A l’occasion du « Tag der Kartoffel » le 19 août (Journée de la pomme de terre) (et oui, ça existe ! Elle fut même officiellement déclarée en 2008 par l’ONU), nous vous en disons plus sur le tubercule qui, en plus d’être souvent omniprésent à leur table, fait partie intégrante de la culture des Allemands.
Pas besoin de vous faire le dessin : la pomme de terre est mondialement connue, consommée de toutes les façons possibles aux quatre coins du globe. Originaire des Andes, introduite en Europe au 16e siècle, celle que l’on appelle aussi patate est appréciée de tous : normal, puisqu’on peut aussi bien la consommer sous forme de soupe, de purée onctueuse que de frites bien grasses. Nous allons également voir que nos amis allemands en sont particulièrement friands.
Des origines de la pomme de terre
La pomme de terre est ramenée de Bolivie et du Pérou par les conquistadors en 1565. Hans Rogler en est considéré comme le pionnier en Bavière et d’ailleurs dans tout le pays : c’est en 1647, après avoir obtenu des pommes de terre par l’intermédiaire de ses parents, qui eux même se les seraient procurées auprès de Néerlandais, que Rogler aurait commencé à cultiver le tubercule dans son village natal de Pilgramsreuth, où depuis 1990 une statut de bronze commémorative lui rend d’ailleurs hommage.
Là où se trouve une place vide, la pomme de terre devra être cultivée
Ce n’est cependant qu’au 18e siècle que la culture de la pomme de terre s’intensifie en Allemagne. Nous voilà en 1756 : face à une population grandissante mais aussi aux famines qui font rage en Europe au cours de ce siècle-là (entre 1708 et 1711, la Prusse-Orientale perdit par exemple 41 % de sa population, soit 250 000 personnes), le roi de Prusse Frédéric II le Grand introduit l’édit des pommes de terre (Kartoffelbefehl). Reconnues pour leurs qualités nutritives, le souverain veut en développer la culture (relativement peu exigeante) à travers ses terres. « Là où se trouve une place vide, la pomme de terre devra être cultivée » écrivait-il. C’est ainsi que le tubercule s’est répandu en Prusse. Il existe bien sûr des légendes sur comment s’est exactement mis en place l’édit : selon certains dires, la curiosité des paysans qui refusaient en premier lieu de cultiver la patate, fut attisée par la troupe de soldats gardant le champ de pommes de terre destinées à la consommation du roi. La nuit suivante, les agriculteurs auraient alors profité de la perte d’attention de la garde pour venir voler les graines, afin de cultiver à leur tour cette fameuse pomme de terre. Aujourd’hui encore, certains visiteurs du château de Sanssouci à Potsdam où est enterré Frédéric II le Grand, en déposent une sur la sépulture du souverain.
En France, c’est l’agronome Antoine Augustin Parmentier qui répand la production et consommation du tubercule, qu’il a d’ailleurs découvert pour la première fois en goûtant à une purée en Allemagne où il est retenu comme prisonnier militaire pendant la guerre de Sept Ans (1756-63). Bluffé par cet aliment, il est bien décidé à en étendre la production et la consommation. A son retour en France, où la pomme de terre n’est guère cultivée si ce n’est qu’en Alsace et en Lorraine, il promeut sa culture auprès de la communauté scientifique, mais aussi au cours de prestigieux dîners où sont conviés des personnes de la haute société, comme Antoine-Laurent Lavoisier ou Benjamin Franklin. Dans la plaine des Sablons de Neuilly, le roi Louis XVI met à la disposition de Parmentier un terrain où ce dernier récoltera la pomme de terre. Séduit par cet aliment miraculeux, et notamment un plat de « parmentières », on raconte même que le souverain et sa femme Marie-Antoinette se serait ornés de fleurs de pommes de terre offertes par Parmentier, attribuant une image bucolique à la popularisation de cet aliment dans le Royaume de France.
Le tubercule vu par le peuple
En plus d’avoir nourri le peuple, la pomme de terre est pour certains synonyme de développement économique. La preuve avec le blason de la ville de Dollbergen, où les tubercules trônent fièrement aux côtés des tours de distillation de pétrole. Dans cette ville de Basse-Saxe, la culture de la patate a débuté au début du 19e siècle, et s’est ensuite intensifiée avec l’installation en 1913 d’une coopérative de séchage de pommes de terre, transformant le village agricole traditionnel en une véritable cité industrielle.
