Édition internationale

Fusions municipales au Québec : rationalisation ou perte d’âme collective ?

Réduire le nombre de municipalités pour gagner en efficacité : telle était l’ambition du gouvernement québécois au tournant du millénaire. À travers la fusion de centaines de villes et villages, l’État entendait moderniser la gestion locale. Mais cette volonté de centralisation, si elle a permis certains gains, a aussi suscité de vives résistances et laissé un héritage contrasté. Décryptage.

les municipalités du Québec vers 1965les municipalités du Québec vers 1965
les municipalités du Québec vers 1965 - Illustrations Wikipedia
Écrit par Lepetitjournal Montréal
Publié le 5 juillet 2025

 

 

Dès les années 1960, plusieurs rapports pointaient du doigt le morcellement du territoire municipal québécois, jugé inefficace et coûteux. Le gouvernement a fini par passer à l’action au début des années 2000 avec l’adoption des lois 124 et 170. Objectif : faire des économies d’échelle, harmoniser les services et renforcer les pôles urbains. En deux ans, 212 municipalités ont été fusionnées pour n’en former que 42, bouleversant profondément la gouvernance locale. À Montréal, 28 villes ont été réunies sous une même entité.

Avant cette vague de regroupements, le Québec comptait environ 1 600 municipalités locales. Après les fusions imposées en 2002, ce nombre est tombé à environ 1 100. Même après les défusions partielles de 2006, le niveau n’est jamais remonté. Ce sont donc près de 500 municipalités qui ont disparu ou été absorbées, redessinant durablement la carte territoriale de la province.

La toponymie a alors été un enjeu symbolique : dans la majorité des cas, le nom de la municipalité dominante a été conservé. Mais certaines fusions ont donné naissance à de nouveaux noms — comme Longue-Rive — ou à des noms historiques porteurs de sens. À Saguenay, par exemple, le gouvernement a choisi un nom commun, inspiré de la rivière emblématique de la région, pour regrouper des villes longtemps rivales : Chicoutimi, Jonquière, La Baie… Une décision prise par décret, malgré de fortes résistances locales.

 

 

Des résultats en demi-teinte

Dans certaines régions, comme Lévis ou Plessisville, la fusion a permis d’attirer des investissements, de rationaliser les services et de mieux gérer les finances publiques. À Plessisville, la hausse des taxes a été maîtrisée et des projets industriels majeurs ont pu voir le jour. De même, la fusion de dix municipalités à Lévis a favorisé une meilleure planification du développement urbain. Et à Longueuil, la répartition du fardeau fiscal entre quartiers a permis une certaine équité.

Mais ces succès ne doivent pas occulter les critiques nombreuses : « On nous avait promis des économies, on a eu des hausses de taxes », dénonce un ancien élu municipal. Des études ont montré que les coûts de fonctionnement ont parfois augmenté, notamment à cause d’une bureaucratie alourdie et de l’harmonisation des services vers le haut. Loin de l’objectif de rationalisation, plusieurs villes fusionnées ont dû faire face à des dépenses accrues et à des structures plus lentes.

 

 

Une fracture démocratique

Au-delà des chiffres, c’est le lien entre citoyens et élus qui s’est distendu. La centralisation des pouvoirs municipaux a souvent été vécue comme une dépossession. « On a perdu notre voix locale », résume une résidente de l’ex-ville de Saint-Laurent, désormais arrondissement de Montréal. L’éloignement des centres décisionnels, la dilution des identités locales et la standardisation des services ont nourri un sentiment de perte d’appartenance.

Ce ressentiment a conduit à un mouvement de contestation, culminant avec les référendums de 2004. Résultat : 31 municipalités, dont une quinzaine sur l’île de Montréal, ont voté pour retrouver leur autonomie. Mais ces défusions sont restées partielles, les villes restant liées à la métropole par des structures d’agglomération qui gèrent des services comme la sécurité ou les transports. À l’inverse, certaines grandes villes comme Saguenay n’ont jamais connu de défusion, malgré les débats.

 

 

Identités persistantes, décisions affirmées

Le cas de Saguenay illustre une autre approche. Si aucun secteur n’a obtenu sa défusion, la ville a fait le choix explicite de préserver les noms et les identités des anciennes municipalités. Chaque secteur historique — Chicoutimi, Jonquière, La Baie — reste identifié comme arrondissement, avec ses conseils, sa signalisation propre, et une vie culturelle autonome. En 2025, des citoyens de Chicoutimi-Nord ont même réclamé la pose d’arches de bienvenue pour renforcer ce sentiment d’appartenance. La Pulperie, le Théâtre C, le Festival des Rythmes du Monde : autant d’institutions encore intimement associées à Chicoutimi, plus de vingt ans après la fusion.

Laval, fusionnée en 1965, suit un schéma similaire. Là aussi, les noms des anciennes municipalités — Chomedey, Sainte-Rose, Duvernay — perdurent dans les usages, les panneaux de rue, et les habitudes. Mais à la différence de Saguenay, cette continuité toponymique n’a pas été encadrée par des décisions politiques aussi marquées : à Saguenay, c’est un véritable choix de gestion municipale que de maintenir la mémoire locale dans les structures officielles.

 

 

Une transformation inachevée

Deux décennies après la grande réforme, les fusions municipales continuent de faire débat. D’un côté, des partisans de l’efficacité administrative. De l’autre, des défenseurs de la démocratie locale. Et entre les deux, des citoyens qui, parfois, ne savent plus très bien à quelle municipalité ils appartiennent. « On est passé d’un modèle de proximité à une gestion par technocrates », regrette un analyste de la gouvernance locale.

Comparée à la France, où l’on compte encore plus de 34 000 communes, la structure municipale du Québec semble désormais rationalisée. Mais à quel prix ? L’efficacité justifie-t-elle la perte d’identité et de représentativité ? Les résultats restent inégaux selon les régions et les modalités d’implantation. Le gouvernement soutient encore aujourd’hui les regroupements volontaires, mais se garde bien d’imposer une nouvelle vague de fusions.

 

Et maintenant ?

Alors que les enjeux de gouvernance, de participation citoyenne et de planification territoriale restent plus que jamais d’actualité, le Québec doit-il repenser l’équilibre entre efficacité administrative et vitalité locale ? Les fusions d’hier peuvent-elles encore inspirer les réformes de demain, ou faut-il plutôt réinventer la décentralisation ? L’avenir dira si la mémoire des villages absorbe la modernité des villes, ou si, à l’inverse, les grandes structures devront se réenraciner pour redevenir des collectivités vivantes et proches.

 

 

Réorganisation des municipalités du Québec

 

Commentaires

Votre email ne sera jamais publié sur le site.

Sujets du moment

Flash infos