Édition internationale

RENCONTRE – Yolette Azor-Charles, Ambassadrice d’Haïti en Espagne

Ramené sur le devant de la scène par le tremblement de terre du 12 janvier, Haïti est, pour la seconde année consécutive, à l'honneur de la semaine de la francophonie en Espagne. Yolette Azor-Charles , Ambassadrice d'Haïti en Espagne, revient sur une actualité encore largement difficile, mais aussi sur les rapports de son pays avec la langue française

C'est une des nombreuses manifestations à laquelle l'Ambassadrice est dernièrement emmenée à participer. Le lancement officiel de la semaine de la francophonie, à l'Alliance française de Madrid, hier, a été l'occasion de garder Haïti dans les mémoires et les c?urs de chacun. Yolette Azor-Charles ne s'en cache pas : c'est pour son pays, malgré la douleur, l'opportunité de bénéficier d'une attention qui lui a, souvent, cruellement fait défaut.

Lepetitjournal.com : Vous devez être très sollicitée dernièrement ?
Yolette Azor-Charles : Oui, mais Haïti est un pays qui a été tellement décrié et mal vu pendant si longtemps, que je ne peux pas laisser passer cette occasion où les gens me réclament. Je souhaitais depuis des années attirer l'attention sur Haïti, pour que les gens sachent qui nous sommes vraiment : un peuple travailleur, gentil et chaleureux, qui ne mérite malheureusement pas ce qui lui arrive. Mais face à cette fatalité, je ne peux pas me permettre de faire la paresseuse et j'essaye de répondre présente le plus possible.
Ce tremblement de terre, c'est peut être l'occasion de partir sur de nouvelles bases, de nouvelles normes, qui soient plus respectables et plus respectées. On a dit que ce qui est arrivé à Haïti, c'est en partie dû à des négligences : mais la négligence est une maladie qui a des remèdes et nous avons maintenant la possibilité de les mettre en place.

Dans ce contexte, comment jugez-vous les relations hispano-haïtiennes ?
Elles sont très bonnes. C'est lié au fait que en quelques années, l'Espagne a multiplié par trente son niveau de coopération avec notre pays. De mon côté, je m'efforce à encourager cette coopération, mais aussi les investissements espagnols à Haïti, dans la reconstruction notamment. Je souhaite promouvoir ici l'idée de villes durables et modernes, dans l'esprit de décongestionner Port au Prince. Cela nécessite de construire et d'améliorer de nouvelles villes et pour cela nous aimerions compter sur l'investissement ibère.

Que peut faire tout un chacun pour aider Haïti ?
Que chacun agisse en fonction de sa spécialité. Ce qui nous arrive c'est énorme : imaginez tout Madrid, de Plaza de Castilla a Cibeles, complètement détruit. Plus de 250.000 maisons détruites, plus de 300.000 morts : nous avons besoin d'aide dans tous les domaines et chacun peut apporter la sienne, en fonction de son savoir-faire. La devise d'Haïti est « L'union fait la force » : nous devons nous mettre ensemble, pour réaliser une tâche énorme.

Quel sens donnez vous à l'invitation, cette année encore, que vous a faite l'Alliance Française ?
L'Alliance Française nous a fait l'honneur de nous inviter et nous avons tenu à répondre présents. Les cinq Alliances d'Haïti ont été détruites par le tremblement de terre. Je tiens à dire que les Alliances Françaises sont très importantes en Haïti. Moi-même, je les fréquentais, toute jeune. Elles participent à promouvoir une langue qui, pour nous, reste la nôtre.

Quel est le rapport des Haïtiens avec la langue française ?
Les Haïtiens parlent le créole au quotidien et le français représente la culture, au vrai sens du terme. Cela dit, les Haïtiens assument leur aspect francophone, même si le fait de parler français nous a souvent causé beaucoup de torts. Coincés entre l'Amérique latine et le Caraïbe, entre l'espagnol et l'anglais, cela n'a jamais été facile pour nous d'utiliser notre langue.
Nous devons faire beaucoup d'efforts du fait du français : pour obtenir des bourses, faire des études, assister à des séminaires, commercer avec les pays voisins, nous devons nous efforcer d'apprendre la langue des autres. Cela nous a permis de développer une certaine forme de tolérance, mais aussi un grand sens de l'adaptation.

Et pour vous, personnellement, qu'est ce que la langue de Molière représente ?
Le français, c'est ma langue d'origine, de travail, d'étude : c'est une langue que j'aime, riche et pleine de nuances. Je vais vous dire : c'est une langue très riche pour mes envolées lyriques, lorsque j'interviens en public. Dans les conférences internationales, je ne m'adresse pas en anglais, bien que je le parle. Je m'exprime en français, parce que c'est ma langue.

Propos recueillis par Vincent GARNIER (www.lepetitjournal.com ? Espagne) mardi 23 mars 2010

Cette semaine à l'Alliance Française de Madrid, Haïti est à l'honneur, avec une exposition de peinture et des stands d'artisanat.

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