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La crise des surdoses : la drogue omniprésente au Canada

Au Canada, la drogue empoisonne la société depuis des dizaines d'années allant jusqu'à provoquer une grave crise sanitaire. Commencée à Vancouver dans les années 1990, la crise des surdoses s'est étendue jusqu'à Montréal devenant ainsi un problème de santé publique majeur à l'échelle nationale.

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Publié le 6 septembre 2023, mis à jour le 12 septembre 2023

Le sujet de la drogue est important mais épineux au Canada et à Montréal, notamment après l'explosion du nombre d'overdoses causées par le fentanyl, un opioïde qui présente un effet analgésique. Pour aborder la question de la drogue dans le pays à la feuille d'érable, nous avons rencontré Maître Louis Letellier de St-Just, cofondateur de Cactus Montréal, organisme communautaire de prévention des infections transmissibles sexuellement et par le sang (ITSS) oeuvrant au centre-ville de Montréal depuis plus de 30 ans. 

 

La philosophie étatique déterminante au Canada

Entre tabous et rejets, la drogue faille constitue un sujet important au Canada, notamment à Montréal. Pourtant si régulière, on la veut discrète, comme si elle était pour les autres, loin de chacun. De ces tabous mènent culpabilisation, secret, mal-être, désinformation, et mort, qui prend sans rendre. La drogue tue les citoyens et impacte la société, qui tente désespérément de l’esquiver. 

En Amérique du Nord, la drogue et les surdoses sont omniprésentes dans les centre-villes depuis des décennies. « Tout relève de la philosophie que l’Etat choisi en matière de stratégie sur les drogues »,  explique Maître Louis Letellier de St-Just. Tout commence en 1961, l’ONU se prononce quant aux stupéfiants et centre sa stratégie sur un mot d’ordre clair : la répression. La drogue, de sa possession à son usage, constitue une infraction criminelle qui mérite d’être pénalisée. Avec cette Convention unique sur les stupéfiants, la majorité des pays du monde ont ainsi, à leur tour, développé des législations répressives quant aux drogues et leurs usages. Les juges ont tranché : le toxicomane est un criminel. 

Ainsi, le Canada a, dès les années 1960, suivi l’interprétation états-unienne et onusienne quant à l’approche des drogues. La loi canadienne réglementant certaines drogues et autres substances illicites dispose ainsi : « la possession de toute substance inscrite aux annexes I, II ou III est interdite ». Lesdites annexes listent une centaine de substances différentes, de la cocaïne à l’opium en passant par le méthylphénidate. 

Au Canada, le gouvernement fédéral a la mainmise sur le droit criminel. Tout le pays est ainsi assujetti aux mêmes codes et législations pénales, soit sur les drogues, leur possession, leur vente, et leur trafic. Globalement, la stratégie canadienne quant aux drogues se fonde sur 4 piliers calqués du modèle suisse : prévention, traitement, application de la loi, et réduction des risques. Néanmoins, il revient aux provinces de réglementer l’organisation des services de santé. Là interviennent les mœurs et valeurs des politiques. 

 

« On parle de sexe, de moeurs, et de drogue, un cocktail plein de tabous, plein de culpabilité religieuse. C’était l'Everest à franchir pour les tenants de changement d’une approche de santé publique. »

Maître Louis Letellier de St-Just, cofondateur de Cactus Montréal.


L'ascension et la chute d'INSITE Vancouver

A Vancouver, en Colombie-Britannique, la drogue ravage le downtown dès le début des années 1990. Le Downtown Eastside mélange extrême pauvreté, consommation de drogue, prostitution de survie, surdoses, et morts de surdoses quotidiennes. « Les gens mouraient dans les bras des policiers », raconte Maître Louis Letellier de St-Just. Une crise de santé publique est déclarée en urgence par la province. En réponse, un site de consommation surveillée baptisé INSITE est créé en 2003. Initialement, le site devait fermer le 12 septembre 2006, car l'exemption était prévue pour un projet pilote d'une durée de trois ans avec une protection du personnel garantie. Mais cette mesure s'est révélée trop courte. 

