Chaque année, nous célébrons le 2 avril, la journée mondiale de sensibilisation à l’autisme qui vise à informer sur les réalités de ce trouble du développement. Mohamed Ghoul, expatrié au Canada, travaille sur tous les fronts pour aider les personnes avec autisme à s’améliorer dans différentes sphères de leur développement. Ce passionné nous parle de son projet APPROSH qui réunit de jeunes adultes autistes et des professionnels autour de la même passion : la musique. Mohamed est lauréat du Trophée Education, remis par le CNED, des Trophées des Français de l'étranger 2020.
Ce programme tourné vers le monde musical permet de mettre le handicap de côté.
Vous avez imaginé le projet intitulé "APPROSH : Arts Percussions Programme Recherches Organisation Sociale Humaine". Dans quel but a-t-il été créé et pour qui ?
Plus jeune, je travaillais à Châtenay-Malabry dans les IME, Instituts Médico-Éducatif, qui accueillent des personnes autistes. Je faisais partie d’un réseau appelé "Élan Retrouvé" qui travaillait en lien avec Moïse Assouline, un psychiatre spécialisé dans l’autisme. J’ai croisé le chemin d’Howard Butten, psychologue, artiste de mime qui a ouvert un centre en Seine Saint-Denis "IME Adam Shelton". Il m’a dit que j’avais un don particulier pour communiquer avec ces personnes autistes.
La musique est entrée dans ma vie et je me suis consacré à l’animation d’ateliers musicaux en tant qu’éducateur. Je faisais de la musique avec les "dimanches demi-pause", une association de musiciens qui proposait, une fois par mois, des ateliers musicaux pour des personnes avec autisme dans un conservatoire à Paris ou en banlieue parisienne. Il y avait des autistes qui possédaient de réels talents que ce soit à la voix, au piano, au violon. J’ai choisi d’organiser une prestation dans un conservatoire à côté de Châtenay-Malabry et de faire monter sur scène quatre autistes. Tous les autistes présents dans la salle se sont levés les uns après les autres. Ils ne savaient pas jouer d’instruments, mais j’ai fait le choix de tous les faire monter sur scène. C’est à ce moment-là que j’ai eu un déclic : la musique rassemble les personnes. C’était un "brouhaha phénoménal" mais nous étions tous connectés les uns avec les autres.
J’ai découvert qu’on pouvait être heureux et réfléchir différemment. Autrefois, je pensais que les jeunes de cité étaient délaissés, puis, j’ai fait la rencontre des personnes avec autisme. J’ai complètement changé de regard sur le monde. Je me suis dit "J’ai tout mon cerveau, je peux choisir de me défendre, eux non". J’ai trouvé que c’était un combat beaucoup plus important que le mien, qui avait grandi dans une cité. Le but de l’association, c’est de donner une place à ces personnes autistes dans la société et non pas une place de personne souffrant de handicap. Ce programme tourné vers le monde musical permet de mettre le handicap de côté.
En quoi ce projet est différent des autres initiatives déjà mises en place à destination des autistes ?
Dans ce programme, il n’y a pas de relation d’autorité. C’est un projet semi-directif où l’expression et la créativité sont mises en avant. C’est l’un des seuls projets où il y a une introspection qui est menée. Tout est filmé pour pouvoir analyser l’évolution des jeunes adultes autistes et principalement, les intervenants qui animent les ateliers musicaux. Je pars du principe que je suis l’accompagnateur et que je dois être sûr de comprendre le monde qui m’entoure et être capable de communiquer mes émotions. Je suis comme un sportif de haut niveau qui analyse ses performances. C’est un programme inclusif pour l’être humain et non pas un programme destiné à l’autisme.
Dans cette démarche, nous n’imposons aucun style musical plus qu’un autre, nous nous adaptons aux goûts de chacun. Les jeunes adultes autistes développent eux-mêmes leur propre moyen de communication.
Depuis plusieurs années, je partage mon quotidien avec les mêmes jeunes. Ce sont comme mes frères d’adoption.
La musique et notamment les percussions sont importantes à vos yeux. Comment transmettez-vous cette passion à de jeunes adultes autistes ?
J’essaye de transmettre ma passion avec une grande sincérité, une grande intégrité. C’est très intéressant d’être confronté à soi-même. Le quotidien vécu avec ces personnes n’est pas monotone et on apprend beaucoup sur les autres, mais aussi sur nous-même. L’interaction entre les jeunes adultes autistes et nous est incroyable, nous créons une véritable connexion musicale.
Parfois, on me dit "Mohamed, tu es quelqu’un de trop passionné". Pour moi, c’est plus qu’une passion, c’est un mode de vie. J’aime partager cette philosophie de vie avec mes enfants par exemple, qui sont tous musiciens et côtoient de jeunes autistes au quotidien. Mes enfants connaissent et sont ouverts à la neurodiversité.
