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Julie Polidoro, artiste plasticienne qui fait rimer couleurs vives et engagement

Rencontre avec Julie Polidoro, artiste plasticienne qui évolue et travaille entre Rome et Paris. Dans son studio niché à Monteverde, l’artiste évoque son lien avec la France et l’Italie, sa démarche artistique et sa nouvelle exposition “Social Distance”, aussi colorée qu’engagée, disponible jusqu’au 3 septembre au Palazzo delle Esposizioni.

Julie PolidoroJulie Polidoro
Julie Polidoro, artiste franco-italienne
Écrit par Inès Carissimi
Publié le 26 juillet 2023, mis à jour le 26 juillet 2023

Quel parcours vous a conduit à vivre et évoluer entre Paris et Rome ?

Ma mère est française, mon père italien. J’ai vécu à Rome jusqu’à mes 18 ans avant d’étudier à l’Ecole Nationale Supérieure des Beaux-Arts à Paris. Il y a neuf ans, j’ai finalement quitté Paris pour m’installer plus durablement à Rome. Je suis donc très attachée aux deux villes et aux deux pays.

Que représentent ces deux pays pour vous et votre travail ?  

Même si j’ai adoré étudier et vivre en France pendant dix-huit ans, l’Italie reste le pays où j’ai grandi, c’est pourquoi j’ai décidé d’y revenir. Néanmoins, je travaille davantage avec la France, le ministère de la Culture français soutient davantage l’art contemporain que son homologue italien. Je suis représentée par la Galerie Valérie Delaunay et Bernard Chauveau Edition à Paris et j’ai aussi collaboré avec le Musée national de l’Histoire de l’Immigration. En Italie, j’ai exposé dans de nombreuses institutions, notamment  le MACRO à Rome, l'Associazione Barriera de Turin et actuellement au Palazzo delle Esposizioni (Rome).

Quelle est votre intention derrière votre exposition “Social distance”, disponible au Palazzo delle Esposizioni jusqu’au 3 septembre ?

J’ai eu l’idée de réaliser “Social Distance” après m’être confrontée à une image de migrants dans un centre de détention sur le web. J’avais du mal à la regarder alors que le sujet m'intéressait pourtant beaucoup. L’idée de ce projet est de questionner le lien entre le dispositif, Internet, et notre perception. En effet, Internet est un système froid, violent, rapide tandis que la question des migrants requiert du temps. La peinture fait partie de ces médiums qui engendrent une autre temporalité du regard, permettant de se confronter à des images très dures car on a le temps de se poser des questions.

 

exposition social distance au Palais des Expositions
Crédit : © Julie Polidoro - “Social Distance” au Palais des Expositions

 

Deux thématiques émergent de votre dernière exposition : les migrants et le changement climatique. Pourquoi avoir fait ce choix ?

L'exposition montre d’un côté des migrants qui attendent dans un centre de détention et d’un autre, des paysages de tempêtes de sable, une conséquence directe du réchauffement climatique. En effet, en 2050, les réfugiés climatiques auront triplé. Je trouvais également intéressant de proposer des paysages comme des peintures d’intérieur avec des corps, deux sujets très différents mais réalisés par la même peintre. A titre personnel, il était très important de montrer la provenance des images : le web, à travers ces signes qui lui appartiennent. Plus généralement, comme l’indique le titre “Social Distance”, il s’agit de questionner le spectateur, pour qui le temps est précieux, sur son rapport aux migrants pour qui le temps ne compte pas ; mais aussi sur son rapport au réchauffement climatique.

Maintenant que vous avez peint ces images, parvenez-vous à les regarder ?

Oui complètement. Prendre des images provenant d’Internet et les transposer en peinture, c’est rendre visible ce que la société voudrait invisible. Je ne voulais pas réaliser des tableaux durs à regarder. Je souhaitais au contraire rompre avec cet imaginaire tragique des migrants afin de souligner leur humanité, pour rapprocher le spectateur d’eux.
Ici, on passe d’une image froide de l’écran de notre smartphone, à une image en peinture. La toile est pliée puis ouverte, il existe une réelle matérialité qui apporte de la chaleur.

