Elle a 31 ans, elle est franco-américaine et s’appelle Shaan Couture. Elle débarque aux États-Unis en 2004, « mon père voulait vivre son rêve américain » explique-t-elle. Son père, l’artiste CharlÉlie Couture. Shaan a la création et la créativité qui lui coulent dans les veines. Mais pas que ! Elle se passionne pour l’humain. Fil conducteur dans sa vie et dans son travail. De l’humain en général, elle cherche à comprendre les particularités. C’est dans ses courts-métrages qu’elle met cet art en pratique. Au service de l’humain. Bienveillante, curieuse, pétillante et sincère, la jeune trentenaire nous raconte ses passions.
Shaan Couture ©️Alex Li
Passionnée par l’humain
« J’ai grandi à Paris et à 15 ans, je me suis retrouvée à New York, dans le next level » raconte, amusée, Shaan Couture. Inscrite au Lycée Français de New York, elle termine son secondaire avant de partir à l’université de Montréal où, littéralement passionnée par l’être humain et la compréhension de ce dernier, elle passe une licence de Sociologie. Puis direction la Californie où elle décroche un master en Communication non-verbale. Assise entre deux cultures, Shaan s’est vite interrogée sur la communication entre personnes qui ne partagent pas la même langue. Curieuse de l’autre, elle s’intéresse tout naturellement au langage de ceux qui sont privés de sons. Communiquer quand on n’entend pas... En né, en 2016 son premier film de fiction qui met en scène un malentendant : Thin lines. Elle met un pied dans l’industrie du film en même temps qu’elle continue de se passionner pour l’âme humaine, dans toute sa disparité et sa richesse. Son constat : nos différences devraient être source de dialogues et non de silence. Shaan filme alors la vie presque vide de Leah, interprétée par sa sœur, Yamée Couture qui remporte le prix de la meilleure actrice au Chelsea Film Festival, une femme se sentant piégée dans son propre silence jusqu'à ce qu'elle rencontre Noah, un créateur joyeux, mais sourd qui lui ouvre les yeux sur une nouvelle façon de vivre.
Ce film est sélectionné par plus de vingt festivals du film en Europe et en Amérique du Nord.
Yamée et Shaan Couture
Avec cette humilité qui lui colle au corps et à l’âme, Shaan explique « je n’ai pas fait de film school, j’ai appris sur le terrain ». Apprentissage quelque part, un peu prédestiné. Du haut de ses quatre ans, et haute comme trois pommes, elle demandait déjà à son artiste de père de lui expliquer comment fonctionnait un appareil photo, une caméra. Il ressort de cette enfance, déjà artistique, L’Effet Miroir, un court-métrage, reflet d’un balbutiement...
Étudiante à San Diego, elle intègre parallèlement à ses études l’Entrepreneurship Center de l’Université. « Là, j’ai commencé à faire des vidéos pour d’autres étudiants qui portaient un projet ou créaient leur entreprise. C’était un vrai job ». Passionnée, elle apprend, filme, crée. « Après cette expérience, je me suis dit que moi aussi, je voulais avoir ma boîte de production. » Forte de cette expérience, et d’un passage au planning stratégique d’une agence de publicité, Shaan Couture se lance en tant que productrice-réalisatrice. Et elle a bien fait.
Une productrice réalisatrice qui s’affirme
Un premier budget tombe, et non le moindre : un documentaire All Eyes On Brazil sur l’identité des Brésiliens réalisé en pleine coupe du monde 2014 de Foot alors accueillie par le Brésil. « Nous avons fait une levée de fond de $30,000 et nous nous sommes envolés pour le Brésil ». L’idée, rendre compte de l’identité brésilienne loin des clichés télévisés. Pour cela, la jeune femme s’invite chez des Brésiliens et apprend à les connaître, tout en les filmant, le temps d’un match. 90 minutes pour comprendre. Parfois, quelques minutes de prolongation. Un gamin des favelas, un coach de foot, une étudiante contre la coupe de monde, un jeune cadre argenté, une dame à la tête d’une association qui aide les enfants démunis... Shaan Couture s’invite dans ces différences sociales et sociétales. Non sans indifférence. Son documentaire est un véritable succès.
« Nous avons filmé une palette de paysages, mais aussi des gens complètement différents » relate la réalisatrice. Le documentaire diffusé à la télévision française, est ensuite distribué au Canada et en Chine. Pour un coup d’essai, c’est un coup de maître !
