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Littoral sud de São Paulo: sur les pas d’Albert Camus

Camus BrésilCamus Brésil
Iguape depuis le morro do espia - Felipe Toniato
Écrit par Felipe Toniato
Publié le 16 février 2021

Quel est le lien entre une petite ville du littoral paulista, un rocher soi-disant toujours en train de pousser et la macumba ? Demandez plutôt à l'écrivain et philosophe Albert Camus, qui a réussi à le tisser dans « La pierre qui pousse », conte paru en 1957. Cependant, que reste-t-il encore de Camus à Iguape, ville décor de ce périple franco-brésilien ?

Moins prisé que son riche cousin du nord, le littoral sud de São Paulo peut cacher de petits joyaux. Au-delà de Peruíbe, qui touche l'État du Paraná, le trio Cananéia-Iguape-Ilha Comprida est un terrain encore sauvage et méconnu des touristes étrangers. Enfin, presque, car c'est là-bas qu'Albert Camus, traîné par son ami le poète Oswald de Andrade, va aller visiter les festivités du Senhor Bom Jesus de Iguape lors de son voyage en Amérique du Sud de 1949. Les impressions laissées par cette visite, mélangées avec celles d'un terreiro de macumba à Rio, vont donner naissance à un texte aux notes tropicales, d'une terre australe qui lui faisait penser à son Algérie natale. Le conte « La pierre qui pousse », le seul qui se passe au Brésil, sort en 1957 dans L'exil et le Royaume.

Soixante-douze ans plus tard, que reste-t-il des traces laissées par le prix Nobel de littérature ? Les lieux visités, les paysages qui lui ont servi d'inspiration, sont-ils encore là ? A-t-il laissé une marque ? La ville a-t-elle gardé un souvenir de lui ? Le voyage à Iguape vaut-il le détour ?

1949 : Camus à Iguape

L’histoire se passe en 1949, entre les mois de juin et août, Albert Camus se rend en Amérique du Sud pour une série de conférences. Au Brésil, il passe par les villes de São Paulo, Rio de Janeiro, Salvador et Fortaleza. Le 5 août, une voiture quitte São Paulo à destination de Iguape, 300 kilomètres plus loin. A l’intérieur se trouvent : Oswald de Andrade, écrivain et poète brésilien, Ruda de Andrade, son fils, l'attaché culturel français M. Paul Silvestre et un chauffeur qui n'a pas eu son vrai nom mentionné, mais qui a été surnommé par Camus « Auguste Comte » à cause de sa ressemblance physique avec le philosophe positiviste.

Après de longues heures d'un voyage tourmenté, ils arrivent à minuit à Iguape. Faute de lits disponibles dans les hôtels, ils sont logés à l’hôpital « Feliz Lembrança ». Le lendemain, Camus visite la Fonte do Senhor, petit parc où se trouve la pierre-qui-pousse, toujours de la même taille, malgré les parties qui sont enlevées par les croyants. Le soir, ils suivent la procession du Bom Jesus. Cette manifestation religieuse, les visages, le jeux de lumière des cires, la diversité du public, le sacrifice de ceux qui portent de lourds morceaux de la pierre-qui-pousse (jusqu'à soixante kilos par l'un des fidèles), tout cela restera gravé à jamais dans sa mémoire. Le 7 août, ils repartent vers la capitale. Dans le livre d'or de son logement, Camus laisse ce message : « A l'hôpital 'Heureux Souvenir' qui porte bien son nom, avec un hommage chaleureux à ce Brésil qui a aboli la peine de mort et à cette Iguape où l'on comprend pourquoi ».

Iguape 2020 : esprit es-tu là ?

J'arrive à Iguape fin novembre 2020 et je loge à Ilha Comprida. La curiosité me pique de savoir comment se trouve la ville qui a accueilli Albert Camus. Je commence mes recherches par le parc Fonte do Senhor. Le portail d'entrée est dégradé par le temps. A l’intérieur les choses sont plutôt propres mais vétustes. Je me dirige vers une construction en forme de dôme, visible depuis l'entrée.

Une fois la porte franchie, je me trouve face à une pierre et une eau sale. Aucune signalisation en vue. En faisant demi-tour, j’aperçois au loin un couple d’ados qui sautent dans une piscine en béton, remplie d'eau de source. L'eau y est fraîche et propre. D'autres ados arrivent et se joignent au couple. La jeunesse du groupe contraste avec l'âge du site. Je reviens sur mes pas et, après une recherche sur Internet, je comprends que le dôme en question garde la pierre-qui-pousse. Décidément rien ne signale sa présence. J’y retourne une seconde fois. L'eau est vraiment sale, avec – signe des temps – un masque qui flotte.

Je me dirige alors vers le centre-ville pour visiter l'église. Il y a peu de gens, nous sommes un dimanche après-midi. Il fait très chaud. Quelques vendeurs de glace, de noix de coco, des indigènes qui vendent des plantes. Cependant la ville sommeille, vide de gens. Les bâtiments coloniaux sont toujours là, mais Iguape est comme lasse de son passé.

Je visite l'église, magnifique dans son genre : de belles fresques, beaucoup de bois et de silence. J'y reste un peu avant de gravir le point culminant de la ville : le Morro do Espia, ou mont du guetteur. De là-haut on voit bien Ilha Comprida et la petite mer qui sépare l'île du continent.  On voit aussi le centre-ville. De ce sommet les siècles se confondent et je me sens soudain à l'époque de Camus. C’est la première et dernière fois que je ressens cela. Car ce que je vois m’apparaît comme l'âme d'Iguape s’évanouissant petit à petit.

Plus tard, cherchant l'hôpital Feliz Lembrança, je découvrirai qu'il est abandonné et délabré. Une vague triste m’envahira. De la visite de Camus il ne reste que les souvenirs.

Camus Brésil
Le dôme de la pierre-qui-pousse - Felipe Toniato

 

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