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Abolition du PEQ : Montréal se réveille, Paris s’en mêle — Weissberg sonne l’alarme

Suspendu puis supprimé sans préavis, le Programme de l’expérience québécoise (PEQ) plonge dans l’insécurité juridique et humaine des milliers de Français pourtant recrutés par le Québec lui-même. Lors d’une réunion publique en ligne organisée par le député des Français d’Amérique du Nord, Christopher Weissberg, une stratégie inédite s’est dessinée : pression diplomatique, offensive politique et mobilisation citoyenne. Le dialogue France–Québec entre désormais en zone de turbulences.

Le député Christopher Weissberg  Le député Christopher Weissberg
Le député Christopher Weissberg lors de la réunion en ligne concernant le PEQ - Photo LPJ
Écrit par Bertrand de Petigny
Publié le 28 novembre 2025, mis à jour le 2 décembre 2025


 

 « C’est la mesure la plus déstabilisante pour les Français installés au Québec depuis vingt ans. »  - Christopher Weissberg

 

 

Il aura suffi d’un décret nocturne pour dynamiter quinze ans de politique migratoire. Dans un premier temps, sans crier gare, le Québec gèle le PEQ. Puis, tout aussi unilatéralement, l’abolit purement et simplement. Du jour au lendemain. Sans préavis. Sans clause de droits acquis. Sans égard pour ceux qui, déjà intégrés, paient leurs impôts, travaillent dans des secteurs en pénurie, élèvent leurs enfants en français.

 

Le PEQ a été instauré en 2010 par le gouvernement du Québec, notamment pour retenir davantage d’étudiants étrangers et de travailleurs temporaires déjà installés et francisés dans la province. Il visait à leur permettre d’obtenir plus rapidement un certificat de sélection du Québec (CSQ) et, par la suite, la résidence permanente.

 

Dans la réunion virtuelle rapidement organisée par Christopher Weissberg, les visages s’affichent les uns après les autres : infirmières, travailleurs sociaux, ingénieurs, familles bilingues… Tous ont la même expression — l’incompréhension, mêlée à une forme de trahison.

Le député, qui connaît le programme de l’intérieur pour en avoir lui-même bénéficié dans les années 2000, ne cache pas sa réaction : « C’est la mesure la plus déstabilisante pour les Français installés au Québec depuis vingt ans. »

 

 

Paris et Québec en alerte : la diplomatie s’active et ouvre les portes

Derrière la réunion publique, la mécanique politique est déjà en marche. Dés son arrivé en poste, début novembre, Christopher Weissberg a immédiatement sollicité Christopher Skeete le ministre québécois des Relations internationales et de la Francophonie, dont l’appui a permis de débloquer un rendez-vous décisif : une rencontre, le 8 décembre, avec Jean-François Roberge, ministre de l’Immigration, de la Francisation et de l’Intégration, également responsable de la Langue française.

Un entretien au plus haut niveau, rare pour un député représentant les Français établis hors de France, et qui témoigne de l’ampleur du malaise diplomatique provoqué par l’abolition du PEQ.

 


« Le Québec sait que cette décision soulève un problème politique majeur. Il faut corriger le tir. » - Christopher Weissberg

 

L’objectif affiché est désormais sans ambiguïté : obtenir une clause de droits acquis, pour éviter que des familles déjà installées ne soient expulsées du système qu’on leur avait pourtant présenté comme stable et prévisible.

 

 

La promesses faites aux francophones


 

 

Un Québec contradictoire : recruter à Paris, refouler à Montréal

Ce que les témoignages exposent, c’est une incohérence profonde. Pour accueillir ces travailleurs, le Québec a investi dans des salons en France, financé des ententes bilatérales avec Paris, promis des voies d’accès rapides à la résidence permanente.

Aujourd’hui, le message inverse domine : débrouillez-vous.

Même les milieux hospitaliers tirent la sonnette d’alarme. Le risque d’exode se chiffre déjà : jusqu’à 200 professionnels de santé pourraient quitter le CHU de Québec. Dans l’éducation, dans la construction, dans la restauration hospitalière, les témoignages s’alignent — des équipes entières reposent sur des Français arrivés avec un discours gouvernemental diamétralement opposé à celui d’aujourd’hui.

À l’écran, la lassitude se mue en ironie amère : Le Québec recrute en France le samedi, pour défaire les parcours migratoires le lundi.

 

La réunion en ligne
Une vingtaine de personnes sur les 85 présentes ont pu s'exprimer et expliquer leur situation face à un député très attentif.

 

 

Une mobilisation qui change d’échelle : de la détresse individuelle à la pression collective

Ce qui n’était au départ qu’un chapelet de détresses individuelles s’est mué, en quelques jours, en un mouvement collectif d’une ampleur rare dans le paysage québécois. L’abolition du PEQ a agi comme un électrochoc, révélant une communauté française structurée, organisée — et désormais déterminée à se faire entendre.

La première pétition déposée à l’Assemblée nationale, qui dépasse les 19 000 signatures à quelques jours de sa clôture, a servi d’étincelle. Rapidement, elle a été suivie d’une seconde, portée par les élus consulaires et soutenue par Christopher Weissberg. Les deux textes ne s’opposent pas : ils se répondent, comme les deux faces d’un même mouvement citoyen. L’un interpelle le Parlement québécois ; l’autre fédère la communauté française dans son ensemble.

 

 

 

 

Le rôle pivot de Le Québec, c’est nous aussi : une machine militante en ordre de bataille

Mais la véritable bascule s’est opérée ailleurs : du côté du collectif Le Québec, c’est nous aussi, devenu en quelques années la voix la plus structurée des résidents temporaires francophones. L’organisation, déjà au cœur des combats contre les réformes de 2019, a remis en marche sa machine militante : veille juridique, groupes de soutien, mobilisation sur les réseaux, ressources pour écrire aux députés, coordination des manifestations.

