Édition internationale
Radio les français dans le monde
--:--
--:--
  • 0
  • 0

Rencontre avec Paul Gibbard, traducteur du roman de Zola "Le rêve"

Paul Gibbard traducteur romanPaul Gibbard traducteur roman
Écrit par Quitterie Puel
Publié le 23 octobre 2020, mis à jour le 23 octobre 2020

Paul Gibbard, maitre de conférences à l’Université du Western Australia (UWA), a été sélectionné pour la Médaille d’Excelle en traduction par l’Académie australienne des Humanités pour sa traduction du roman d’Émile Zola, Le rêve (1888). Entre deux cours au département d’Arts d’UWA, Paul nous a présenté le métier, malheureusement peu connu, de traducteur.  

Pouvez-vous vous présenter ?

Je m’appelle Paul Gibbard je suis maître de conférences en études françaises à l’Université de Western Australia. J’ai d’abord étudié l’anglais et le français à l’Université d’Adelaïde. Je suis ensuite parti à Oxford grâce à une bourse qui m’a permis de faire un master en littérature anglaise. Après, j’ai fait une thèse en littérature française et anglaise où j’ai étudié la question de l’anarchisme dans les œuvres de la fin du 19ème. J’ai centré mes recherches sur des auteurs comme Zola, certains poètes symbolistes français et auteurs anglais comme Joseph Conrad.

Les sujets de vos recherches sont-ils ceux que vous enseignez aujourd’hui à vos étudiants ?

Pas totalement.  J’enseigne surtout les langues et la littérature aux étudiants qui débutent et qui souhaitent apprendre le français par exemple. J’enseigne aussi l’histoire du cinéma français dans un de mes modules. Je débute par les frères Lumière et j’évoque les grands mouvements du cinéma français comme la Nouvelle Vague et je termine par le cinéma des années 1990/2000 avec Amélie Poulain, l’Auberge Espagnole, la Haine…

Quelle place Zola occupe-il dans vos recherches ?


J’aime beaucoup Zola. Je me suis beaucoup attaché à lui durant mes études mais après c’est un auteur que j’ai un peu laissé de côté pour me concentrer plutôt sur Voltaire.

Aujourd’hui j’étudie beaucoup les explorateurs français qui sont venus en Australie comme Nicolas Baudin par exemple. Je m’intéresse à des profils, des auteurs et des périodes très différents.

Comment en êtes-vous venu à traduire Zola ?  

C’était une coïncidence. Un collègue, qui a traduit des romans de Zola, m’a fait savoir que l'Oxord University Press cherchait des traducteurs pour traduire la série de Zola des Rougon-Macquart. Il m’a mis en contact avec un éditeur et je lui fais un petit descriptif sur la manière dont je souhaitais aborder cette traduction. J’ai aussi fait une proposition de traduction de dix pages du texte en question. Cet essai a été envoyé à un jury qui m’a donné ma chance. J’ai commencé mon travail mais c’est un long processus. Ma traduction a été approuvée en 2015 et j’ai commencé à travailler dessus en 2016.

Il y a des jours où je pouvais écrire cent mots en une heure et d’autres fois, je restais bloqué des heures durant sur un seul mot. Le rêve c’est l’histoire d’une jeune fille adoptée par une famille de brodeurs qui vit dans une petite ville du Nord de la France. Il y a une part de réalisme et une part de conte de fées . On retrouve toutes les techniques en termes de réalisme propres à Zola. Il tire ses informations de manuels de broderie mais cette partie très technique se mêle à une atmosphère très particulière, de l’ordre du conte de fées . C’est très inhabituel pour Zola, il suffit de lire L’Assomoir (1877) ou Germinal (1885) pour s’en rendre compte.

Ce changement de style s’explique par l’accueil que la critique littéraire a fait à l’un de ses romans de l’époque intitulé La Terre (1887). Ce roman évoque les paysans du Nord de la France. Zola dépeint leur quotidien avec des détails un peu sordides, comme leur vie sexuelle, l’insémination des vaches etc. Les gens ont été horrifiés par ce livre qu’ils trouvaient dégoutant. Ses confrères ont écrit des tribunes dans le Figaro disant qu’ils rejetaient le naturalisme et les méthodes de Zola, selon eux écœurantes.

Pour contrer toutes ces critiques, Zola décide d’écrire Le rêve avec pour personnage principal, une héroïne à la fois naïve et innocente qui tombe amoureuse d’un Lord. Une histoire d’amour un peu bizarre qui se déroule dans un décor très réaliste. Deux univers et deux styles se mélangent donc dans ce roman.

Quelle place Le rêve occupe-t-il dans la bibliographie de Zola ?

Le rêve est un livre très peu lu et critiqué dans l’œuvre de Zola. Zola est connu pour ses écrits sur la classe ouvrière, la montée du socialisme ou la critique de la bourgeoisie. Mais ces thèmes ne sont pas présents dans Le rêve et c’est pour cela que la plupart des critiques ont un peu ignoré ce roman. Mais quand il était jeune, Zola se passionnait beaucoup pour le romantisme et Le rêve est une sorte de retour à ses intérêts de jeunesse. C’est une œuvre étrange mais compréhensible dans son aventure littéraire.

