Édition internationale
Radio les français dans le monde
--:--
--:--

Iabe Lapacas : Interprétation et Transmission

iabe lapacas acteur kanakiabe lapacas acteur kanak
© Jean Baptiste Mondino - Photo tirée du catalogue des Révélations 2012 "Corps et Âmes"
Écrit par Clotilde Richalet
Publié le 21 février 2021

S’ils ont quitté la Nouvelle Calédonie : la Nouvelle Calédonie ne les a jamais quittés. Éloignés pour quelques semaines ou plusieurs années, ils sont la preuve que l’on peut avoir des racines et des ailes. Partons ensemble à la rencontre de ces Calédoniens explorateurs, voyageurs, créateurs…

Aujourd’hui j’ai RDV avec Iabe Lapacas : comédien. 

Iabe est originaire des îles Loyauté, de Lifou, de la famille d’Ouvéa. Après une enfance au pays, il part à 18 ans continuer ses études supérieures en France. Après une prépa Sciences Po il part étudier le droit à Clermont-Ferrand, qui deviendra son fief. Là-bas, les grands frères et les oncles sont présents également, l’adaptation se fait plus douce ; le clan se reforme.

Le parcours de Iabe a été marqué par 2 grands rôles au cinéma, dont un pour lequel il est nommé "Révélation" au César 2012, et 1 documentaire audio. Ces rôles le font connaître comme interprète et font connaître l’histoire et la culture de sa terre natale.

 

2011 L’ordre et la Morale - long métrage 

L’ordre et la morale est un long métrage de 2011 réalisé par Matthieu Kassovitz basé sur des faits réels des évènements violents survenus en Nouvelle-Calédonie entre avril et mai 1988.

 

 

film kanak l'ordre et la morale

 

Synopsis du film : « En Avril 1988, 30 gendarmes retenus en otage par un groupe d'indépendantistes Kanak. 300 militaires envoyés depuis la France pour rétablir l'ordre. 2 hommes face à face : Philippe Legorjus, capitaine du GIGN et Alphonse Dianou, chef des preneurs d’otages. À travers des valeurs communes, ils vont tenter de faire triompher le dialogue. Mais en pleine période d'élection présidentielle, lorsque les enjeux sont politiques, l’ordre n’est pas toujours dicté par la morale... »

Iabe avait entendu parler de ce projet au début des années 2000. Mais c’est un jour de 2010, que son téléphone sonne, au bout du fil : David Bertrand, le directeur de casting de L’ordre et la morale qui lui fait part de sa recherche d’acteurs et notamment de quelqu’un pour incarner le rôle d’Alphonse Dianou. Au premier abord Iabe n’y crois pas… mais se rend à l’évidence, on lui demande réellement d’incarner son oncle à l’écran.

Iabe a pris le temps d’en parler à ses grands frères et à sa famille, et quand tout le monde a été d'accord il s’est engagé dans l’aventure.

Dans notre tradition et dans nos cultures nous avons notre art du jeu ; mais je ne connaissais rien aux plateaux du tournage et à la caméra. Le cinéma est un art et une industrie occidental.

Iabe prend donc des cours avec une coach qui l’a formé au jeu d’acteur. Pendant environ 2 mois Iabe fait des allers-retours à Paris pour les répétitions, et part finalement pour 2 mois direction la Polynésie pour le tournage. Sur place il retrouve beaucoup de famille qui est venue du pays pour assister ou participer au tournage.

Je me suis permise de demander à Iabe comment il avait vécu le fait d’interpréter Alphonse Dianou dans ce film qui allait véhiculer au grand public son histoire et l’histoire de tout un peuple :

"J’en avait parlé à l’époque avec mon frère Denis Pourawa, qui m'avait dit : c'est le poids d'un fardeau et d'une plume. Cela représente toute la lutte du peuple kanak, la lutte des tontons qui sont tombés et qui sont morts pendant les événements.

Je n'existe pas seul. Je n'existe que par la famille et par nos liens. Donc ça a été une décision collective. Si je n'avais pas eu l'autorisation par les parents :  jamais je ne l'aurais fait. Et en même temps je l’ai fait à titre personnel puisque c'était un de mes tontons. Parce que c'est l'histoire du pays et que cette histoire nous habite. Et pour moi c’était un honneur et un privilège de pouvoir le représenter.

Ce film nous a permis de libérer la parole pour certains qui s'étaient tus depuis ce jour de 1988. Ouvéa on n’en parlait quasiment jamais, pour ceux qui n'étaient pas directement liés ou concernés :  il n'y avait que des « on dit », des grandes lignes et des fantasmes. Aussi une certaine amnésie qui était liée à la volonté des accords signés. L'amnistie et l'amnésie. Tout cela a un rapport avec la mémoire : avec l'une on la coupe, et avec l'autre on l'oublie."

C'est le paradoxe de faire un film historique et politique en même temps, il existe plusieurs niveaux de lecture pour qui le regarde et veut comprendre et en tirer des enseignements.

Ci-dessous la bande annonce du film de Matthieu Kassovitz.

https://www.youtube.com/watch?v=79STXXLK6oA

 

2018 L’arbre et la pirogue - Court Métrage

Tout homme est tiraillé entre deux besoins, le besoin de la Pirogue, c’est-à-dire du voyage, de l’arrachement à soi-même, et le besoin de l’Arbre, c’est à dire de l’enracinement, de l’identité, et les hommes errent constamment entre ces deux besoins en cédant tantôt à l’un, tantôt à l’autre; jusqu’au jour où ils comprennent que c’est avec l’Arbre qu’on fabrique la Pirogue.