La pomme de terre est précieuse au peuple, et tout ceux qui représentent un danger pour le tubercule se mettent à dos la population : à l’heure de la Seconde guerre Mondiale, les Français surnomment l’occupant allemand de « doryphore », un insecte parasite friand du tubercule pouvant ravager des champs entiers. Outre Rhin, Adolf Hitler accuse les Alliés de répandre des « Kartoffelkäfer » (Littéralement les cafards de pommes de terre, les doryphores, insectes de l'ordre des coléoptères) dans les champs de pommes de terre dans le but d'affamer les Allemands. C’est d’ailleurs ce discours que reprendra quelques années plus tard le gouvernement de la RDA, qui, lorsque les récoltes étaient maigres, accusait les États-Unis d’introduire le nuisible dans les exploitations agricoles du peuple. Le tubercule deviendra d'ailleurs une pomme de discorde entre les Français et les Allemands.
La pomme de terre s’est incrustée dans la culture
En effet, beaucoup de produits manquent en RDA, comme la banane, régulièrement utilisée à des fins de gags dans les films hollywoodiens. Qu’importe, puisque le metteur en scène allemand Frank Cartorf décidera d’utiliser le fameux tubercule pour donner vie à des situations burlesques sur les planches.
Les Allemands aiment tellement la pomme de terre que 3 musées lui sont dédiés ! Ces derniers qui se trouvent à Munich, en Rhénanie-Palatinat et dans le Mecklembourg-Poméranie-Occidentale ont pour but d’éduquer la population au sujet du tubercule. Toujours dans la même lignée, les Allemands ont même leur propre reine de la pomme de terre : il s’agit actuellement de Stéphanie III, une Bavaroise de 24 ans amenée à représenter l’aliment dans les festivals. En raison de la crise sanitaire, la cérémonie du couronnement 2020 a été annulée et la jeune étudiante en gestion agricole exercera ses fonctions pour une année de plus. En parlant de pouvoir, c’est Angela Merkel, une des femmes les plus puissantes au monde, qui lors d’une conférence de presse en 2017 a révélé le secret de sa recette de pommes de terre, l’un de ses plats favoris. « J'écrase toujours les pommes de terre avec un presse-purée, jamais au mixer. Comme ça, il reste toujours quelques morceaux dedans. ».
Le laurier ne rassasie pas, mieux vaut qu’il y ait des pommes de terre
Au fil des années, la pomme de terre s’est peu à peu incrustée dans notre langue : quand les Français sont de bonne humeur, on dit qu’ils « ont la patate », ou lorsqu'ils ont du chagrin, ils en ont « gros sur la patate ». Il peut également leur arriver d’être « habillés comme un sac à patate », et ils se « renvoient la patate chaude » pour se débarrasser d'un sujet délicat, et patati et patata... La langue française est riche en proverbes ! Mais les Allemands ont plus d’une corde à leur arc et ont eux aussi leurs expressions phares. En voici d’ailleurs quelques-unes :
- « Die dümmsten Bauern ernten die dicksten Kartoffeln ! » ou « Les agriculteurs les plus stupides récoltent les plus grosses pommes de terres », phrase qu’on utilise à l’encontre de quelqu’un qui aurait gagné quelque chose sans l’avoir vraiment mérité.
- « Rin in die Kartoffeln, raus aus den Kartoffeln ! » ou « Dans les pommes de terres, hors des pommes de terre ! », dicton qu’on utilise lorsque les actions d’une personne sont contradictoires. L’expression fait référence aux ordres qui étaient donnés aux soldats allemands pendant la guerre : se cacher dans les champs de pommes de terre, puis en ressortir aussitôt par peur d’endommager les récoltes !
- « Für jemanden die Kartoffeln aus dem Feuer zu holen. » ou « Arracher les pommes de terres du feu ». Cette expression nous vient tout droit d’une fable de La Fontaine, sauf qu’il s’agissait à l’époque de châtaignes grillées. La pomme de terre a donc tout bonnement remplacé ce fruit qui nourrissait alors des populations depuis des siècles.
- « Lorbeer macht nicht satt, besser wer Kartoffeln hat. » ou « Le laurier ne rassasie pas, mieux vaut qu’il y ait des pommes de terre. ». En d’autres termes, la gloire et la richesse (symbolisée dans les temps romains par la couronne de laurier) est bien belle, mais elle ne nourrit pas !
