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Dans les startups américaines : Échouer, apprendre, pivoter

Startups américaines Startups américaines
Écrit par Mathilde Guimard
Publié le 24 février 2022, mis à jour le 24 février 2022

À travers la plume et l’analyse de Mathilde Guimard, notre édition part, durant ce premier semestre 2022 à la rencontre d'entrepreneurs et d’ investisseurs entre Los Angeles et San Francisco. L’ objectif ? Décrire l'adn californien dans l'écosystème startup et tech en partenariat avec Inovexus, fonds d'accélération cross-border.

La manière dont les entrepreneurs de la Silicon Valley envisagent l’échec est l’une des raisons qui font de la Californie un écosystème inspirant pour les startups. J’ai passé 5 mois à San Francisco et Los Angeles où j’ai rencontré 70 entrepreneurs et investisseurs. Lorsque je leur demandais ce qu’était l’état d’esprit entrepreneurial, une réponse que j’ai souvent obtenue est qu’ici, l’échec est perçu comme positif et est même encouragé.

 

Évidemment, réussir du premier coup est l’objectif de tout le monde. Mais tous les entrepreneurs font des erreurs, et l'écosystème des startups californiennes est inspirant sur deux aspects principaux concernant l'échec que je vais développer ici. D’abord, la devise de "Fail & learn" (échouer et apprendre), où l’échec est considéré comme une expérience positive. Ensuite, le concept de « pivot », où l'échec est envisagé comme le pilier de la réussite.

Ces deux concepts sont les derniers que je souhaite mettre en avant pour répondre à la question : "Qu’est ce que l’ADN californien dans l’écosystème startup ?". Cet article suit d’ailleurs mon précédent, où j’évoquais la notion de momentum lors la pénétration d’un marché. Lorsque l’on rate le bon moment, la vague, que faire ? Eh bien, apprendre et... pivoter !

 

"Fail & learn" : l’échec comme expérience positive

L’échec dans les startups californiennes est valorisé et encouragé. C’est une expérience positive car si vous avez fait une erreur une fois, vous ne la referez probablement pas. Toutes les erreurs commises sont aujourd’hui autant de domaines que l’on maitrise davantage. Dans la Silicon Valley, on considère même que plus vous avez échoué, plus vous avez d’expérience, et plus vous avez donc de chances de faire de votre startup une licorne ! C’est pour cela que des expériences entrepreneuriales antérieures, même si elles n’ont pas abouti, sont valorisées lors des levées de fonds et constituent généralement un signal positif fort pour les investisseurs.

Sophie Durey, Venture Program Manager chez Tamar Capital, considère qu'en France, essayer quelque chose et ne pas réussir est parfois considéré comme un signal négatif sur son CV et peut entraîner la méfiance. Au contraire, selon elle, les entrepreneurs californiens racontent leurs échecs comme ils portent des médailles : avec fierté. Ne jamais avoir échoué signifierait que la personne est frileuse quand il s’agit de prendre des risques. À plus grande échelle, "Fail & learn" explique aussi pourquoi les fonds de Venture Capital et les Big Techs n'hésitent pas à brûler beaucoup de cash et à investir massivement dans des projets à fort potentiel, selon Boris Frochen, franco-américain et co-fondateur de Ramp-Up Lab. Si l’on suit cet état d’esprit, l'échec devient donc un succès.

 

  Les échecs font partie des histoires inspirantes

C'est ainsi que les échecs font partie des histoires inspirantes que racontent les entrepreneurs. 95% de ceux que j'ai rencontrés ici m'ont raconté leur parcours en mentionnant leur plus gros échec avec fierté. Ils mettent en avant ce que ces expériences leur ont appris. J’ai donc accumulé beaucoup de business cases que je souhaite partager ici car ils sont utiles. À titre personnel, je m'en souviendrai lorsque je lancerai mon projet - chose qui ne saurait tarder maintenant que je suis imprégnée de l'état d'esprit "go-for-it" ! Voici donc trois business cases qui ont tous conduit à un ralentissement inattendu de l'activité des startups — ce qui pourrait être considéré comme un échec —, et qui ont amené à des apprentissages.

