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Vincent Dubail - « Nous devons cohabiter avec le sauvage »

Vincent Dubail écotopieVincent Dubail écotopie
Écrit par Sandra Camey
Publié le 22 juin 2020, mis à jour le 22 juin 2020

Le livre Kit pour voyager en écotopie de Vincent Dubail* nous embarque dans une société « écotopique » hors de l’ordre établi où l'écologie révolutionne nos modes de vie. Mais l’utopie écologique peut-elle pour autant devenir une réalité dans un monde post-Covid-19 ?

 

Il faut avoir la tête dans les étoiles et les pieds sur terre pour penser l’utopie


lepetitjournal.com : Pourquoi vous êtes vous attaqué au sujet de l'écotopie ?

Vincent Dubail : Aujourd’hui, nous sommes abreuvés de mauvaises nouvelles à longueur de journée. Les médias n’ont pas besoin d’aller chercher très loin les problèmes, nous vivons des désordres sur tous les plans. D’ailleurs chacun de nous en perçoit les signaux faibles et les signaux forts avec l’extinction des espèces, les épidémies, les canicules, les pollutions, l’accroissement des inégalités et de la pauvreté, le désengagement dans la démocratie, la perte de sens, etc. Le pire est que certains nous font même croire qu’il n’y a pas de choix possibles. Les partis politiques n’ont pas su incarner un renouvellement des idées. J’ajouterai même qu’il y a eu une interruption dans l’histoire des utopies à partir du XIX siècle. Les philosophes qui avaient pour tâche de proposer des utopies se sont enfermés dans la critique durant le XXe siècle. La philosophie critique est nécessaire mais pas suffisante pour proposer une alternative. Donc nous vivons depuis lors un trou d’air.

Je me suis alors dit que je devais revenir à la base, qui est pour moi l’utopie. Nous ne pouvons pas créer d’idéologie sans utopie car elles sont liées. L’utopie est progressiste. Elle pense le futur quand l’idéologie est conservatrice. Elle pense le présent donc ce que nous vivons. Des idéologies vous en avez plein, l’idéologie libérale ou marxiste par exemple mais l’idéologie écologiste n’existe pas. En tout cas, pas encore car pour lui donner naissance, il est impératif de passer par l’étape utopie. C’est pour cela que je me suis lancé dans l’idée d’une utopie radicale, pour, comme son nom l’indique, revenir à la racine des problèmes.
 

Penser le monde, hors du monde

Une utopie peut-elle vraiment devenir réalité ?

J’adore les utopies, je lis beaucoup de livres de science-fiction et je trouve très intéressant que des personnes arrivent à penser le monde, hors du monde. Mais la science-fiction est un imaginaire beaucoup trop loin de la réalité, il n’est donc pas accessible. Si nous arrivons à rapprocher l’utopie vers un imaginaire réaliste, alors nous aurons la possibilité de penser un monde différent et surtout de lier le réel à l’imaginaire. Cette idée se comprend très facilement en ayant en tête la formule il faut avoir la tête dans les étoiles et les pieds sur terre pour penser l’utopie. Il ne faut pas oublier les réalités du terrain au risque que notre écart par rapport à l’existant soit trop grand et donc inatteignable. Il y a un équilibre difficile à avoir entre réalité et imaginaire surtout pour ne pas compromettre la radicalité du changement. Par exemple, si j’ai une route qui fait circuler 50000 véhicules par jour, comment puis-je faire pour diminuer ce trafic pour que demain il y ait moins de pollution et de perturbations ?

 

L’incertitude est la source de notre motivation. Il n’appartient qu’à nous de créer ce lieu qui n’existe pas encore


Pensez-vous que la France puisse devenir une écotopie ?

Je pense réellement que oui, c’est pour cela que j’ai écrit ce livre. Je crois que les mesures sont à notre portée.  Il faut tracer un chemin pour y arriver, forcement cela va contre des intérêts particuliers en présence. Les politiques n’assument pas ces choix qui sont clivants et pourraient déplaire.

