Roberto Gualtieri sera-t-il à la hauteur du défi ? Cette question est dans toutes les bouches alors que l’homme politique vient de remporter la mairie de Rome. Technicien compétent pour certains, affabulateur qui ne résoudra rien pour d’autres, le nouveau maire est déjà contesté par une partie des habitants, mais bénéficie d’une image favorable pour ses électeurs.
Quand nous avions interrogé le professeur Roberto d’Alimonte, quelques semaines avant le scrutin, il nous avait prédit l’élection de Gualtieri face à Michetti. C’est chose faite. L’ancien ministre, député italien et eurodéputé a réalisé une campagne sérieuse et convaincante, pour battre facilement son adversaire de droite avec plus de 60% des suffrages. Mais cette victoire serait suffisamment large pour que le nouvel édile romain se sente soutenu et investi de la confiance populaire, si elle n’avait pas été entachée d’un taux d’abstention historique, presque 60% au second tour. Bien conscient du problème, M. Gualtieri a déclaré qu’il serait « le maire de tous », et qu’il « travaillerait à réduire l’abstention ».
En attendant, qu’il soit considéré comme étant légitime ou non, l’élu du parti démocrate doit se mettre rapidement au travail et agir vite sur des dossiers brûlants – gestion des déchets, nids-de-poule, transports, pistes cyclables. Ces sujets sont la priorité des Romains et sa crédibilité sera engagée précisément sur leur résolution. Là où Virgina Raggi a échoué, ce qui lui a coûté sa réélection, Gualtieri devra réussir et vite, s’il veut que son mandat soit utile. Le 8 novembre, il présentera une sorte de discours de politique générale, dont l’intérêt sera de comprendre rapidement où il veut en venir, et avec quelles décisions.
Un maire qui a ses soutiens
Le maire récemment élu dispose, bien entendu, de nombreux soutiens. En premier lieu, celui de la région du Latium, dont le gouverneur Zingaretti appartient comme lui au Parti Démocrate. Et dans la population, certains ont fait le choix de lui accorder une confiance dont il devra se montrer digne. Le gérant d’un magasin de jouets nous explique qu’il place une grande confiance en Gualtieri, qu’il tient pour sérieux et compétent. « Son parcours parle pour lui. Ministre, député… Moi, j’ai beaucoup d’espoirs. C’est vrai que malheureusement, de nombreux Romains ne croient plus en la politique car nous avons été beaucoup déçus. Mais j’ai voté Gualtieri et je pense qu’il sera un très bon maire pour notre ville, qui en a bien besoin. »
Plusieurs facteurs mènent cependant au doute
Le restaurateur d’une excellente osteria (sorte d’équivalent italien de la brasserie française où l’on mange de la cuisine traditionnelle à prix modéré), qui préfère rester anonyme, n’est pas du même avis. Pour lui, Gualtieri ou un autre, cela ne changera rien. Il pense être plutôt représentatif de la population romaine, et insiste sur l’abstention gigantesque : « Comment voulez-vous que les gens croient en la politique quand le vainqueur de l’élection s’appelle : l’abstention ? Avec un tel taux d’abstention (59,32% au second tour, ndlr) je ne vois pas comment Gualtieri peut être légitime. » Le discours de ce chef d’osteria, loin d’être surprenant, est un classique qui fait écho à la situation française.
Pour lui, il n’y a plus de différence notable entre la gauche et la droite classiques, et on s’attend presque à attendre un « UMPS » sortir de sa bouche tant les ressemblances entre ses paroles et les critiques qui fusaient en France à l’encontre des deux partis de gouvernement sont frappantes. Plus étonnant, en revanche, est son refus d’adhérer au discours anti-élites et antisystème du Mouvement 5 Etoiles, souvent cité comme une alternative aux partis classiques ayant déçu les citoyens. « Le Mouvement 5 Etoiles est mort. Point final. Et c’est tant mieux pour l’Italie. Ce sont des incompétents, on l’a vu dans leur gestion de Rome. Ils ont dégringolé dans les sondages et les urnes quand les citoyens ont vu la supercherie dévoilée au grand jour ». Une demi-heure de discussion : impossible de percer les opinions de cet homme, qui finit par nous dévoiler une proximité au socialisme inattendue. « En France, votre parti socialiste a fait n’importe quoi, et n’est plus socialiste. Ici, c’est pareil. Comment pourrait-on qualifier le Parti Démocrate de socialiste ? Le socialisme est mort, on peut le regretter. » Et cela explique, d’après lui, que les classes populaires ne votent plus à gauche, et que la banlieue de Rome ait voté Michetti quand le centre a voté Gualtieri. La thématique de l’abandon des classes populaires par la gauche social-démocrate, un autre classique entendu régulièrement en France, est ressortie par notre interlocuteur. Il l’illustre avec la polémique sur les places de parking à rayures bleues, qui révèle selon lui un mépris pour ces classes populaires qui parcourent de grandes distances pour se rendre au travail, et qui, sans la voiture, devraient subir plusieurs heures de transports en commun chaque jour.
La discussion se termine par une évocation alarmante des jeunes. « Vous avez vu comme l’abstention est forte chez les jeunes ? Personne ne vote chez eux ! Ils pensent que cela ne sert à rien. Ils se sentent abandonnés et même pas un jeune entre 18 et 25 ans sur six n’a voté. C’est dramatique. » Et effectivement, les quelques jeunes interrogés ne semblent pas franchement porter un grand intérêt au sujet. Une étudiante en lettres, la vingtaine, nous répond qu’il faudrait demander à ses parents, car elle n’y connaît rien. Si des étudiants ne sont pas mobilisés par la politique et le vote, qu’en est-il alors des jeunes désorientés, éloignés de l’emploi (le chômage des jeunes est énorme : 27,7% chez les 15-24 ans) et sans perspectives…
En résumé : un maire attendu et surveillé, qui aura fort à faire
Nos échanges avec de nombreux Romains nous ont fait comprendre à quel point beaucoup d’entre eux ne s’intéressent plus aux affaires de politique, encore plus locale. Il semble qu’on puisse ranger les Romains en trois catégories. La première croit en la politique et soutient son maire. La seconde est engagée, mais n’accorde aucun crédit à Gualtieri. La troisième, et beaucoup en font partie, n’a pas d’animosité particulière envers le maire, mais n’attends plus rien de la politique et ne s’y intéresse plus. Pour Gualtieri, la tâche sera donc double : convaincre les abstentionnistes que la politique peut encore changer la vie, et se montrer à la hauteur de la confiance de ses électeurs.