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ACM - Une malle aux trésors française unique au monde pour la première fois en Asie

Ce 31 mai s’est ouverte à l'Asian Civilisations Museum de Singapour sa dernière exposition spéciale Pagoda Odyssey 1915 : « De Shanghai à San Francisco », qui réunit un ensemble complet de 84 maquettes de pagodes sculptées à la main. L'exposition retrace l'extraordinaire voyage de ces maquettes depuis l'atelier Tushanwan de l’orphelinat jésuite français de Shanghai jusqu'à l'Exposition internationale Panama-Pacifique de 1915 à San Francisco.

L'exposition "De Shanghai à San Francisco" s'est ouverte le 31 mai à l'ACM.L'exposition "De Shanghai à San Francisco" s'est ouverte le 31 mai à l'ACM.
Écrit par Laurence Huret
Publié le 30 mai 2024, mis à jour le 31 mai 2024

Parmi les spectaculaires reproductions de pagodes, vous y découvrirez pour la première fois en Asie une collection unique au monde, offerte par les élèves de l’orphelinat en 1938 à l’Amiral Jules Le Bigot, grand officier de la Marine française, longtemps en poste dans la région, pour avoir empêché le bombardement de l'orphelinat (et de la Concession française) par les Japonais durant le conflit sino-japonais. Une collection de 180 figurines en bois - de la taille de Playmobils - qui racontent toute la société shanghaïenne au début du XXe siècle.

Lepetitjournal.com Shanghai avait consacré le 19 décembre 2014 une interview exclusive de Ivan Macaux, petit-fils de l’Amiral Jules Le Bigot à propos de cette collection de figurines : HISTOIRE – La belle aventure de la malle aux trésors.

« Il était une fois une malle qui prend la poussière dans une vieille bâtisse du sud de la France. Quand on l'ouvre, on y découvre un trésor. » L'accroche est alléchante, et l'histoire qui suit ne déçoit pas, nimbée de mystères, drapée des atours de la grande Histoire. Tout commence donc par une découverte. Cette fameuse caisse en bois, dont les strates de poussière ne cachent pas l'âge vénérable, attend sagement, nichée entre un sabre, un paravent japonais et une maquette de bateau. En ce jour d'octobre 2011, Ivan Macaux lui fait face, au fond d'un débarras, dans sa maison familiale du village varois de Puget-sur-Argens. Il se décide à l'ouvrir, mû par sa curiosité opiniâtre de journaliste, qui va finalement guider ses pas jusqu'à Shanghai, sur les traces de son arrière-grand-père, l’Amiral Jules Le Bigot.

 

180 figurines en bois ont été offertes a l'amiral Jules Le Bigot.
Deux des surprises de la malle (©Philippe Acher)

Dans la malle figurent non pas 1, 2 ou 3, mais bien 180 petits trésors : 180 figurines en bois de fusain, mesurant à peine 10 cm, représentant 109 saynètes très détaillées, parfois décorées de quelques touches de couleurs. Rangée avec soin, la collection lui rappelle des souvenirs jaunis. En effet, l'enfant Ivan Macaux a déjà effleuré le bois de cette malle, scruté ces petits personnages sculptés, la dernière fois il y a quelque dix ans déjà. L'adulte s'en souvient encore : « Personne n'avait jamais pris le temps de s'y intéresser vraiment. Moi je pensais naïvement que sans doute, ce genre d'objet existait à des dizaines d'exemplaires dans le monde. Ce qui n'est pas le cas ». Cette fois, très rapidement, il s'interroge : d'où viennent-ils, ces compagnons de son enfance qui lui ont donné le goût du voyage ? L'heureuse découverte laisse très vite place à l'enquête.

La malle d'un amiral de la Marine française, Jules Le Bigot

Ivan Macaux sait déjà que le coffre est revenu de Chine dans les bagages de son arrière-grand-père, l'amiral de la Marine française Jules Le Bigot, commandant en chef des forces navales d'Extrême-Orient. Le journaliste se souvient que son ancêtre haut-gradé militaire fut en poste à Shanghai à l'époque de la Concession française. Mais comment est-il arrivé en possession des petits bonhommes de bois ? Justement, la malle n'a pas encore livré tous ses secrets. Un examen plus minutieux permet de relever cette inscription : « Orphelinat de T'ou Sè Wè, Shanghai » avec la date du 23 juin 1938. C'est muni de cette information ténue qu'Ivan Macaux se met à la recherche d'un spécialiste qui pourrait l'aider à résoudre le mystère.

 

La malle de l'amiral Jules Le Bigot contenais 180 figurines en bois.
La malle (©Philippe Acher)

L'enquêteur en herbe suscite alors l'intérêt de Christian Henriot. Ce professeur de l'université de Lyon 2, chercheur à l'institut d'Asie orientale, a déjà passé plus de 30 ans à travailler sur la Chine. Mais jamais il n'avait vu les figurines d'Ivan Macaux. Pas même dans un seul des ouvrages d'archives qu'il compulse au quotidien. Il comprend vite que cette collection est unique, de par la nature même des scènes représentées : les petites sculptures racontent la vie ordinaire des gens du commun, croquée avec beaucoup d'humour et de détails. Comme l'explique Christian Henriot, elles diffèrent des scènes habituelles de paysages ou de lettrés de la production artistique chinoise. Ici, on peut voir des forgerons, là un tribunal, ou encore un petit mangeur de pastèques et des joueurs d'échecs chinois, ces dernières scènes trouvant encore leur écho dans la Chine d'aujourd'hui.