Le premier est celui d'Alex Deve. Il a appris d'une cible mal identifiée lorsqu'il a fondé WhiteTruffle en 2010, une plateforme visant à mettre en relation les talents de la tech avec des startups. L'équipe de WhiteTruffle a identifié les responsables du recrutement comme leur cible et a développé une nouvelle application pour eux. La plateforme était très efficace en termes de matching. Le problème ? L’onboarding de l'application : les responsables du recrutement n'étaient pas les utilisateurs de la plateforme et le churn a drastiquement augmenté. Ce qu’il en a retiré, c’est que le manque d'informations venant du terrain a conduit à une mauvaise stratégie. La cible aurait dû être les recruteurs, et non leurs responsables. Alex considère qu'ils ont exécuté sur la base de leurs sentiments et n'étaient pas suffisamment informés sur le comportement de leur cible.

Niv, que j'ai rencontré dans mes premiers jours à Los Angeles, a appris d'un mauvais focus concernant les besoins de ses consommateurs. Lorsque la pandémie du Covid-19 a explosé, le problème qu'il a identifié pour la marketplace B2C qu’il développait était la livraison rapide des produits à domicile. L'équipe s'est donc concentrée sur l'amélioration du service de livraison. Le problème qu’ils ont ensuite rencontré, c’est qu’après la pandémie, les consommateurs voulaient retourner au magasin. L’équipe n'était pas sur la bonne voie et a perdu des consommateurs. Le focus aurait dû être mis sur l'amélioration de l'expérience en magasin. Ce que Niv a appris, c’est l’importance de différencier la demande à court terme — due à des situations conjoncturelles comme celle du Covid — et l'évolution structurelle, ainsi que celle de prendre du recul pour anticiper l'évolution du comportement des consommateurs.

Jacques-Alexandre Gerber a appris des relations avec les concurrents stratégiques avec Intalio. Fondé en 2000, son software en BPM (Business Process Management) est passé de 0 à 3 millions de $ par an en 3 ans. Ils voulaient se développer en Europe et s’étaient donc engagés avec certains de leurs principaux concurrents tel qu’IBM. Le problème ? Microsoft travaillait avec IBM pour entrer sur le marché avec une offre concurrente. Intalio était sur la touche. Jacques-Alexandre a décidé de retourner aux États-Unis et de changer le modèle commercial, en proposant son produit gratuitement et des services sur un modèle d’abonnement. Ce qu’il retient de cette expérience, c’est que ne pas travailler avec un concurrent aussi important que Microsoft a été une erreur. Ils auraient dû s'associer avec eux plus tôt, ce qu'ils n'ont pas fait car Intalio était plus avancé en termes de technologie.

Apprendre de ses échecs est ainsi valorisé car c'est ce qui amène les entrepreneurs à pivoter, concept clé aux États-Unis.

 

Le pivot : l’échec comme pilier de la réussite

À la suite d’un échec, certains projets sont brutalement stoppés. Apprendre de l’échec est une première étape, réagir en conséquence est la seconde. Pour Jacques-Alexandre Gerber, le « pivot » est un mot magique dans la Silicon Valley car « les entrepreneurs n'échouent pas, ils pivotent ». Les erreurs et les pivots font partie à 100 % du parcours d'entrepreneur. Mais... un pivot, ça veut dire quoi ? Changer radicalement la stratégie d’une start-up pour atteindre son objectif, concrétiser sa vision.

L'idée de pivot révèle deux caractéristiques principales des entrepreneurs californiens.

Premièrement : la réactivité. "Action-réaction" ! Ça n'a pas marché ? Eh bien, il s’agit de se repositionner rapidement sur le marché, de changer le business model, ou la stratégie marketing. Ou de fonder une nouvelle startup. Mais il faut faire quelque chose pour s’adapter aux nouveaux événements, trouver une nouvelle opportunité. Capituler n’est pas une option !

