S’ils ont quitté la Nouvelle Calédonie, la Nouvelle Calédonie ne les a jamais quitté. Éloignés pour quelques semaines ou plusieurs années, ils sont la preuve que l’on peut avoir des racines et des ailes. Partons ensemble à la rencontre de ces Calédoniens explorateurs, voyageurs, créateurs…
Aujourd’hui j’ai RDV avec Magali Song : Actrice, Danseuse et Metteur en scène.
Notre conversation nous fait voyager entre l’Océanie, l’Asie et l’Europe ; le tout en pas de danse rythmés et sous le masque de la délicatesse.
Son parcours
Née en Nouvelle Calédonie, Magali arrive en France après le Bac pour faire des études universitaires à Montpellier. Elle découvre le théâtre dans le cadre d’un atelier de théâtre amateur un peu par hasard mais déjà passionnée elle commence à en faire le plus possible. Elle décroche le concours du conservatoire et entre à l’ENSAD de Montpellier (Ecole Nationale Supérieure d’Art Dramatique) et commence à travailler en tant que comédienne en France.
J’avais toujours prévu de repartir vivre en Nouvelle Calédonie après mes études. Ma génération est celle que l’on surnomme la « Génération Matignon ». On a grandi avec les accords de Nouméa, il y avait cette idée de pays à construire. Le retour n’était pas une option mais une certitude.
C’était sans compter sur ce virage artistique. Magali travaille alors en tant que comédienne dans une compagnie de théâtre itinérante entre Marseille et Paris pendant 6 ans. Elle affine sa formation sous la houlette de Thierry Salvetti et avec le Théâtre itinérant La Passerelle, théâtre inspiré par les formes orientales notamment du théâtre de Pékin et autour du jeu masqué.
Ça a été un élément fondateur de mon parcours qui m’a amené à creuser le sillon du jeu masqué qui me donne énormément de plaisir en tant que comédienne.
Les voyages asiatiques
Après un voyage en Inde pour aiguiser sa relation au geste et au travail corporel, Magali part s'initier au Topeng, danse exécutée avec un masque, en Indonésie. Le mot Topeng signifie masque dans différentes langues indonésiennes. L'origine de l'utilisation du masque reste assez mystérieuse, on pense qu'elle est liée au culte des Ancêtres qui faisaient des danseurs les interprètes des dieux. En 2009 elle entame un stage de danse et théâtre masqué Topeng dirigé par Elisabeth Cecchi à Bali.
Nous étions 5 stagiaires parmi lesquels j'ai rencontré Olivia-Manissa Panatte, une artiste originaire de Calédonie, qui habitait Paris elle aussi.
J’aime demander aux artistes que je rencontre s’ils croient à « l’instant décisif » (cf Henri-Cartier Bresson). Magali me confie que sa rencontre avec Manissa pourrait bien être l’un d’eux. Une chose est sûre, durant ce stage elle vit une expérience forte via la découverte du Topeng. Elle partage ses apprentissages et questionnements par rapport « au pays » et à leurs racines avec Manissa, qui transforme presque l’expérience en voyage initiatique.
Les Arpenteurs du Caillou
De cette rencontre avec Manissa est née la compagnie : Les Arpenteurs du Caillou, et l'envie de créer un spectacle en Nouvelle Calédonie inspiré de leurs questionnements. Les Arpenteurs du caillou c’est : Arpenter le monde à la recherche d'une inspiration et d'aventure artistique et émotionnelle, que ce soit à Bali, en Inde ou au Sénégal.
Arpenter c'est aussi prendre la mesure du monde, comme un géomètre : mesure émotionnelle de l'artiste par rapport au monde.
Après avoir été dans une recherche personnelle via le masque et la découverte de la culture balinaise, c'est donc la culture de son propre pays qui revient à elle. C’est maintenant la culture kanak traditionnelle qu’elle veut expérimenter en tant qu'artiste.
Le retour aux sources
De retour en Nouvelle Calédonie, c’est au sein de la troupe de Simon Poani en province Nord qu’elle part en immersion avec la troupe « Tiaou ».
En tant qu'artistes, on se demandait comment créer des liens. Cela fait 30 ans que l’on parle de vivre ensemble, mais cela reste fragile : il y a encore beaucoup de choses à faire.
Une personne très importante pour Magali dans ce cheminement est : Richard Digoué, chorégraphe et danseur kanak qui depuis toujours œuvre pour rassembler: « Grâce à lui j'ai pu rencontrer beaucoup de danseurs de l’ile. Il arrive à rassembler les artistes de danse traditionnelle, les danseurs issus du hip-hop, du contemporain… c'est très important pour l'avenir du pays. Ce sont des lieux de passerelle et des moments d'échanges qui sont concrets. ».
Elle est donc partie avec Manissa et les artistes interprètes réunis autour du projet, à Bopope, immergés au cœur de la tribu : « de la part de Simon, c’était un vrai geste d'échange pour comprendre plus profondément la culture de l'autre dans un cadre de création unique. »
Le spectacle est né un an après, alliant danse et théâtre : “Traversée(s) “. Fruit de la mémoire de ces voyages, il raconte sous forme de fable onirique l’odyssée d’une jeune fille qui tente de se réapproprier son histoire.
