Florence la Belle : cité des Médicis, de Botticelli et de Dante, n’a pas fini surprendre le monde par son étonnante résilience. Désertée par le tourisme depuis bientôt un an, en raison de la pandémie de Covid-19, la ville, qui lutte au quotidien contre l’effondrement de son économie locale, réinvestit son patrimoine historique, grâce à ses « fenêtres à vin ».
Vous êtes certainement passés près d’elles lors de votre dernier séjour à Florence, sans même vous en rendre compte, tant elles sont intégrées au paysage environnant. Mystérieuses, on les appelle « buchette » ou « finestrini del vino », en français, « fenêtres à vin ». Mesurant 20 centimètres de largeur et 30 centimètres de hauteur, ces étranges petites ouvertures à hauteur d’homme, que l’on découvre au détour de certains palais, sont un témoignage d’un passé-miroir. Une empreinte de temps anciens, où l’angoisse d’une épidémie occupait les cœurs et les esprits. Construites au début des années 1530, alors que Florence voyait ses derniers soubresauts républicains s’éteindre, tandis que la peste ravageait la région, les buchette furent conçues afin de permettre aux producteurs d’écouler leurs vins en toute sécurité. Elles avaient une fonction sociale qui donnait aux consommateurs Florentins la possibilité d’acquérir du vin à des prix abordables, sans passer par des intermédiaires. Aujourd’hui, il en resterait un peu plus de 150 à travers la Toscane.
Avec la disparition de la peste, la fonction originelle de ces trésors architecturaux était tombée dans l’oubli, jusqu’à ce que l’architecte florentin, Massimo Casprini ne les réhabilite dans son ouvrage « I finestrini del vino » (Coop, 2005). L’expert explique notamment que les « fenêtres à vin » furent conçues peu après la chute de la République, alors que les Médicis étaient revenus au pouvoir. Ils souhaitaient favoriser l'agriculture, en « incitant les grands propriétaires florentins à investir dans les oliveraies et les vignes [...] tout en leur donnant des avantages fiscaux pour revendre directement leur production en ville. » Casprini précise également que les producteurs ne pouvaient vendre que du vin issu de « leur propre production et sous un format particulier d'environ 1,4 litre ». Les paiements s’effectuaient quant à eux au travers de ces petites fenêtres ; les clients étaient tenus de déposer leurs pièces dans un plateau en métal où elles étaient désinfectées à l’aide de vinaigre, ce qui n’est pas sans rappeler notre gel hydroalcoolique à l’entrée de nos commerces.
De nos jours, les restaurateurs florentins emploient les buchettes pour toutes sortes de transactions (plats, sandwichs, viennoiseries, glaces, livres), et ce malgré l’absence prolongée de touristes étrangers. Une nouvelle dynamique sociale s’est mise en place au sein de l’ancien cœur de la Renaissance italienne. Pour Silvana Vivoli, gérante d’un bar-restaurant à Florence, « les gens redécouvrent le plaisir de sortir, de rencontrer d’autres personnes en dehors de leurs proches et le plaisir aussi de découvrir ce surprenant retour au passé ». Aubaine pour les restaurateurs déterminés à maintenir un certain niveau d’activité, malgré les contraintes liées à la crise sanitaire, les « fenêtres à vin » sont un magnifique clin d’œil à l’histoire et le symbole de la résilience des Florentins lorsqu’ils sont pris au piège de l’imprévisible.