De la Bourgogne à Montréal, en passant par Sydney et Genève, Émilie Baulon a sillonné le monde avec une seule boussole : sa passion pour la pâtisserie. Formée à l’Institut Paul Bocuse, elle a ouvert sa propre boutique en 2023 autour d’un produit simple et universel : la madeleine. Mais attention, ici, rien n’est laissé au hasard. Derrière chaque coquille dorée se cache une histoire, une mémoire, une émotion. Rencontre avec une cheffe pâtissière qui ne cède ni à la mode ni à l’industrialisation, mais choisit l’authenticité, le goût et l’instinct.


« Je suis arrivée avec deux valises, sans emploi, sans appartement. À l’aventure. »
Octobre 2019. Montréal se pare de ses premières couleurs d’automne quand Émilie pose le pied sur le sol québécois. Ni peur ni regrets : le voyage, elle connaît. Australie, Irlande, Suisse… Autant de pays qui ont façonné sa vision du métier, sa curiosité du monde et sa capacité d’adaptation. Un mois après son arrivée, elle a déjà trouvé un logement, un emploi en pâtisserie, et l’envie d’aller plus loin. « J’ai toujours su que je voulais créer mon entreprise à l’étranger. C’était une évidence. »
L’école Bocuse en toile de fond, la passion en ligne de mire
Formée à l’Institut Paul Bocuse, Émilie y développe non seulement un savoir-faire technique exigeant, mais aussi une ouverture au monde.
« Nous étions 28 dans ma classe, avec 13 nationalités différentes. Cette diversité m’a nourrie. »
Sa passion pour la gastronomie, elle la tient aussi de son enfance : un grand-père agriculteur, une grand-mère qui faisait tout maison, des repas de fête dans de bons restaurants. Le goût des bons produits, la précision, la créativité : tout est là, en germe. Même la sensibilité artistique. « Mon grand-père organisait des bals le week-end. Il a même ouvert une discothèque à la campagne. Cette fibre créative fait partie de moi. »

Brioches en éclaireur, madeleines en majesté
Dès ses premiers mois à Montréal, elle lance une première entreprise artisanale de brioches. Mono-produit, fabrication dans la cuisine de son petit logement, ventes sur les marchés. « Ça m’a permis de découvrir le marché québécois, le rapport aux produits, aux saisons, aux retours clients. » Mais l’envie de madeleines, elle, remonte à plus loin. Quinze ans en arrière, dans les couloirs de l’Institut Bocuse, germe cette idée de se consacrer à ce petit gâteau. « C’est un projet que j’avais gardé au fond de moi. Les brioches étaient une étape, mais la Madeleine, c’était le rêve. »
En novembre 2022, elle décide que le moment est venu. Elle refait un business plan, développe ses recettes, toujours dans sa propre cuisine, et trouve en mars 2023 le local qui la fait vibrer. « Un vrai coup de cœur. Quand c’est le bon chemin, les choses s’alignent. » Trois mois plus tard, la boutique ouvre ses portes.
Une boutique, un laboratoire, un manifeste
Chez Émilie, tout est pensé, pesé, peaufiné. Les madeleines classiques, garnies, glacées, parfois géantes — presque des entremets — se déclinent en dizaines de variations, au gré des saisons, de l’inspiration et des trouvailles du marché. Fraisier en Madeleine, chocolat-noisette, pistache-framboise ou même… à la bière. Mais Émilie ne s’arrête pas au sucré : ses madeleines salées, aux fromages, aux herbes ou aux légumes, surprennent et séduisent les palais curieux.
« Je laisse parler la spontanéité, mais avec une exigence de qualité constante. »
À ses débuts, elle fait tout : production, service, gestion. Son conjoint de l’époque l’aide les week-ends. Aujourd’hui, ils sont huit à faire tourner l’atelier. Une croissance fulgurante, mais maîtrisée. « Je veux rester dans l’artisanal, le fait-main. Je ne veux pas que mes madeleines deviennent un produit de chaîne. Elles doivent garder leur âme. »