« Cette expérience fut un voyage dans tous les sens du terme. » Le spectacle a été créé au Centre Culturel Tjibaou et joué 8 fois sur l’île. A cette époque les créatrices pensent déjà à un prochain projet qui serait plus léger pour pouvoir le déplacer et le présenter à un plus grand nombre.
Ci-dessous le teaser du spectacle:
Les projets s’enchainent
À partir de là Magali essaye de trouver un équilibre entre ses projets d’interprète en France et ses projets créatifs en Nouvelle-Calédonie.
En 2011 elle travaille sur PORTRAITS - VISION DE L’AUTRE , REFLET DE SOI Performance danse-théâtre sous la direction de Richard Digoué en Nouvelle-Calédonie ; travail sur cette génération calédonienne qui s'intéresse à la transmission de l'histoire de chacun et à l’identité métissée. Pour Magali c’était comme une nécessité de se poser ces questions :
On appelle notre ile ‘le pays du non-dit’ comme le fruit d’une histoire non assumée et non transmise qui reste douloureuse.
En 2015 né le deuxième projet des Arpenteurs de Caillou : MALOYA. C’est un spectacle jeune public, plus léger permettant des représentations en salle ou en extérieur. C’était une volonté assumée de tendre vers une forme itinérante afin de l’offrir à un plus grand nombre de spectateurs: « Ce qui a été très réjouissant et gratifiant ».
C’est un spectacle jeune public librement inspiré d’un livre écrit par Manuel Touraille, voyage initiatique d’une poupée naufragée qui rencontre plusieurs personnages issus des mythes fondateurs de l'Océanie. Un spectacle visuel et poétique mêlant danse et jeu masqué, qui là encore interroge sur la mémoire, les origines et la recherche d’une identité culturelle commune.
La question de l’identité
Dans l’histoire de Magali, le fait de partir et de se déraciner était un choix. Elle avait soif de découvrir le monde, et le fait de partir lui a fait prendre conscience de son identité. C’est effectivement à son arrivée en Europe qu’elle s’est sentie profondément océanienne. « Le fait d'être loin nous rappelle ce que l'on est. » A Montpellier elle aime passer du temps au foyer Kanak et retrouve des connaissances de Lifou ou d’ailleurs : être déracinés rassemble.
Il n’y avait plus de caldoche, kanak etc. On venait tous de la même île et on a une culture commune qui est là : c’est indéniable. Les liens sont là, ils existent : il faut les transformer et les renforcer ; et arrêter d’opposer et de diviser.
Les origines de Magali et son histoire familiale sont l’exemple même de la diversité. Ses origines du côté de sa mère viennent de colons libres d’Irlande et d’Italie mais aussi de colons forcés issus du bagne, d’origine normande et alsacienne. Du côté de son père sont les origines chinoises, avec un ancêtre arrivé sur l’île au côté d’un aventurier britannique, bien avant la prise de possession française, qui sillonnait la Calédonie et les îles Vanuatu en faisant du commerce de bois de santal, et qui a pris pour femme une femme Kanak.
Une ascendance kanak qui vient aussi de son arrière arrière grand-mère paternelle, issue du clan du chef Ataï, qui mena l’insurrection de 1878 contre la présence coloniale française.
J'embrasse la culture française que j’adore et qui me nourrit, mais je suis le fruit d’une autre histoire. Mon identité est plurielle, à la lisière de plusieurs univers.
Pour Magali aujourd’hui 2 histoires cohabitent en parallèle : l’Histoire des blancs et l'Histoire Kanak qui commence enfin à être racontée et écrite ; pour exemple le livre : “Les Sanglots de l’aigle pêcheur” qui donne à entendre la mémoire de la guerre de 1917 du point de vue Kanak, à travers récits et poèmes.
« C'est très important d'avoir la vision kanak sur cette histoire et pas seulement le regard du colonisateur ; il faut déplacer les regards et sortir de cette vision européocentrée. »
Heureusement les mentalités changent doucement. Et depuis quelques années l’histoire de la NC est enseignée à l’école. En prenant enfin pour acquis que l’histoire de la Nouvelle-Calédonie commence avant l’arrivée de James Cook !
Une œuvre emblématique de sa carrière
Quand je demande à Magali si elle veut bien me citer une œuvre emblématique de sa carrière, elle préfère me parler d’un aventure humaine fondamentale dans son parcours :
« Travailler au sein de la troupe d’Hélène Cinque au Théâtre du Soleil pour la pièce Le Roi Cymbeline de Shakespeare. Si l’on parle d’objet de création à proprement parlé cela a été une expérience artistique et humaine extrêmement forte. »
Les acteurs avaient accès aux costumes, aux décors… Magali me confie qu’Hélène est dans la pure tradition où l'acteur est Créateur. Ils avaient des répétitions tous les jours, des training corporel le matin, des séances d’improvisations autour de la pièce, et cela pendant plusieurs mois ; un espace de création et un champ d’expérimentation assez rare pour les interprètes: « Tout ce processus créatif a été pour moi fondateur. »
L’histoire et la carrière de Magali est passionnante et complexe, et fait d’elle une artiste passionnée et complète.
L'acteur s'inspire en permanence de ce qui se passe autour de lui et vole des instants pour se les réapproprier et les transposer.
Sans aucun doute son parcours est et sera source d’inspiration pour bon nombre de jeunes acteurs, en Nouvelle-Calédonie et ailleurs.