier, qui l’a battu pour le poste de gouverneur en 2018. Battu au niveau de l’Etat certes, mais pas au niveau de la ville de São Paulo, où França a fait la course en tête, ce qui lui fait espérer un sursaut final, si d’aventure les électeurs se contentaient de copier-coller leur vote d’une autre élection à celle-ci, sursaut qu’il espère provoquer en tentant par tous les moyens d’assimiler l’image du maire, Bruno Covas, à celle de son parrain politique, le gouverneur João Doria.
Il faut dire que celui-ci est le grand absent de la campagne municipale à São Paulo. Souffrant lui aussi d’un fort taux de désapprobation de son action (49% à São Paulo), et les électeurs de la capitale paulista ayant peu goûté sa démission au bout d’un peu plus d’un an de mandat pour aller chercher un fauteuil plus large, il est tenu à l’écart par Bruno Covas, qui fait tout pour gommer le fait qu’il a d’abord été élu sur le même ticket que lui.
La stratégie semble payer et Covas, qui lutte contre un cancer en même temps qu’il fait campagne et gère la pandémie, apparaît comme un gestionnaire solide, un battant, engagé, avec un faible taux de rejet de son action (22%) contre 75% qui la jugent bonne ou correcte. Ses adversaires n’en ont que plus de difficulté à l’attaquer, autrement qu’en lui cherchant des poux dans les cheveux teints du gouverneur, épouvantail désigné.
Et puis, Bruno Covas n’est pas seul. Il a su construire autour de sa candidature une alliance de onze partis, principalement proches du centre, ce qui confère aussi à cette élection un avant-goût de présidentielle. Effrayés à la perspective d’un possible duel Bolsonaro-Lula, les leaders des partis plus modérés de l’échiquier politique sont en effet à la manœuvre pour construire une candidature unique en vue de l’échéance de 2022. Nous y reviendrons dans un prochain article.
Cependant à São Paulo, c’est possiblement un duel “centre contre gauche“ qui se prépare pour le second tour. Un duel inédit, en ce qu’il mettrait en avant une génération nouvelle. En soi, deux faits politiques intéressants, deux ans après l’arrivée au pouvoir de Bolsonaro à Brasilia.
Comprendre les élections municipales brésiliennes
En France, les pouvoirs exécutifs et législatifs ne sont pas séparés au plan local. Ce qui est, quand on y pense, une bizarrerie et un cas rare dans les démocraties de référence. En clair, il n’y a qu’une élection, avec un scrutin de liste, qui décide de la composition de l’assemblée locale (le conseil municipal) et du chef de l’exécutif local (le maire), qui préside en même temps le conseil.
Au Brésil, il y a deux élections qui se jouent. Celle des vereadores, les conseillers municipaux, qui vont siéger à l’assemblée municipale ; et celle, au scrutin uninominal à deux tours, du maire (prefeito) de la Ville, futur chef de l’exécutif local. Vereadores et prefeito sont élus pour quatre ans, avec une limite de deux mandats consécutifs pour le maire.