Le site, qui prend la forme d'une plateforme d’urgence, publie en continu des guides pratiques, des analyses, des témoignages. C’est là que nombre de Français ont compris l’ampleur de la crise. C’est là aussi que se prépare, en grande partie, la riposte.

Sur le terrain, la pression monte. Deux manifestations ont déjà eu lieu à Québec et Montréal, rassemblant travailleurs essentiels, étudiants, parents et même des Québécois inquiets pour leurs services publics. Une troisième, annoncée pour le 29 novembre, pourrait devenir la plus imposante à ce jour. Les organisateurs, dont plusieurs membres de Le Québec, c’est nous aussi, parlent d’un mouvement “transversal”, où se côtoient cuisiniers d’hôpital, ingénieurs, éducatrices, jeunes diplômés et familles binationaux.

 

QR codes des groupes WhatsApp pour le rassemblement de samedi
QR codes des groupes WhatsApp pour le rassemblement de samedi

 

 

Une pression politique et médiatique croissante : Québec face à ses contradictions

En parallèle, la scène politique provinciale est directement ciblée. Tous s’organisent pour que les députés provinciaux reçoivent, siège par siège, des dizaines de messages personnalisés : récits de vie, arguments économiques, situations familiales à risque. Une stratégie assumée et encouragée par Weissberg, pour qui « les élus doivent voir les conséquences concrètes de leurs décisions, pas seulement les tableaux Excel du ministère ». Plusieurs attachés politiques, surpris par l’ampleur des courriels, ont déjà sollicité des éclaircissements internes. Ces courriels doivent continuer d’être envoyés aux députés du Québec.

Le débat ne se limite plus à la communauté immigrante : les médias de masse comme Le Monde en France, Radio-Canada, La Presse, TVA, CTV au Québec commencent à parler du problème et interpellent le gouvernement.

Le Québec vit une contradiction publique : il affirme manquer de main-d’œuvre, mais menace de perdre ceux qu’il a lui-même attirés. Dans cette effervescence, un fait s’impose : le gouvernement n’avait pas anticipé que l’abolition du PEQ réveillerait un mouvement aussi structuré, aussi déterminé — et désormais soutenu, canalisé et amplifié par un député, des délégués et conseillers consulaires qui ne comptent pas lâcher prise.

 

 

 

 

Une crise politique… mais surtout un révélateur social, économique et démographique

Au fil des interventions, un tableau beaucoup plus vaste apparaît, dépassant les trajectoires individuelles. C’est tout un pan du projet québécois qui vacille. Derrière les récits de familles déboussolées se dessine une mécanique implacable : des enfants nés ici menacés d’exil administratif, des couples binationaux fragilisés par des échéances de permis impossibles à respecter, des étudiants qui voient leur investissement virer au piège, et des familles entières dont l’endettement repose sur la promesse — désormais réduite à néant — d’une voie prévisible vers la résidence permanente.

Ce que l’abolition du PEQ révèle, c’est l’envers d’un système que l’on croyait stable : un Québec qui recrute à l’international, séduit à Paris, accueille dans ses écoles et ses hôpitaux… puis ferme la porte au moment précis où ces nouveaux arrivants deviennent des résidents à part entière. Une politique qui fragmente la vie privée et économique de milliers de personnes, mais aussi, paradoxalement, qui fragilise les propres structures du Québec.

Car la contradiction saute aux yeux. Le Québec manque cruellement de main-d’œuvre, des hôpitaux aux écoles en passant par le génie civil. Sa natalité s’effondre. Sa croissance démographique repose à près de 40 % sur l’immigration, selon Statistique Canada. Et pourtant, c’est précisément la voie la plus directe pour retenir des travailleurs francophones déjà intégrés — souvent dans des secteurs en pénurie — que l’on vient de supprimer.

D’un geste administratif, Québec se coupe de ressources humaines qu’il a lui-même attirées, formées, intégrées. Une rupture brutale que plusieurs observateurs qualifient déjà de paradoxale, voire d’autodestructive. Une décision qui, pour de nombreux participants à la réunion, interroge : quelle société peut se permettre de perdre, en pleine pénurie, ceux qui ont choisi d’y bâtir leur avenir ?


 

Le Québec peut-il vraiment se priver de ceux qui l’ont choisi ?

Lorsque la réunion s’achève, les visages disparaissent un à un de l’écran, mais quelque chose demeure : une tension sourde, presque palpable. Christopher Weissberg le sait, et la formule qu’il lâche alors tient moins du commentaire que de l’avertissement :
 

 

 « On ne peut pas laisser des vies entières être bousculées par un décret. »

 

Il ne promet ni retournement immédiat ni issue magique. Mais il acte une méthode : une diplomatie qui ne restera pas silencieuse, une pression politique exercée au bon niveau, et une mobilisation citoyenne qui ne faiblira pas. La stratégie est posée, assumée, revendiquée.

Au-delà des procédures, ce que l’abolition du PEQ ébranle, c’est la relation de confiance entre un territoire et ceux qui ont choisi d’y ancrer leur existence. Des familles, des carrières, des couples, des vies entières construites ici — et qui découvrent aujourd’hui que leur présence peut être précipitée dans l’incertitude par une signature ministérielle.

Le débat, désormais, dépasse les cercles immigrés. Il interroge le Québec lui-même : sa cohérence, sa parole publique, sa capacité à tenir ses engagements, sa vision de l’avenir.

Au fond, une question se pose, simple mais vertigineuse : le Québec peut-il vraiment se permettre de perdre ceux qu’il a tant travaillé à attirer ?

 

Pour aller plus loin, écoutez le point de presse du député Guillaume Cliche-Rivard

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