Ce projet rassemble une quarantaine de familles. Depuis plusieurs années, je partage mon quotidien avec les mêmes jeunes. Ce sont comme mes frères d’adoption. Le but est d’amener le projet plus loin et de faire avancer la machine. Au début de l’aventure, le projet regroupait 6 jeunes adultes autistes, maintenant, nous sommes 150 et l’objectif est d’accueillir 300 jeunes adultes autistes entre 2020 et 2022.
À travers ces ateliers musicaux, les jeunes adultes autistes passent de 33 % d’interaction sociale à 64 %.
Quelle évolution pouvez-vous voir chez ces jeunes adultes autistes ?
En 2006, les vidéos ont permis d’observer que la méthode "APPROSH" avec la musique permettait d’augmenter l’interaction sociale. À travers ces ateliers musicaux, les jeunes adultes autistes passent de 33 % d’interaction sociale à 64 %. J’observe que ces ateliers musicaux favorisent l’intégration sociale et la communication des jeunes adultes autistes. La musique permet de développer des liens sociaux, forts et intègres, c’est une forme de langage.
Les jeunes adultes autistes sont très observateurs entre eux et chacun reproduit les gestes et cadence du voisin, une mélodie se crée. Les percussions permettent de susciter un intérêt et une concentration très particulière chez les autistes.
Vous êtes l’initiateur de la toute première Maison École des Artistes Autistes et le Monde au Québec. Quels types d’ateliers animez-vous dans cette école ?
Depuis le printemps 2019, cette école privée offre 6 semaines d’hébergement à des artistes. Elle accueille des musiciens professionnels et des personnes avec autisme. La maison contient 9 chambres, un studio et une salle de spectacle. Nous proposons des ateliers musicaux et des ateliers de danse, de théâtre et de sport. Nous faisons beaucoup de sport comme du football. Il y a trois ans, j’ai porté un projet à Abitibi appelé le "Soccer tempo". Ce programme réunit des personnes autistes et des passionnés du football autour du rythme. Nous faisons des exercices de ballon en suivant le rythme des djembés par exemple. Dans cette école, nous proposons des dérivés du rythme et des arts visuels.
Dans ce principe d’échange, avec le soutien de l’Office des personnes handicapées du Québec (OPHQ) et la Commission scolaire des Draveurs, j’ai choisi de mettre en place un projet éducatif. Le but est de mélanger des élèves du régulier, âgés de 8 à 10 ans avec de jeunes autistes lors de 15 rencontres. On parle d’inclusion dans les milieux éducatifs, mais ce sont des jeunes qui vivent dans la même école, côtoient le même environnement, comme, les cantines, mais pourtant, ils ne se connaissent pas. Il n’y a pas de médiation qui permet une rencontre. Lors de ces rencontres, on observe que les jeunes s’ouvrent aux autres, ils sont curieux, et quelques fois, inquiets. Ces sentiments qui semblent complètement "normaux" peuvent être nourris, accompagnés et partagés. À un moment donné, la situation se démystifie, et les jeunes discutent, rigolent ensemble. Ce qui est bien encore une fois, c’est qu’on filme tout. Les images valent mille mots et on peut observer l’évolution de leur quotidien dans ce monde artistique.
Vous qui vivez au Canada. L’inclusion des personnes atteintes d’autisme est-elle plus présente qu’en France ?
Oui, l’inclusion des personnes avec autisme est plus présente au Canada. Quand je suis arrivé au Canada, on m’a laissé carte blanche pour monter mes différents projets. J’ai reçu un accompagnement financier contrairement à la France où on m’avait dit à l’époque que c’était impossible.
J’observe une offre culturelle qui se développe dans le milieu québécois. Les familles sortent et aiment participer à de nouveaux événements. C’est le cas de l’Opéra de Carmen que nous avons créé en partenariat avec l’Opéra de Montréal. Nous avons fait monter une cinquantaine d’adultes avec des déficiences intellectuelles sur scène. Grâce à ce projet, nous développons une offre culturelle au Québec en travaillant par exemple, avec la Place des Arts, un complexe culturel et artistique au Canada. Nous faisons partie du milieu professionnalisme de l’art, de la musique et de la culture et en même temps, nous travaillons main dans la main avec des personnes autistes.
Maintenant, le but est d’accompagner le projet jusqu’en France pour qu’il soit au cœur des discussions. En 2020, nous allons créer un programme "Opéra approche" avec l’aide de l’Opéra de Montréal. Nous allons proposer ce projet dans les écoles québécoises. Pour la première année, nous allons démarrer le projet à Montréal, après, j’aimerais pouvoir installer ce programme en France.