Dans le cadre de la Journée internationale des droits des femmes, et de notre projet éditorial dédié aux « femmes leaders », nous avons rencontré Anne-Claire Legendre. Première femme à occuper le poste de Consule générale de France à New York, elle a été, dans sa carrière, une pionnière. Chargée de mission auprès du Directeur des Français à l’étranger, rédactrice Algérie à la Direction Afrique du Nord et Moyen-Orient, conseillère au Conseil de Sécurité à la Représentation des Nations Unies sur la Syrie, Liban, Palestine, conseillère Afrique du Nord Moyen-Orient du Ministre, elle a été la première femme à être nommée à ces fonctions.
Lors de notre entretien, nous avons parlé de diplomatie féministe et d’égalité Femme-Homme, l’une des priorités du mandat du président Macron.
Lepetitjournal.com New York : Pouvez-vous nous parler de la « diplomatie féministe » si chère aux ministres Le Drian et Schiappa ?
Anne-Claire Legendre : La diplomatie féministe est la déclinaison d’une priorité de l’État. Depuis que le président Macron est arrivé au pouvoir, il a fixé comme grande priorité de son mandat, l’égalité homme-femme. La diplomatie, comme toutes les autres activités de l’État, a dû se mettre au diapason et devenir une diplomatie féministe, ce qui porte plusieurs aspects. C’est tout d’abord réfléchir à sa propre gouvernance puisque l’État a un effort de transformation à faire en matière d’égalité homme-femme. Cet effort est en cours depuis un certain nombre d’années, avec notamment l’application de quotas. L’administration doit nommer plus de femmes à des postes clés. C’est un effort qui est poursuivi par le Quai d’Orsay, avec une vraie amélioration puisque nous sommes aujourd’hui plus de 22 % d’ambassadrices à travers le monde. Ce chiffre a très largement augmenté depuis 2012 et l’adoption des lois sur les quotas dans l’administration. Cet effort est soutenu avec la succession des jeunes générations, la formation des femmes à l’intérieur du Quai d’Orsay et un réseau actif à l’intérieur du ministère, « Femmes et diplomatie ». Ce réseau a permis de faire bouger les lignes et de faire monter un certain nombre de problématiques qui touchent à la fois les hommes et les femmes. Diplomate est un métier d’expatrié, donc les familles, les conjoints doivent être pris en compte. Ce qui touche plus particulièrement les femmes puisque, auparavant, le modèle était davantage calqué sur des hommes diplomates qui partaient à l’étranger avec des épouses qui, généralement les suivaient. Le Quai d’Orsay accompagne la transformation de la société en transformant la diplomatie de l’intérieur.
Ensuite, évidemment, la diplomatie féministe revient aussi à décliner toutes nos priorités diplomatiques en inscrivant les femmes au coeur de ces priorités, que ce soit en matière de paix ou de sécurité. Au Conseil de Sécurité, ici, à l’ONU, nous avons un certain nombre d’initiatives, dans le cadre de débats que l’on appelle « Femmes, Paix et Sécurité » pour faire en sorte que cette question-là soit aussi inscrite à l’agenda des institutions internationales, en matière de politique de développement, puisque la France a une politique de développement en soutien aux pays émergents. Nous avons fait en sorte de reprioriser toutes les lignes de notre aide au développement pour qu’au moins 50 % d’entre elles, bénéficient à des femmes, que ce soit pour la reconnaissance de leurs droits, mais aussi pour ce qui est de l’« empowerment économique » et de la représentation démocratique.
Sur toutes les priorités qui sont les nôtres, nous essayons d’améliorer, à travers nos actions, l’égalité femme-homme, en France ou à l’extérieur.
Vous avez cité le réseau « Femmes et diplomatie » pouvez-vous expliquer comment se traduit ce réseau ?
Le réseau a été créé il y a plus d’une dizaine d’années à partir d’un constat : il n’y avait pas, au sein du Ministère des Affaires Étrangères, de réseau constitué de femmes. On sait bien qu’un des points critiques de la constitution du plafond de verre est la capacité à networker. C’est un mot américain, ici, tout le monde sait pratiquer le networking, mais moins en France. En France, ce dernier reposait sur des réseaux informels de solidarité masculine qui excluait souvent les femmes. Quelques femmes, dont Nathalie Loiseau qui en est la fondatrice, ont ressenti le besoin de créer un réseau qui permette d’échanger de bonnes pratiques, des conseils, mais aussi de se soutenir dans la poursuite de sa carrière. Un système de mentoring interne permet de conseiller et d’aiguiller les jeunes diplomates. Ce réseau permet aussi d’échanger des expériences. Dans ma carrière au Quai d’Orsay, j’ai toujours été la première femme à occuper les postes pour lesquels j’ai été nommée. Parfois, on se sent un peu dépourvue, c’est donc toujours utile de pouvoir se retourner vers une collègue et de pouvoir poser des questions sur la meilleure façon d’agir dans certaines situations. Ce réseau de femmes et d’écoute bienveillante est précieux.