La question est assez simple veut-on mettre fin à un système qui ne fait que détruire ? Voulons-nous un capitalisme qui absorbe les contraintes écologiques avec des taxes et autres options du même type ? Une accommodation des contraintes écologiques comme un supplément d’âme ou souhaitons-nous un changement de système ?

Nous devons construire ce que Gramski appelle une contre hégémonie via un plan d’action déterminé pour l’ensemble de la société que ce soit des médias, en passant par la culture, l’économie, l’éducation, le transport, etc. D’ailleurs Gramski le dit « Un projet hégémonique bâtit un bon sens qui établit la vision spécifique d’un groupe comme l’horizon universel d’une société toute entière ». Cela permet à une fraction minoritaire de gouverner par le consentement, sans le besoin de la force.

J’ai la conviction que dès lors que nous commencerons à mettre en place les mesures que je propose, une majorité des citoyens se rangeront derrière le changement de société. Ils s’engageront entièrement avec désir et volonté dans l’écotopie. Les personnes qui seraient insatisfaites des éventuelles réformes sont les individus dits privilégiés qui ont d'importants ressources, ce que l’on a coutume de nommer les 1 % ou 10 % les plus riches. Mais la société est une question d’équilibre, il ne s’agit pas de spolier les plus riches mais bien de refaire société grâce à l’écologie. Nous ne faisons pas une société quand nous avons autant de pauvreté et des personnes ayant de hauts revenus qui vivent en vases clos. Il suffit de lire L’archipel français de Jérôme Fourquet pour constater la fissure dans le contrat social.

 

La société française se morcelle en petits cercles d’appartenance qui n’ont plus rien en commun les uns avec les autres


Quelles sont les mesures que vous proposez justement pour construire cette écotopie ?

Je propose beaucoup de mesures. L’idée du kit de voyage qui est en lien avec la notion d’utopie, est un support pour rentrer dans les mesures que nous devrions prendre. Il permet de redevenir en quelque sorte des explorateurs à travers un carnet de bord, une boussole, une montre, une carte, une encyclopédie de la nature et un couteau suisse. Chaque chapitre s’attache à transformer un pan de la société.

Par exemple, j’aborde dans le chapitre avec la montre les moyens pour retrouver la maitrise de nos vies, la mise en place d’un revenu d’existence, la réduction du temps de travail ainsi que le moyen pour arriver à une autre manière de produire et de consommer. Je fais la même chose en partant de l’encyclopédie de la nature en proposant de stopper l’artificialisation des terres afin de préserver les milieux naturels. Je propose d’instaurer la fin de la chasse et de re-ensauvager la France en déconstruisant les centres commerciaux et les aéroports pour les reconvertir, et en modifiant l’agriculture.

Enfin je demande à revivifier la République. C'est le sujet brulant par excellence, car le progressisme a répandu l’idée que l’émancipation s’arrache à la nature alors que c’est tout le contraire. La rationalité instrumentale de la science moderne a pris le dessus sur toute autre considération. La société française se morcelle en petits cercles d’appartenance qui n’ont plus rien en commun les uns avec les autres et cela ne peut que déboucher sur le pire. J’aime la formule « celui qui n’a pas de droit est opprimé, celui qui n’a pas de devoir est oppresseur ». Il devient impératif que nous dépassions une vision de l’autonomie seulement centrée sur l’être humain, celle-ci doit s’étendre à l’ensemble du vivant. Pour y arriver, nous devons restaurer le pacte républicain et refonder la démocratie. Il serait judicieux d’instaurer la gratuité des biens communs en modifiant le financement de la vie publique et notamment des partis politiques.

 

Nous sommes faits de nature


Vous expliquez que cette écotopie passe par « renouer notre lien à la nature et à la terre », pourquoi ?