Aujourd’hui, qu’importe si les famines en Europe semblent derrière nous, ou que nous ayons désormais accès à des aliments plus exotiques et variés : au 21e siècle encore, le culte de la pomme de terre est toujours présent. De nos jours, les Français en consomment en moyenne 27,5 kg par an… ce qui est bien moins que les Allemands qui en consomment en moyenne 67 kg par an ! On ne peut pas le nier, ils sont d’ailleurs connus pour cela et il est en effet difficile de rivaliser avec le pays qui, à lui seul, engloutit 300 000 tonnes de frites par an ! L’Allemagne est le 7e producteur mondial de pommes de terre, avec presque 9 tonnes par an, le pays est suivi de près par la France, avec près de 8 tonnes ! Cocorico, les Français dépassent cependant les Allemands en matière d’exportations : le pays est le 2e exportateur mondial (derrière les Pays-Bas), avec 528 millions d’euros d’exportations en 2017, contre 343 de l’autre côté du Rhin.
Là-bas, la « Kartoffel » (ce mot qui signifie pomme de terre est d’ailleurs connu par beaucoup de non-germanistes) se cuisine à toutes les sauces : pains spéciaux, chips à la saveur de « Curry Wurst berlinoise », « Knödel » (sortes de boulettes pouvant rappeler les quenelles lyonnaises), et bien sûr la renommée « Kartoffelsalat » dont la recette diffère légèrement suivant les Länder !
Vous avez déjà l’eau à la bouche ? Nous aussi ! Voici une petite recette qui se marie à de nombreux mets : la fameuse salade de pommes de terre allemande.
Ingrédients
1 kg de pommes de terre cuites et épluchées
3 petits oignons
80 g de jambon cru coupés en dés
4 cuillères à soupe d'huile
1 cuillère à soupe de moutarde
350 ml de bouillon de légumes
5 à 6 cuillères à soupe de vinaigre de vin blanc
1 botte de ciboulette
1 pincée de sucre, de sel et de poivre
Préparation
- Cuire les pommes de terre dans l’eau bouillante environ 20 minutes.
- Parallèlement, faire revenir à couvert les oignons coupés en dés avec l’huile pendant 15 minutes.
- Dans une casserole, faire porter de l’eau à ébullition avec la moutarde et le bouillon. Rajouter au mélange le vinaigre, jambon, sel et poivre, puis les pommes de terre cuites coupées en lamelles.
- Laisser reposer pendant 20 minutes.
- Une fois les ingrédients rassemblés, rajouter la ciboulette découpée en fines lamelles.
Dans l’idéal, laisser reposer quelques heures au réfrigérateur : les saveurs n’en seront que plus intenses.
Votre salade est enfin prête, dégustez !
La version présentée ci-dessus sera plus au goût des Allemands du Sud, alors que les Allemands du Nord préféreront le trio mayonnaise-moutarde-cornichons à la sauce au vinaigre et à la moutarde. Éventuellement, la salade peut être accompagnée de poisson.
Quelques événements/sorties autour de la « Kartoffel »
Das Kartoffelmusum München
Ouvert depuis 1946, le musée retrace aussi bien l’histoire du tubercule qu’il ne présente son côté artistique et industriel.
Grafinger Str. 2, 81671 München
Das Deutsche Kartoffelmuseum Fußgönheim
Celui là présente l’aspect botanique, scientifique mais aussi les origines de la pomme de terre.
Das Deutsche Kartoffelmuseum Fußgönheim
Hauptstraße 65, 67136 Fußgönheim
Vorpommersches Kartoffelmuseum Tribsees
Karl-Marx-Straße 68, 18465 Tribsees
19e édition du festival « Pommes McSelf »
Venez récolter les pommes de terre en famille ! Dimanche 6 septembre, des rallyes agricoles d’environ 2 heures chacun sont organisés à 9 h, 11 h 30 et 14 h. Réservations ouvertes jusqu’au 26 août ici.
Bakenhuser Esch 8
GroBenkneter
Concours d’épluchage de pommes de terre sur la Gutenbergplatz à Mayence
Chaque année fin septembre. Vraisemblablement annulé cette année en raison des conditions sanitaires.
Découverte de la ferme familiale Heinz à Murrhardt-Fornsbach
Visite organisée par l’Office agricole de Backnany. Rendez vous le 15 septembre à 16 h 30. Place 5 €. Réservation obligatoire par là ou au 0 71 91/895 42 33
Fête de la pomme de terre au musée en plein air de Kiekeberg
Vendredi 11 octobre 2020. Pour plus d'informations, c'est par ici !