Elle retourne trois ans en Californie pour revenir à New York en 2016. « J’ai produit beaucoup de pub, pour Yves Saint-Laurent, Armani et d’autres marques » raconte Shaan. Mais elle revient vite à ses premières amours, le court-métrage. Fascinée, mais aussi marquée par les différences de culture, de langues, de classes, elle suit pendant une années trois musiciens new-yorkais et réalise, en 2019, New York Scherzo. L’histoire de trois musiciens nés à des endroits différents du globe. Séoul, Paris et Nashville. De cultures différentes, de langues différentes, d’origines différentes mais reliés par une passion commune : la musique. Et une ville commune, New York.
« L’idée, c’était aussi de comprendre comment on vit aujourd’hui de la musique, de ses instruments. Je les ai filmés pendant un an. En concert, en coulisse, mais aussi dans leur vie personnelle ». Il existe d'innombrables documentaires sur des musiciens célèbres, New York Scherzo relate l'histoire de ce qui se passe avant la gloire et la fortune.
Ce court-métrage qui met en avant musique, différences et êtres humains sur fond d’une histoire d’amitié est lui aussi un succès. Il reçoit cinq distinctions aux États-Unis, dont le « Special Jury Award » du Chelsea Film Festival, en plus de nominations en France. Racheté par une boîte de distribution, il est diffusé sur Amazon.
Des différences aux ressemblances
« On fait des reportages sur des gens extraordinaires, mais il y a aussi des gens ordinaires ». C’est sûrement avec sa casquette de diplômée de sociologie que la jeune femme émet ce constat. À moins que ce soit avec l’humanité qui la définit si bien. « J’aime les gens, donc j’ai envie de les comprendre. Que ce soit un sportif, un président ou un commerçant derrière son comptoir ».
Président. Justement, l’Amérique vient d’élire son futur président. Shaan était là. À filmer, à photographier, à documenter l’histoire de l’Amérique qui, ce 7 novembre 2020 a écrit les prochaines lignes de son histoire. À Washington, elle se retrouve au milieu de la liesse. Celle qui a emporté les quelque 75 millions d’Américains qui ont donné leur voix à Joe Biden. Ce jour-là, les États-Unis ont fait entendre leur voix, démocrate. Shaan en a fait un documentaire, A Day That Matters, dont sa sœur Yamée signe la bande son.
Actuellement, Shaan Couture travaille sur son premier long-métrage. Elo dont l’intrigue se déroule en Louisiane. « Je le co-écris et co-réaliserai avec Jonas Dinal dans la région de Lafayette. » explique Shaan. Et de rajouter « Elo, c’est un jeune métis de 27 ans qui débarque en Louisiane et découvre la chaleur d'une culture qu'il tente d'apprivoiser pour renouer avec ses origines. Mais il découvre aussi la misère de Bayous, et le racisme qu'elle engendre. Sa rencontre avec Alice, une franco-américaine qui rêve de la vie d'artiste, va bouleverser son voyage et l'entraîner au cœur de la Louisiane profonde ».
La Louisiane n’est pas choisie par hasard. C’est un État de coeur pour la réalisatrice. À la rencontre de plusieurs langues, de plusieurs cultures, de plusieurs accents. Comme elle... « J’ai un véritable amour pour la Louisiane. Il y a des Américains, des Cajuns, des Canadiens, des Acadiens, des Français. C’est une région pleine de contrastes et j’y puise mon inspiration sur de vrais personnages. Elo est un film qui me représente. » Elle, l’Américaine en France et la Française aux États-Unis.
C’est aussi en Louisiane que Shaan réalise un documentaire sur son père, alors qu’il enregistre son album Lafayette. Il faut dire que chez les Couture, l’art est un langage commun. Ensemble, ils écrivent leur histoire. Artistique. Shaan collabore aussi souvent avec sa sœur cadette, Yamée Couture, actrice et musicienne. Shaan, Yamée et CharlElie Couture. Artistes de père en filles...
Shaan Couture filmant son père, CharlÉlie Couture ©️Jacques Gavard
De son père, une phrase résonne en elle « on peut décider de garder ses zones d’ombres, ou au contraire, partager ses émotions ». Shaan l’avoue « ça m’a toujours fait du bien de partager ».
Des projets, la jeune femme en a plein la tête, plein le coeur. En plus d’Elo, un documentaire sur les femmes Street-artists est en préparation, et en attente de financement. Tous sont des projets qui traversent les frontières, comme Shaan qui vit sur un espace de plusieurs fuseaux horaires. Vivre d’une langue à l’autre, d’un accent à l’autre, d’une culture à l’autre. C’est la vie de Shaan Couture et c’est aussi ce qu’elle filme. Des gens différents qui dans un langage autre se rassemblent. Qui dans une culture différente se ressemblent.
Par Rachel Brunet, Rédactrice en chef du Petit Journal New York
Pour en savoir plus sur Shaan Couture
Pour suivre l’actualité de Shaan Couture
Shaan Couture ©️Alex Li