Vous avez beau parler de sujets profonds et lourds, vos œuvres restent esthétiquement très vives et colorées. Est-ce une volonté de votre part ?

Absolument. Les migrants s’habillent avec des couleurs, au contraire de nous dans les villes qui nous habillons de manière sérieuse. Je voulais qu’il y ait une approche personnelle au contraire de la peur qu’ont les gens lorsqu’ils regardent ces images sur Internet. C’est cette rapidité des images violentes qui engendre de la peur.

Peut-on vous définir comme une artiste engagée ?

Complètement. J’ai travaillé pendant plus de quinze ans sur les frontières et sur la façon de représenter le monde et l’espace et ce, à toutes les échelles. La façon de représenter le monde est un sujet absolument vivant : chaque carte n’est jamais objective, elle rend toujours compte d'un point de vue. Je m’occupe ainsi de représenter le monde autrement. Par exemple, j’ai réalisé une carte en feutre acquise par le Musée National de l’Histoire de l’Immigration à Paris, dans laquelle j’ai coupé toutes les frontières laissant uniquement les points de jonction afin que cela tienne debout.

 

tableau coloré de Julie Polidoro.
Crédit : © Julie Polidoro, The invisibles, huile sur toile de lin 137 x 167 cm

 

Quelle est votre démarche artistique ?

Commencer un projet nécessite un temps long. Habituellement, je réfléchis durant environ deux ans : je sélectionne les choses qui m’intéressent, je cherche comment m’approcher et avec quels médiums, je considère si ces questionnements persistent. Si tel est le cas, je commence à y travailler. Je n’ai donc aucun mal à jongler entre différents projets, généralement je me concentre sur un, et, périphériquement, je commence à réfléchir à un autre.

Quelles sont vos inspirations artistiques ?

Elles varient beaucoup, de Henri Matisse à Simone Martini en 1300. J’aime beaucoup l’art brut. Je suis très sensible à l'usage de la couleur, un langage d’énergie.

Percevez-vous une différence dans l’accueil de vos œuvres entre l’Italie et la France ?

Oui, j’ai l'impression, car le nombre de personnes qui se rendent au musée est plus important en France qu’en Italie. Je pense que l’éducation et les médias jouent un rôle dans cette moindre visibilité de l’art contemporain. En Italie, l’éducation à cet art est plus récente et la plupart des musées romains sont dédiés à l’art ancien. En outre, les médias italiens couvrent davantage l’actualité littéraire, théâtrale ou cinématographique que celle de l’art contemporain. Il s’agit aussi d’un problème au niveau du gouvernement : l’art contemporain est moins dynamique, faute de financement public de l’Etat italien. L’art contemporain est ainsi plus dépendant du secteur privé, à l’image des fondations. Chaque culture a ses caractéristiques, et c’est tant mieux. Au-delà du système, de merveilleuses expositions sont présentées en Italie, on trouve des personnes talentueuses partout.

Quels sont les lieux et institutions qui vous inspirent le plus à Rome ?

J’aime beaucoup marcher à Rome, parler avec les gens. C’est une réelle différence avec Paris. Il s’y dégage une douceur humaine, on échange dans la rue avec des gens qu’on ne connaît pas. Plus précisément, je recommanderais de contempler la place Santa Maria in Trastevere et son église aux magnifiques mosaïques. Aussi, j’adore les pizzas à Ai Marmi, Viale di Trastevere, où l’on mange sur des tables en marbre. Concernant mes institutions culturelles favorites, les musées d’art ancien sont extraordinaires, tels que le musée du Vatican où il faut se rendre plusieurs fois pour tout apprécier.



www.juliepolidoro.com
Social Distance – Sala Fontana, Palazzo delle Esposizioni
Jusqu’au 3 septembre, entrée gratuite.

 

inès Carissimi
Publié le 26 juillet 2023, mis à jour le 26 juillet 2023

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