Le Brésil est dans le dur de la pandémie de covid-19. En cause le variant amazonien et l’absence de politique sanitaire offensive au niveau fédéral. Un bon moment pour changer de ministre (le quatrième en 12 mois)… et de cap ?
Est-ce une autre conséquence du retour de Lula sur la scène politique? Le fait est que, depuis quelques jours, depuis que l’élection présidentielle 2022 ne lui semble plus tout à fait acquise au dire des sondages, le ton de Jair Bolsonaro a changé. S’il critique toujours les mesures restrictives prises dans la plupart des États par les gouverneurs, on le voit désormais porter le masque de façon régulière, et surtout tenter de gommer son image de président négationniste en réfutant la plupart de ses déclarations antérieures. “J’ai parlé de grippette, moi ?“
C’est que les morts s’empilent et que la situation semble échapper à tout contrôle. Cela fait désormais 55 jours que le Brésil comptabilise plus de 1000 décès quotidiens, avec quelques pics à plus de 2000 victimes, et on s’attend à des journées plus funestes encore à plus de 3000 morts. Presque partout, les services d’urgence sont saturés, et l’on peine à trouver de la place pour les nouveaux malades en état grave. Sans parler de la vaccination qui patine, faute de doses. Le Brésil est aujourd’hui le pays du monde où l’on meurt le plus de la covid-19.
Millions de vaccins annulés ou refusés
Il fallait donc un changement de cap à 18 mois des présidentielles, et pour l’incarner un nouveau visage au ministère de la santé, en se délestant au passage du ministre précédent, le général 3 étoiles Eduardo Pazuello, devenu pour le moins encombrant.
Bien sûr, ce dernier a fait ce qu’on attendait de lui et a été un militaire obéissant, après deux ministres médecins et mutins (Luiz Henrique Mandetta et Nelson Teich), qui ont tenté sans succès d’imposer des mesures de confinement et refusé de cautionner la diffusion et la prescription de la chloroquine et de l’hydroxychlorquine en « traitement précoce » de la maladie.
Pazuello, lui, a suivi la ligne présidentielle en tous points. Même quand Bolsonaro l’a désavoué publiquement, le général, bon soldat, s’est affiché le 22 octobre dernier en simple tee-shirt à côté du président en costume, et a déclaré, rigolard : “il y en a un qui commande, et un qui obéit. Mais il y a de l’affection entre nous, et ça roule, ça roule.“
Il venait pourtant de se faire humilier publiquement avec l’annulation de sa décision d’acheter 46 millions de doses du vaccin Coronavac, vaccin chinois produit avec l’Institut Butantan de São Paulo, et porté politiquement par son gouverneur, rival déclaré du président. Potentiellement la seule bonne mesure du ministre, qui plus tard refusera une offre de 70 millions de doses de Pfizer, dont 3 millions auraient pu être disponibles dès le mois de janvier.
Le général cauchemar
C’est donc peu dire que le parcours de Pazuello à la santé a été chaotique. Nommé au ministère comme secrétaire exécutif en avril 2020, avec une réputation flatteuse de logisticien rompu aux missions d’ampleur, il en est devenu le responsable le 15 mai après l’explosion en vol du second ministre (qui n’aura tenu que 28 jours), et en sort aujourd’hui essoré.
De fait, dès ses premiers mois, le ton était donné, avec une politique sanitaire axée sur la chloroquine contre toutes les évidences scientifiques (le Brésil en a acheté par millions de comprimés à l'Amérique de Trump), et une tentative désastreuse de camouflage des chiffres de la pandémie en juillet pour en nier l’ampleur. Cela aura eu au moins le mérite de pousser les principaux médias du pays à s’associer de façon inédite pour produire un décompte quotidien des contaminations et des décès.