 

L'amiral Le Bigot commandait les forces navales françaises d'extreme-otient.
L'amiral Jules Le Bigot (©DR)

Entre Chine et Japon, la bataille de Shanghai

L'inscription sur la malle rappelle que ces pièces datent du siècle dernier, et c'est là que l'histoire rejoint l'Histoire. « 23 juin 1938 », Jules Le Bigot est depuis près d'un an à Shanghai, pour protéger la Concession coloniale française, parce que la Chine est en conflit ouvert avec le Japon (1937-1945). Le 13 août 1937 débute la bataille de Shanghai, et l'amiral français va jouer un rôle déterminant. Hiroshi Hasegawa, amiral japonais à la tête de l'offensive sur la ville chinoise, envoie une lettre à Jules Le Bigot, dans laquelle il lui demande de déplacer son bateau, le croiseur Lamotte-Picquet, plus en amont du Huangpu, pour pouvoir? dégager la fenêtre de tirs !  L'arrière-grand-père d'Ivan Macaux, alors la plus haute autorité française locale, au-dessus du consul en temps de crise militaire, refuse d'obtempérer, sauvant de nombreuses vies, notamment chinoises. « L'histoire avait été contée par mon arrière-grand-père à son fils, qui l'a retranscrite dans ses Mémoires. Mais pour dépasser la légende familiale et vérifier les faits, Christian Henriot a épluché les archives diplomatiques à Nantes, les dossiers du Service historique des Armées à Vincennes, ainsi que la presse shanghaienne de l'époque. Il a notamment exhumé tous les envois de messages alors classés « secret défense » entre Le Bigot et Hasegawa. » 

L'année et demie de recherches a même montré que Jules Le Bigot était allé au-delà de ses prérogatives, défendant, en plus de la Concession française, des quartiers limitrophes en territoire chinois. Parmi ceux-ci, la zone de Xujiahui, où se trouve la cathédrale Saint-Ignace et le fameux orphelinat de T'ou sè wè (en dialecte shanghaien), Tushanwan en mandarin. Cet établissement, tenu par des missionnaires jésuites, a fermé en 1960. Encore une fois, ce sont des recherches, cette fois aux archives jésuites de Vanves, qui dévoilent les morceaux de l'histoire. Tous ces incroyables personnages miniatures de la malle, tous ces témoignages de la vie derrière la guerre dans le « Paris de l'Orient » sont en fait l'œuvre de petites mains : les enfants et adolescents de l'orphelinat.

Le premier lieu de formation à la peinture occidentale

Dès la création de l'établissement de Tushanwan, en 1849, les jésuites voulaient que les pensionnaires apprennent un métier, sortant de leurs formations vers 18, 19 ans. Plus important encore, cet orphelinat serait le berceau de l'introduction en Chine de la peinture occidentale, avec un atelier de peinture dont les œuvres étaient destinées aux églises chinoises. « Cette affirmation vient de nombreux livres chinois, des thèses d'historiens chinois sur la question. C'est le premier lieu où, en Chine, au milieu du 19e siècle, on a formé à la peinture occidentale », explique Ivan Macaux.

Ce sont cet orphelinat et ses occupants que l'amiral Jules Le Bigot a contribué à protéger, et c'est probablement en récompense de son action déterminante qu'il s'est vu offrir ces pièces, « car à la date où il reçoit la malle, il reçoit également une Croix de guerre et est fait grand officier de la Légion d'honneur. » Cette malle, et son trésor, sont donc en quelque sorte l'histoire d'une rencontre improbable entre un officier de la Marine française et des apprentis artistes d'un orphelinat chinois. Elle montre que si France et Chine célèbrent cette année le cinquantenaire de leurs relations diplomatiques, les relations humaines se sont-elles tissées bien avant, et l'histoire de Jules Le Bigot et Ivan Macaux continue de le faire, reprise communément par les médias chinois et français.

Retour en Chine ?

« Je suis venu à Shanghai début 2012, notamment pour visiter l'orphelinat de T'ou sè wè, qui est devenu un musée en 2010. Faire venir la collection est effectivement une idée que nous avons, mais cela est compliqué pour l'instant en termes de financement notamment », regrette Ivan Macaux. En attendant, après avoir été détachés de leurs cordelettes, qui les ont maintenus en place pendant 76 ans, les 180 personnages ont fait l'objet d'un livre, « Scènes de la vie en Chine. Les figurines en bois de T’ou-Sè-Wè », rédigé par Christian Henriot et Ivan Macaux, français - chinois, à la vente à la librairie de l'Asian Civilisations Museum de Singapour. Les figurines ont été exposées, dans leurs couleurs d'origine, au Musée des Tissus et des Arts décoratifs de Lyon, et reviendront peut-être en Chine, là même où elles ont vu le jour. Avec la malle, cette fois sans une once de poussière.

 

Le livre "scènes de la vie en Chine" raconte l'histoire des figurines en bois de T'ou-Sè-Wè.

 

L’exposition « Pagoda Odyssey » se tient à l'Asian Civilisations Museum de Singapour, jusqu’au 1er juin 2025.

Sur le même sujet l’article « L’atelier de Tushanwan », rédigé par Benoît Vermander, dans la Lettre de avril/mai 2010 du Souvenir Français de Chine.

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