Comment fonctionne le processus de traduction ? Quand décide-t-on de retraduire un livre ?

Chaque éditeur a sa propre politique. Le roman a été publié en anglais dans les années 1880. Le langage de cette traduction est très archaïque et ne correspond plus aux attentes des lecteurs surtout que Zola lui-même utilise un langage assez moderne dans ses écrits. Cette traduction était donc un peu datée. Il y a eu d’autres traductions en 2005. Mais pour ma part, je travaille exclusivement sur le texte français et si j'ai un doute sur un passage, je peux me référer aux traductions anglaises, mais j’essaie de faire ça le moins possible. Je souhaite surtout me faire ma propre idée avant de vérifier ce que les autres ont fait pour éviter de me faire influencer.

Quelle a été la place de ce livre parmi toutes les autres traductions que vous avez faites ?

J’ai traduit des journaux d’explorateurs français qui sont venus en Australie. Dans ces cas le langage est beaucoup plus technique, c’est le cas par exemple des journaux de Théodore Leschenault. C’est un botaniste français qui est venu en Australie avec Baudin. En Australie Occidentale, il y a énormément d’endroits qui portent son nom : des lacs, des rues, des parcs … et de toutes façons il y a beaucoup de noms français dans le pays.

Le journal de Leschenault se trouve aujourd’hui aux archives de Paris (19e arr). Cependant, le manuscrit original a longtemps été égaré et c’est grâce à des copies faites par son frère que son travail n’est pas tombé aux oubliettes. Mais il manquait une partie du récit. J’ai donc traduit une partie de ce journal inachevé.

En 2016 le manuscrit orignal a été vendu aux enchères à un acheteur privé, il me semble. Cependant, la France a cette volonté très forte de protéger son patrimoine et certaines lois lui permettent d’acheter des trésors nationaux - l’État a pu racheter ce manuscrit qui est aujourd’hui aux archives. J’ai eu le privilège d’accéder aux deux chapitres manquants.

Cela doit être très différent de traduire Leschenault et Zola, j’imagine que le vocabulaire et les expressions doivent être radicalement différents ?

Oui c’est vrai. Zola a un style très littéraire alors que Leschenault n’est pas un écrivain, c’est un botaniste. Même s’il écrit extrêmement bien, cela n’a rien à voir. Le style est différent, plus scientifique. Il fait des listes de plantes. Mais il a un style très intéressant, il ne fait pas que décrire l’environnement, il donne son point de vue sur ce qu’il voit, ce qu’il découvre. Il réfléchit aussi à l’impact de la présence des Occidentaux en Australie, en s’inspirant notamment des réflexions de Rousseau sur le « bon sauvage ».

Pourriez-vous décrire ce prix pour lequel vous avez été sélectionné ?

Il s’agit d’une « Medal for Excellence in Translation » qui est délivrée par l’Académie australienne pour les Humanités. Cette récompense existe depuis 2016. En tant que traducteur, nous pouvons candidater pour présenter notre travail. Le jury sélectionne trois candidats et il y a un gagnant.

Ndlr : Les deux autres candidats sélectionnés étaient Penny Hueston pour sa traduction de Being Here : The life of Paula Modersohn-Becker de Marie Darrieussecq et Omid Tofighian pour No Friend but the Mountains de Behrouz Boochani.

Comment s’organisent et se répartissent les rôles de traducteur et professeur ?

La traduction se range du côté de la recherche qui est une composante majeure dans mon rôle de professeur. Pendant le semestre, je passe la plupart du temps à enseigner les langues, les films, la littérature, toutes ces choses-là. Et à côté de cela, je me consacre à la traduction et à la recherche, deux activités que j’aime.

Le métier de traducteur est un métier de l’ombre, on passe beaucoup de temps à notre bureau, quand un livre est publié, le nom du traducteur est inséré en tout petit et la plupart des gens ne le remarquent même pas. Il y a des nombreuses organisations qui essaient de promouvoir l’idée selon laquelle la traduction est un art, un métier important et c’est exactement ce que fait ce prix qui récompense les traducteurs.

En France, il y a des clubs, des organisations et des associations comme Atlas qui promeuvent la traduction. Quand je travaillais sur Zola, je suis parti dans une résidence pour traducteurs à Arles. J’ai vécu avec neuf autres traducteurs. La journée je travaillais seul et au moment des repas, je retrouvais les autres dans la cuisine commune.

C’était vraiment bien, j’ai pu discuter des problèmes que je rencontrais avec les autres. Il y avait des Français qui travaillaient là-bas mais aussi des étrangers qui pouvaient me conseiller. J’ai eu l’impression de faire partie d’une communauté ce qui était très agréable.

Ma dernière question : quel est votre auteur favori ?

Tchekhov est mon auteur favori parmi tous. J’aime également beaucoup Tom Collins (Joseph Furphy) dans les auteurs Australiens. Pour les Français, j’aime les auteurs de la fin du XIX, début du XXème siècle, Colette, Proust, Camus… Des noms familiers !

Retrouvez ici toutes les informations sur la "Medal for Excellence in Translation". 

Flash infos