INSITE devient ainsi le premier site d’injection supervisé en Amérique du Nord. Le site se définit comme étant un établissement de santé contrôlé où les consommateurs de drogue peuvent sous surveillance s'injecter la drogue illicite qu'ils se sont procurée et recevoir des soins médicaux, être conseillés et orientés vers des services sociaux, de santé et de traitement de la toxicomanie. A sa création, INSITE a cinq objectifs clairs : accroître l'accès aux soins de santé et à ceux de la toxicomanie, réduire les décès par surdose, réduire la transmission des infections virales transmissibles par le sang, comme le VIH et l'hépatite C, réduire d'autres infections liées aux injections, et améliorer l'ordre public.


L’ouverture d’INSITE constitue un socle de départ vers une nouvelle stratégie de santé publique quant à la crise liée aux drogues. INSITE matérialise une approche nouvelle, autre que celle répressive connue depuis les années 1960. Les recherches indiquent une série d'avantages, notamment une réduction de l'injection en public et du partage de seringues et une augmentation de l'utilisation des services de désintoxication et du traitement de la toxicomanie chez les patients. Les observations préliminaires, publiées en 2004 dans la revue Harm Reduction, indiquent que le site a réussi à attirer les consommateurs de drogues injectables et donc à réduire la consommation de drogues en public. Un rapport rendu par le ministère de la Santé du Canada le 1er mars 2008, préparé pour Tony Clement, le ministre de la Santé de l’époque, indique que, depuis 2006, le personnel d'INSITE est intervenu dans 336 cas de surdose et aucun décès par surdose n’a été déclaré. « Selon la modélisation mathématique, INSITE sauve environ une vie par an grâce à son intervention en cas de surdose »,  précise le rapport. 

 


    « Sans l'ombre d'un doute. Les gens qui souffrent sont criminalisés, et cela ne les aide pas. Ils remplissent les prisons et les tribunaux. Ils donnent aux policiers plus de travail que ceux-ci n'en veulent et, au bout du compte, tout ça ne les aide pas. »

Lisa Lapointe, coroner en chef de la Colombie-Britannique

En 2006, le conservateur Stephen Harper remporte les élections fédérales face au Premier ministre libéral sortant, Paul Martin, avec un leitmotiv clair : la loi et l’ordre. L’utilisation de drogue doit être réprimée fermement, et les salles de consommation doivent fermer, étant perçue comme une incitation et une acceptation des stupéfiants par la société civile. « En tant que gouvernement, nous n'utiliserons pas l'argent des contribuables pour financer la consommation de drogues », déclare Harper. 

Commencent ainsi les années noires de la réduction des risques. En voulant fermer INSITE, le gouvernement conservateur supprime délibérément un des piliers de la stratégie canadienne initiale quant aux drogues : la réduction des risques. Entre incitation ou secours, où se placent les salles de consommation surveillées ? Un débat éthique sensible heurte le pays positionnant les citoyens et politiques dans un dilemme où une des finalités n’est autre que la mort. En voyant les sites d’injection surveillés ou tout autre programmes semblables, comme une incitation et une infraction criminelle, une porte ouverte vers la consommation, la politique fortement répressive du gouvernement conservateur a, en réalité, conduit à une vague de décès liés aux surdoses massives, et au recul des avancées de la nouvelle stratégie de protection de la santé publique initiée par le gouvernement libéral après la crise des années 1990. 

