Édition internationale

ROMAN - Des éclairs : un Echenoz électrisant



Jean Echenoz poursuit avec Des éclairs son travail littéraire autour de la biographie. Après Ravel et Zatopek, il évoque la personnalité moins connue de Nikola Tesla, inventeur génial d'origine serbe, personnalité étrange et homme d'affaires déplorable. A la hauteur de son titre, le roman est vif, lumineux, électrique


Certaines aventures individuelles portent en elles un fort potentiel romanesque. Après un très beau Ravel en 2006 et Courir, consacré en 2008 au marathonien Émile Zatopek, Jean Echenoz (photo AFP) complète sa trilogie en évoquant une figure extrêmement singulière de notre modernité naissante. Nikola Tesla, était ingénieur et inventeur visionnaire. Pour sa naissance, en 1856, Jean Echenoz imagine une épique nuit d'orage et "un éclair gigantesque, épais et ramifié" illuminant son apparition. Ce premier flash puissant impulse au roman une énergie folle, un souffle sec formidable qui se maintient sans faillir sur 175 pages intenses.  

Concis, précis, sans un mot de trop, mais fourmillant de faits, d'idées, d'humour et de cruauté, Des éclairs est une "fiction sans scrupules biographiques". A la différence de ses héros précédents, Jean Echenoz transforme le patronyme de son personnage central. Inutile donc de démêler le vrai de l'imaginaire, l'un servant l'autre en remarquable intelligence.

Grégor, séduisant géant de 2m quitte l'Europe à 28 ans pour les États-Unis. Il voit grand et son esprit bouillonne d'inventions. Son grand ?uvre sera électrique et opposera le courant alternatif au courant continu d'Edison, beaucoup moins performant.

Le courant, le génie et les pigeons
Nous devons tous à ce cerveau survolté la radio, le radar, les rayons X, peut être même le néon et, de façon plus surprenante et indirecte, la chaise électrique. Au c?ur de ses obsessions, l'idée grandiose d'une énergie disponible partout et pour tous rentre pourtant en forte contradiction avec le capitalisme ambiant. Aussi prompt qu'il soit à inventer, Grégor est incapable d'engranger les bénéfices liés à ses éclairs. Il se fait systématiquement dépouiller des retombées de ses brevets. Cet aspect hors du monde pourrait le rendre sympathique. Il l'est parfois, mais sait aussi être odieux, arrogant et metteur en scène de sa propre mégalomanie. C'est son étrangeté surtout que dévoile merveilleusement Echenoz, par petite touches bien senties. Car Grégor ajoute à ses tocs, à son besoin maladif de compter, à sa conviction de dialoguer avec les martiens, une absence totale de vie affective et sexuelle et des relations quasiment amoureuses - lui qui se sera fait gruger toute sa vie - avec d'épouvantables pigeons. Drôle de bonhomme donc, mais merveilleux roman dont l'écriture toute en fausse légèreté accumule les facéties, les pirouettes et les annotions avec une densité passionnante.
Jean Marc Jacob (www.lepetitjournal.com) mardi 2 novembre 2010



Jean Echenoz, Des éclairs (Les éditions de minuit), 175 pages, 14,50 euros

http://www.leseditionsdeminuit.com/f/index.php?sp=liv&livre_id=2647

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