Plus récemment, Pazuello s’est fait remarquer par son absence quand la deuxième vague est venue frapper le Brésil par le nord, par l’Amazonie. Des rapports lui auraient pourtant été transmis en amont, indiquant la crise imminente à Manaus, et le risque de manque de lits et d’oxygène. Las, le ministre a mis du temps à réagir, à se montrer sur place, continuant de reprocher aux autorités locales de ne pas faire usage des stocks de chloroquine envoyés généreusement par le gouvernement fédéral.
Sans parler de ses perles enchaînées, sur un ton toujours martial, devant micros et caméras. On se souvient notamment de sa célèbre annonce, très rassurante, quand on l’interrogeait le 11 janvier sur la campagne de vaccination qui tardait: “la vaccination va commencer le jour J à l’heure H !“. Ou encore, plus récemment, son péremptoire et à contre-temps : “Notre système de santé est très impacté, mais il ne s’est pas effondré, et ne s’effondrera jamais.“ C'était le 11 mars, quand le Brésil venait d'atteindre un nouveau record de 2349 victimes en 24h.
Avec tous ses faits d’armes, qui ont mis à mal la croyance établie selon laquelle les militaires seraient de bons gestionnaires, il avait même fini par être surnommé le “général cauchemar“ par ses détracteurs (pour le jeu sur les sonorités entre Pazuello et pesadelo - cauchemar en portugais, ndlr). Blague à part, il est aujourd'hui sous le coup d'une procédure d'enquête judiciaire pour sa gestion négligente de la crise sanitaire à Manaus.
Médecin bolso-compatible
Pazuello à exfiltrer, qui pour le remplacer ? Le choix du président Bolsonaro s’est d’abord porté sur une femme, Ludhmila Hajjar, célèbre cardiologue de São Paulo, qui s’est rendue à Brasilia ce week-end au Palácio do Planalto (le palais présidentiel - ndlr), de quoi faire monter les rumeurs, et surtout la température des réseaux proches de l’extrême-droite.
Car la dame est réputée proche de l’ancienne présidente Dilma Roussef et du parti des travailleurs. Une gauchiste donc, pour les partisans du président. Impossible de la voir prendre les commandes du ministère de la santé, même pour une manœuvre politique triangulée. Son numéro de téléphone a fuité et elle s’est retrouvée harcelée et menacée. Sur les réseaux sociaux, où elle a fait l’objet de campagnes calomnieuses, mais aussi dans sa chambre d’hôtel, à Brasilia. Ce lundi, elle a refusé le poste; officiellement pour des raisons techniques. “Ce n’était pas le moment pour moi“ s’est-elle contenté de déclarer.
Il a donc fallu chercher un plan B, en l’occurrence le président de la société brésilienne de cardiologie, le docteur Marcelo Queiroga, 55 ans.
L’homme est un médecin, qui a déjà pris position contre la chloroquine, et défendu la vaccination de masse. Deux idées à l’opposé des discours tenus par le président Bolsonaro jusqu’à présent.
Mais c’est aussi un conservateur notoire, disciple de Eneas Carneiro, également cardiologue mais surtout figure politique très conservatrice, qui a brigué la présidence de la République à plusieurs reprises dans les années 80 et 90, avec un programme d’obédience nationaliste. Marcelo Queiroga a d’ailleurs tweeté en juillet 2019 une photo d’une rencontre entre Bolsonaro et Carneiro, saluant alors “deux grands patriotes“.
Queiroga est donc un médecin Bolso-compatible, et il a su donner des gages au président Bolsonaro dès ses premières déclarations, où il a annoncé une transition en douceur au ministère. Tout en maintenant ses positions sur la chloroquine, il a rappelé que les médecins étaient libres de leurs prescriptions. Petite nuance qui a son importance. Et tout en défendant l’accélération de la vaccination, il a lui aussi émis des réserves à l’encontre des mesures de « lockdown ». Subtil équilibre.
Un changement de ministre de la santé a donc bien eu lieu au Brésil. Mais dans une forme de continuité, selon les premiers signaux de fumée ou de poudre aux yeux envoyés.