C’est un réseau, qui au sein du ministère, a porté cette question d’égalité femme-homme mais qui a aussi porté toute une série d’autres questions qui n’étaient pas vraiment abordées par d’autres associations internes, comme la question de la famille, qui bien évidemment ne touche pas que les femmes, l’idée étant d’arriver à trouver un équilibre entre vie privée et vie professionelle dans un métier qui se pratique à l’étranger et pour lequel nous sommes très sollictés.
En tant que femme dans la diplomatie, est-ce que vous vous sentez privilégiée par rapport aux femmes qui évoluent dans le privé ?
Je ne sais pas si nous pouvons distinguer les femmes diplomates et les femmes du privé. Pour moi, vivant à l’étranger, et étant confrontée à d’autres sytèmes et d’autres cultures, d’autres environnement légaux, je constate à quel point, il y a, en France, une volonté politique de bouger sur la question de l’égalité. Il y a une approche légale, juridique qui supporte cette volonté politique et qui fait vraiment la différence. Nous parlions de quotas et des lois mises en place par notre pays. Ces dernières ont vraiment permis de faire un grand pas en avant. Si nous prenons l’exemple de la France, du Canada et des États-Unis, au début des années 2010, le taux de femmes impliquées dans un Conseil d’administration était identique dans les 3 pays, un peu moins de 20 %. Aujourd’hui, la France est pionnière et un véritable exemple, avec 42 %. En moins de 10 ans, la France a réussi à doubler le nombre de femmes dans les Conseils d’administration. C’est un résultat spectaculaire par rapport à d’autres pays. Aujourd’hui, nous voyons bien qu’il y a une sensibilisation montante dans les pays que j’ai cités, mais à défaut d’une volonté politique, il ne peut y avoir une évolution. Les États-Unis sont toujours, aujourd’hui, dans une fourchette de 20 %.
Entre 2012 et 2018, il y a eu plus de femmes nommées ambassadrices que durant les 40 années précédentes, vous avez été nommée Consule durant cette période, est-ce qu’en tant que femme diplomate, Suzanne Borel est une référence, un modèle ?
Suzanne Borel est vraiment la pionnière, la première femme à être entrée au Quai d’Orsay presque sur un malentendu finalement puisqu’elle a réussi à passer les concours juste avant que ceux-ci ne soient fermés aux femmes pendant un certain temps. Le fait qu’elle ait réussi à passer le concours montre sa force de caractère. Elle a choisi de s’intégrer dans un environnement professionnel qui était complètement masculin. On ne peut qu’admirer cette force de caractère. Ensuite, le fait même d’avoir réussi à entrer au quai d’Orsay n’a pas suffi pour qu’elle puisse s’épanouir dans cette carrière. On voit bien qu’il y a des points critiques qu’il faut arriver à faire tomber, comme la barrière des concours qui était évidemment une injustice crasse faite aux femmes. À l’intérieur de la structure, le fait d’avoir réouvert les concours n’a pas suffi pour reconnaître les femmes comme les égales des hommes dans la profession. C’est tout ce travail culturel à l’intérieur des administrations qui doit être poursuivi. Dans les administrations, dans les entreprises, il est toujours question du plafond de verre qui souvent ne tient pas à des règles écrites, puisqu’il y a aujourd’hui une égalité salariale, tout un dispositif juridique bien inscrit dans la loi mais il faut faire changer à l’intérieur, des biais, qui sont souvent des biais inconscients de là part de groupes homogènes.
Comment, en tant que diplomate, mettez-vous en application les directives du gouvernement, en matière d’égalité homme-femme, notamment ?