Mythe mélanésien de l’île du Vanuatu

 

film kanak l'arbre et la pirogue

 

Synopsis du film : « La vie d'une tribu kanak est perturbée par l'arrivée progressive de la modernité. Iabe voit d'un mauvais œil ce changement et se perd entre ses traditions et cette modernité. »

C’est encore une fois une occasion offerte à Iabe quand en 2017 quand un frère lui présente Sébastien Marques. Le réalisateur va tourner un court métrage basé sur le mythe mélanésien du Vanuatu : l'Arbre et la Pirogue, qui retrace les désirs de l'homme qui est tiraillé entre le besoin de s'enraciner quelque part et celui de partir et d'aller voir au-delà de la terre au-delà de la mer avec la pirogue.

Sébastien Marques a adapté cette histoire alors que son père est enseignant et entraîneur de sport au pays. Il a formé des générations de calédoniens dans le sport et Sébastien est souvent venu avec lui dans les tribus. Il a été témoin des différentes évolutions ces 20 dernières années et quand il a vu les premières antennes paraboliques accrochées dans les cases (milieu des années 90) ça l'a interpellé ! C’est comme ça que lui est venue l'idée d'écrire ce court-métrage à la manière d'un conte.

Le film dure environ 25 minutes, en 2017 il gagne le Prix Océans, qui récompense les projets des ultramarin, et est sélectionné dans de nombreux festivals : au New York International Film Festival et au Denton Black Festival aux Etats-Unis, au International Short Film Festival de Pune en Inde, au Wairoa Maori Film Festival at au Byron Bay Film Festival en Australie, au Festival du Film Francophone de Vaulx-en-Velin, au Chittagong Short Film Festival au Bangladesh, au Prvi Kadar International Film Festival en Bosnie Herzégovine, au Hawaii International Film Festival à Honolulu, au International Short Film Festival Canton en Chine, au Cabo Verde International Film Festival au Cape Vert, au West Nordic International Film Festival en Norvège, au Feel the Reel International Film Festival à Glasgow en Ecosse, ou encore au Quatzalcoatl Indigenous International Film Festival à Oaxaca au Mexique… et j’en oublie d’autres ! Que parcours !

Comme le dit Iabea : « Le film a beaucoup circulé : c’est la pirogue. »

https://www.youtube.com/watch?v=cohN1EdC_HE


 

2020 -  Le combat ne doit pas cesser - Documentaire radiophonique en 6 épisodes

"LE COMBAT NE DOIT PAS CESSER : ELOI MACHORO, UN SUPER-HEROS POUR KANAKY"

 

film kanak eloi macharo

 

Synopsis : Le 12 janvier 1985, à une centaine de kilomètres de Nouméa, capitale de la Nouvelle-Calédonie, Eloi Machoro tombait sous les balles des forces de l’ordre françaises. Trente-cinq ans après, ce documentaire sonore en 6 épisodes revient pour la première fois, à travers entretiens, sons d’archives et textes d’époque, sur la trajectoire de cette figure essentielle de la lutte d’indépendance kanak, encore largement méconnue hors de ses terres natales.

C'est de nouveau un coup de fil : de Benoît Godin ce fois ci, qui va marquer une étape la vie de Iabe. Les 2 hommes se connaissent déjà à travers différentes actions militantes communes. Benoît revenait du pays et il avait avec lui tous ces enregistrements et ce matériel audio. Il voulait absolument tout mettre en forme pour faire ce documentaire : sur la trace du vieux Éloi Macharo.

Quelques mois plus tard il annonce à Iabe qu'il cherche quelqu'un pour faire la voix off, et qu’il aimerait que ce soit lui. Naturellement Iabe demande à ses frères du Canala, se concerte avec la famille et prend la décision de participer au projet. Et c’est ainsi que cette nouvelle aventure a commencé pour aboutir à ce documentaire sonore: "LE COMBAT NE DOIT PAS CESSER : ELOI MACHORO, UN SUPER-HEROS POUR KANAKY", en lien ci-dessous :

https://soundcloud.com/lampetempete/sets/le-combat-ne-doit-pas-cesser-eloi-machoro

Quand je demande à Iabe si tout cet héritage et cette transmission n'est pas trop lourde à porter, il me répond : 

"C'est mon chemin, et sur mon chemin il n'y a pas de hasard. Il faut prendre le temps, doucement mais sûrement. Il faut parler mais il faut écouter aussi. Finalement ces films et ce documentaire radiophonique sont venus à moi à des périodes et à des âges où j'étais peut-être aussi en mesure de les accepter. 

J’avais 28 ans quand j’ai fait L’ordre et la morale. Tonton Alphonse est mort à 28 ans.

L'arbre et la pirogue est arrivé à un moment de ma vie où cela faisait un long moment que j'étais parti de la maison et que je n'étais pas rentré à Lifou… El là encore c'est pareil pour le projet du Vieux Éloi. C'est toujours un honneur et un privilège, ça me permet de participer à la mémoire collective."



Iabe tient à exprimer des remerciements :

« À toi Clotilde pour la tribune, à toutes nos familles de toutes les îles, dans toutes les aires, dans la capitale et dans les capitales, dans toute l'Océanie, à Wallis-et-Futuna, l'Australie, Sydney, la Papouasie-Nouvelle-Guinée, partout ici en France, aux États-Unis, sur toute la terre et aussi dans l'espace et dans le ciel et puis dans la mer. Merci à tous ceux qui ont participé à tous ces projets qui ont permis de mettre à l'honneur l'histoire et la culture du peuple Kanak à travers ces formes artistiques, cinématographique ou sonores. Merci pour la famille, merci pour la parole, les prières et les pensées. »

 

Et moi je remercie Iabe, pour ce partage.

 

Flash infos

    Pensez aussi à découvrir nos autres éditions