En ce sens, le concept de pivot témoigne également de l'ambition et de la détermination des entrepreneurs californiens. "Recommencez, encore et encore, jusqu'à ce que ça marche". Cela fait partie de la culture du travail dont je parlerai dans mon prochain article. Pour Boris Frochen, c'est un héritage de la mentalité des chercheurs d'or : essayer 80 fois avant de trouver la pépite. Et vous la trouverez ! C'est le rêve américain, qui implique de ne jamais abandonner.

 

  Cette notion de pivot fait partie des grandes histoires à succès que nous connaissons tous.

De Netflix, par exemple, pour son adaptation aux évolutions du marché, comme me l'a mentionné Doug Erickson, Executive Director à Santa Cruz Works. Initialement, Netflix était un service de livraison de DVD dans les boîtes aux lettres des clients. Mais à mesure que la demande de contenu numérique augmentait, Netflix a non seulement commencé à offrir un accès aux films et aux émissions TV en ligne en 2007, mais a également commencé à produire sa propre programmation originale en 2013.

Le pivot faire aussi partie de l’histoire d’Airbnb (encore eux !), pour avoir su tirer profit d’énorme opportunité marché, comme me l'a raconté Donna Bletzinger, CEO de Dyer Stephenson. À ses débuts, l'objectif d'Airbnb était de permettre aux voyageurs participant à des conférences à San Francisco de séjourner chez des particuliers, en utilisant des matelas pneumatiques, lorsque les hôtels étaient complets. La situation a radicalement changé lorsqu'ils ont remarqué que les voyageurs et touristes aussi recherchaient des logements bon marché et chez l’habitant pour vivre une expérience locale. Ils ont alors entrepris un énorme pivot dans leur stratégie de « go-to-market » et, la suite de l’histoire, on la connait !

La Bible de la Silicon Valley inclut également les histoires et les pivots de Slack, Twitter, Paypal, Instagram ou encore Youtube, initialement une plateforme vidéo permettant aux célibataires de se rencontrer. Cela illustre que pivoter nécessite parfois un virage qui implique un éloignement radical par rapport à la vision initiale de la startup. À ce propos, Tximista Lizarazu, PDG de Fraîche, m’avait partagé qu’"une entreprise morte n'a pas d'impact" : il faut donc entreprendre tous les pivots nécessaires pour maintenir une startup en vie et donc son impact futur !

Traiter du pivot m'amène à souligner de nouveau à quel point la collaboration est au coeur de l’écosystème californien. La Silicon Valley est le meilleur endroit pour développer une startup, non seulement parce ses talents sont aujourd’hui très expérimentés dans la résolution de situations critiques technologiques — ils sont passés par là à maintes reprises —, mais aussi parce que la règle y est de partager son expérience avec tout le monde.

Dans la Bay Area, le principe est que les réussites sont constituées de 90% de travail et de seulement 10% d'idées, selon Boris Frochen. Il n'y a rien à garder pour soi et la Silicon Valley n'a donc pas peur de partager ses codes, les projets, les méthodes de travail, et… les stratégies pour passer de l’échec à un pivot ! C'est l'une des raisons pour lesquelles les CEOs valorisent grandement les accélérateurs et les fonds de Venture Capital de la Silicon Valley, non seulement pour l'investissement qu'ils obtiennent, mais aussi pour le savoir qu'ils vont acquérir grâce au mentoring et au réseau qu’ils offrent. "Give back. Pay it forward" est le principe : vous bénéficierez des expériences des autres et ensuite, ce sera à votre tour de partager vos connaissances en matière d'entrepreneuriat et de technologie !

 

Une même situation peut donc déboucher sur un échec, ou sur un pivot. Tout dépend de la façon d’envisager les choses et des actions en découlent. La Californie est un lieu d'inspiration en la matière ! Expérimenter la devise "Fail & learn" et partager ses expertises auprès de l'écosystème, c'est ainsi que la Silicon Valley fonctionne, et réussit. C'est d’ailleurs sur ces principes qu'Inovexus a été créé, nos mentors cross-border transmettant l'état d'esprit californien aux entrepreneurs européens.