 

L'intervention de la Cour Suprême pour la survie d'INSITE 

Après l’arrivée du gouvernement conservateur, INSITE allait alors fermer malgré l’alerte des activistes et les études démontrant des résultats positifs. Le 13 août 2007, la Portland Hotel Society, société canadienne à but non lucratif créée pour défendre les intérêts du Downtown Eastside de Vancouver, et deux clients de l'établissement, intentent une action en justice devant la Cour suprême de la Colombie-Britannique pour que le site reste ouvert, plaidant que sa fermeture constituerait une violation du droit à la « sécurité de la personne » garanti par la Charte aux utilisateurs d'INSITE. Le 4 octobre 2007, lors de l'annonce de sa stratégie antidrogue de $64 millions, le gouvernement conservateur a annoncé qu'INSITE bénéficierait d'une nouvelle prolongation de six mois, lui permettant de fonctionner jusqu'au 30 juin 2008 puis fermera ses portes. Commence une véritable bataille juridique entre deux parties qui prétendent vouloir sauver des vies, mais d’une manière parfaitement contraire. 

En 2011, l’affaire atteint la Cour Suprême du Canada qui statue, à l'unanimité, dans l'affaire que la décision du gouvernement conservateur de retirer l'exemption accordée à INSITE en vertu de la Loi réglementant certaines drogues et autres substances était « arbitraire, sapant les objectifs mêmes de la loi réglementant certaines drogues et autres substances qui comprennent la santé et la sécurité publiques ». La Cour ordonne ainsi au gouvernement d'accorder immédiatement une dérogation à INSITE, permettant ainsi à l'établissement de rester ouvert indéfiniment. « Cette décision constitue un véritable point de bascule », ajoute Maître Louis Letellier de St-Just.

 

décès drogue

 

En Colombie-Britannique, depuis 2016, 20.000 décès par surdose ont été rescencés. Cela correspond en moyenne à 7 décès quotidiens par surdose. A Montréal, les surdoses provoquent 1 décès par jour. 

 

Le fentanyl : le poison de la société 

D'après Lisa Lapointe, coroner en chef de la Colombie-Britannique, « la crise de la toxicité des drogues en Colombie-Britannique est une crise du fentanyl illicite ». Estimé être 20 à 40 fois plus puissant que l’héroïne et 100 fois plus puissant que la morphine, le fentanyl est un analgésique opioïde très puissant. Inodore et sans goût, le fentanyl peut être consommé à son insu, de plus qu'il est régulièrement mélangé à d’autres drogues telles que l’héroïne et la cocaïne, ce qui accroît considérablement le risque de surdose létale. 

 

fentanyl

 

D'après l'institut national de santé publique du Québec, l’injection de médicaments opioïdes est maintenant fréquente, surtout chez les jeunes de moins de 25 ans et pourrait présenter des enjeux particuliers pour le risque de VIH et de VHC.

 

« La drogue est devenue de plus en plus dangereuse puisqu'elle est coupée avec du fentanyl, soit la drogue la plus létale, depuis une dizaine d’années.  »

Maître Louis Letellier de St-Just, cofondateur de Cactus Montréal.

Face à cette crise en escalade inquiétante, le ministre responsable des Services sociaux du Québec, Lionel Carmant, a annoncé $1.452.000  supplémentaire en 2023-2024 pour financer les services de consommation supervisée et de vérification de drogues dans la région de Montréal. Lors de cette annonce, le ministre était accompagné de Josefina Blanco, conseillère municipale et responsable du dossier de l'itinérance au comité exécutif de la Ville de Montréal. Une large portion de ce financement supplémentaire sera répartie entre les organismes communautaires suivants, à raison de $300.000 chacun : sont concernés Cactus Montréal, Spectre de rue, Dopamine et L'Anonyme. En effet, quelques mois plus tôt, l'Assemblée nationale du Québec avait adopté à l’unanimité une motion reconnaissant le problème des opioïdes ainsi que le travail des salles de consommation, engageant ainsi le gouvernement à financer adéquatement. 

Quant aux mesures fédérales, le budget 2023 propose de fournir $359,2 millions supplémentaires sur 5 ans pour soutenir le renouvellement de la Stratégie canadienne des drogues et des substances (SCDS). A noter que cela s'appuie sur les plus de $800 millions investis depuis 2017 pour faire face à la crise des surdoses. 

 

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