Une madeleine au goût de fête nationale
Le 14 juillet dernier, lors de la célébration de la Fête nationale organisée par le Consulat de France à Montréal, Émilie tenait un stand. Entourée de drapeaux tricolores, de musique festive et d’une foule bigarrée, elle proposait ses madeleines comme on tend un souvenir, un sourire. « Beaucoup de Français sont venus me dire que ça leur rappelait leur enfance. Et les Québécois étaient curieux, enthousiastes. C’était un moment très fort. »
Par sa présence à cet événement symbolique, elle affirmait plus qu’une identité culinaire : une manière de tisser des ponts entre les cultures, les générations et les émotions.
La Madeleine, une émotion plus qu’un produit
Derrière le succès, une vision. Pour Émilie, la madeleine est bien plus qu’un gâteau. « C’est un symbole. Un souvenir. Une émotion. » Elle évoque la fameuse scène de À la recherche du temps perdu, bien sûr, mais aussi l’histoire plus ancienne de cette servante nommée Madeleine qui, au XVIIIe siècle, improvisa un dessert pour un roi démuni de cuisinier. « Je trouve cette histoire très poétique. C’est cette poésie-là que je veux transmettre. »

Grandir sans trahir
Émilie a des ambitions, mais refuse la facilité. Elle souhaite ouvrir une seconde boutique — « pas tout de suite, dans deux ou trois ans peut-être » — et rêve même, à long terme, d’une succursale à New York.
« Mais je ne veux pas perdre ce qui fait l’essence de ce projet. Pas de franchise standardisée. Je veux former des pâtissiers, transmettre, mais garder l’exigence. »
Certaines entreprises l’ont déjà approchée pour distribuer ses produits. Les madeleines classiques s’y prêtent bien. Les garnies, plus fragiles, doivent être consommées sous trois jours — mais la congélation ouvre des perspectives.
Une transmission déjà en cours
L’Institut de tourisme et d’hôtellerie du Québec (ITHQ) l’a récemment invitée à donner des cours de dessert à l'assiette, en septembre — un geste fort de reconnaissance institutionnelle pour une pâtissière encore jeune, mais déjà emblématique.
« J’aime enseigner. J’ai déjà eu cette expérience en Suisse. C’est une façon de faire vivre la passion, de transmettre à la fois l’intuition et la rigueur. » Émilie voit dans la pédagogie un prolongement naturel de son métier.
« Former, c’est aussi apprendre à mieux se connaître. »
Dans son propre atelier, elle a déjà formé plusieurs pâtissières, qu’elle a personnellement recrutées et accompagnées. « Aujourd’hui, j’ai trois pâtissières avec moi. Elles sont talentueuses, minutieuses, et surtout, elles comprennent ce que je cherche à exprimer à travers mes créations. » Pas question pour autant de céder à la standardisation : chaque nouvelle recrue doit posséder un minimum de technique, mais aussi une sensibilité, un soin du détail, un goût pour la beauté du geste. « Ce n’est pas comme mettre un cookie au four. La Madeleine, c’est de la pâtisserie de précision, presque de l’orfèvrerie. »
En formant cette nouvelle génération de professionnelles, Émilie prépare l’avenir de sa maison tout en consolidant l’ancrage local d’un projet né sur les routes du monde. Montréal n’est plus seulement un point d’arrivée : c’est devenu un lieu de transmission.
Et si le vrai luxe, c’était l’authenticité ?
Aujourd’hui, Émilie Baulon a troqué les valises de l’errance pour les moules à madeleines. Elle s’est enracinée à Montréal, mais sans cesser de rêver plus loin. De la Nièvre à l’avenue du Mont Royal, de la pâtisserie à la poésie, son parcours n’a rien de linéaire. Il épouse les contours d’une trajectoire intime, façonnée par la passion, l’instinct, la résilience. Et si, finalement, sa réussite tenait à cette phrase discrète glissée au détour d’un échange : « Je fais ce que j’aime, avec le cœur. C’est tout. » Une madeleine, peut-être. Mais une madeleine comme nulle autre.
Les madeleines d'Émilie
129 avenue du Mont-Royal Ouest
Montréal, QC, H2T 2S9
438 978-2186
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