Le travail d’un diplomate est de faire se rencontrer les priorités définies par le gouvernement avec les opportunités que nous voyons sur le terrain. Donc, le travail, ici, à New York, est d’identifier les opportunités qui se présentent par rapport à l’identité de la ville de New York. Ici, il nous est apparu très pertinent de nous pencher sur les questions économiques compte tenu du fait que c’est la capitale économique de ce pays et qu’elle comprend, par conséquent, un très grand nombre d’organisations, de chefs d’entreprises, auxquels il est particulièrement intéressant de porter ce message de l’égalité femme-homme. Nous avons aujourd’hui une forte priorité sur ces questions de représentation des femmes dans l’économie, d’amélioration de leur place. Il y a un projet de loi qui est en cours de discussion en France sur ces questions et qui devrait sortir dans le courant de cette année avec toute une série de propositions qui visent à donner plus de place aux femmes dans les entreprises. Nous avons parlé des Conseils d’administration, mais il y a la question de l’investissement pour les femmes entrepreneures qui est très importante. Il y a toute une série de projets que l’on a essayé de dupliquer ici, ou en tous les cas, sur lesquels nous avons essayé de trouver des approches dans un contexte américain. C’est pour cela que nous organisons depuis 3 ans, cet événement à l’Economic Club de New York. Le prochain sera le 11 mars, avec Marlène Schiappa qui le présidera, en compagnie de son homologue canadienne et de la présidente de l’Economic Club de New York, Marie-Josée Kravis. Depuis 3 ans, l’objectif est de se pencher sur les grandes problématiques de l’égalité Femme-Homme dans le monde économique. Nous avons travaillé sur les « corporate boards » et depuis deux ans, nous nous focalisons sur la question de l’investissement. Nous pensons qu’il y a, du côté des acteurs de l’investissement, une grande capacité à transformer le monde de l’entreprise. Aux États-Unis, il n’y a pas la culture des quotas, d’une transformation qui se ferait par le biais de la loi. De fait, nous voyons bien la pertinence et l’importance d’aller parler à des acteurs privés pour essayer d’accélérer ce changement. Nous essayons de mobiliser la communauté des investisseurs pour qu’ils se rendent compte que leur propre politique d’investissement peut avoir un effet sur la transformation des entreprises. Si vous êtes investisseur et que vous décidez de ne plus investir dans une entreprise où il n’y a pas une seule femme au Conseil d’administration, vous avez un impact. C’est ce que Goldman Sachs a annoncé très récemment. Nous essayons de pousser les investisseurs à prendre ce type de mesures pour que la transformation se fasse dans la totalité de l’économie.
Il y a aussi des investisseurs institutionnels que nous encourageons, comme par exemple « Invest in Leadership » qui rassemble 3 trillions de dollars.
Nous parlons aussi du financement des femmes dans l’entreprenariat, parce que malheureusement, il y a très peu de financement qui leur est dédié. Seulement 3 % de capital risk investi dans les femmes alors qu’il y a au moins 13 à 15 % de femmes entrepreneures. Il y a un vrai gap de financement pour ces femmes qui généralement font face à des capital risk qui sont des hommes. Nous souhaitons créer des cooperations entre la France et les États-Unis sur cette question-là.
En France, un groupe, Sista, a été crée il y a quelques mois et a été soutenu par le gouvernement. Tatiana Jama, la co-fondatrice, sera présente le 11 mars pour présenter ce projet. Depuis sa création, Sista a recueilli le soutien de plus de 72 fonds d’investissement qui ont accepté de fixer un objectif de 25 % de capital investi dans des projets de femmes entrepreneures. Notre objectif est d’essayer de rassembler, autour de Sista, des fonds de capital risk américains, afin qu’ils prennent le même engagement, et que l’on puisse susciter un financement de l’entreprenariat féminin plus dynamique.
Vous êtes à New York pour quelques mois encore, quels sont vos prochains grands rendez-vous dédiés à l’égalité femme-homme ?
Tout à fait ! Il y a ce grand rendez-vous du 11 mars que Marlène Schiappa présidera. Ce sera un des points culminants d’une semaine dédiée aux femmes avec le CSW aux Nations Unies. Marlène Schiaparelli vient pour porter notre message aux Nations Unies mais aussi pour construire le chemin qui va mener en juin prochain, à Paris, à la tenue du Forum Génération Égalité dont la France et le Mexique ont la présidence. Nous seront 25 ans après la conférence de Pékin qui était la grande conférence sur le droit des femmes. C’est une priorité qui est portée au plus haut niveau. Évidemment, le président Macron sera mobilisé sur ce sommet-là.
La Forum se décline en six priorités avec six coalitions d’actions qui vont permettre de rassembler des acteurs étatiques, mais aussi des acteurs de la société civile, sur la lutte des violences de genre, l’autonomisation financière, les femmes et le climat, l’innovation high tech, la santé sexuelle et le droit de disposer de son corps et enfin, le soutien aux mouvements féministes. D’ailleurs, sur ce dernier point, nous avons pu observer une évolution avec le mouvement #metoo qui est porteur de changement y compris au niveau judiciaire avec la condamnation d’Harvey Weinstein, tout récemment.
De notre côté, nous ferons sans doute un événement avec le Mexique en amont du sommet Génération Égalité. Nous avons également une discussion en cours avec les législateurs new-yorkais qui réfléchissent sur la question de la prostitution. La France est un modèle en la matière puisque nous avons adopté une loi sur la prostitution qui est vue comme un modèle, ici aux États-Unis. Les législateurs New-Yorkais souhaiteraient pouvoir s’en inspirer.
Interview menée par Rachel Brunet, rédactrice en chef du Petit Journal New York
Cette interview a été enregistrée fin février. Quelques jours plus tard, les Nations Unies annonçaient que le format de CSW était revu à cause du COVID-19.