Nous avons un peu perdu le lien avec la nature après les Lumières. Il faut revenir à 1789 à l’heure des révolutions où l’utopie rationaliste des Lumières commence à rentrer en jeu. Ils voulaient s’émanciper des anciennes servitudes et de la nature, en se disant que finalement, nous n’en avions pas besoin, que ce n’était qu’une ressource comme les autres et que l’Homme n’avait pas besoin de sortir de terre. Or, le schéma pré-dessiné a presque été accompli. Nous avons accéléré l’ère de l’anthropocène et fabriqué des technologies incroyables. Sauf que derrière tout cela, nous sommes faits de nature et nous ne pouvons pas nous en extraire.

Cela s’est vu durant le confinement. Bloquée chez elle, la population a souffert d’un manque de nature. Les différents sondages qui sont sortis montrent que la première chose que les personnes voulaient en sortie de confinement était de retourner dans les parcs, les forêts et faire des balades en nature. Cela souligne bien que nous avons un lien à la nature qui est très fort. Ce lien à la terre est ce qui nous fabrique. Vouloir s’en échapper serait finalement vouloir mourir.

 

Nous devons cohabiter avec le sauvage

Les Français sont-ils vraiment déconnectés de la nature ?

Mais quelle place lui laissons-nous réellement dans nos vies ? Bien peu. Nous la tolérons seulement pendant les vacances, dans des lieux bien définis. Sans compter le peu d’espace physique qu’on lui autorise, moins de 2 % du territoire est réellement protégé contre les ingérences de l’être humain. On finit par la confondre et la réduire à une définition qu’elle recouvre si peu, la ruralité. Il faut contrer l’ignorance rampante qui nous coupe de nos liens naturels. Nous ne sommes plus capables de reconnaitre ce que nous avons dans l’assiette, de reconnaitre une fleur, donner l’essence d’un arbre, ses caractéristiques, ses manières de vivre. Nous devons cohabiter avec le sauvage. Au manque de lien, la réponse se situe dans la décélération, dans l’immersion. Je propose d’ailleurs de sanctuariser une partie de notre territoire pour le réensauvager, de réintroduire de grands mammifères, faire de la libre évolution. De même, je porte l’idée d’un service forestier, agricole, maritime et littoral pour les personnes résidant en France et âgées de plus de 16 ans. L’occasion de transmettre dans le temps long le savoir de la nature et de s’en approprier le sens.

 

Nous n’osons pas nous poser certaines questions qui sont pourtant essentielles

Vous dites qu’il faut « lever le flambeau de la révolution ». Pensez-vous que la transition écologique passe forcément par une révolution ?

Le terme révolution est toujours à double tranchant au regard de l’histoire. J’estime que nous sommes arrivés à un moment de fracture dans la société qui demande de lever la révolution. Je m’inclus plutôt dans la démarche de ce qu'André Gorz appelle une révolution réformiste. Il faut l’inscrire dans les institutions pour les révolutionner et non chercher à vouloir les démonter en saccageant et en faisant une forme de révolution sanguinaire. Je suis plutôt dans l’idée d’une révolution mais par les institutions elles-mêmes, en les renversant.

D’ailleurs, je propose un plan de bataille dans le livre. J’ai regardé différents auteurs, allant d’André Gorz, à Gramski, Popovic mais c’est Erik Olin Wright qui m’a le plus convaincu. Il a identifié trois stratégies à engager de concert pour structurer un changement radical : une stratégie symbiotique, interstitielle et de rupture. L’objectif est de fabriquer un terreau fertile pour un chemin irréversible pour les deux premières et de faire basculer la société pour la dernière stratégie.

Nous n’osons pas nous poser certaines questions qui sont pourtant essentielles, comme celles de la propriété ou de la démocratie. Si la population faisait cette démarche, nous pourrions trouver des réponses collectivement. Je ne cherche pas à être consensuel, cela n’est pas mon but. L’écotopie que j’ai écrite plaira ou pas, mais elle permettra de lancer un débat.

 

 

* Ingénieur de formation, passé par Sciences Po Lyon et l'IAE Lyon, Vincent Dubail travaille pour le ministère de la Transition écologique et solidaire. Il est également responsable départemental des Hauts-de-Seine, et vice-président de la commission économique et de la commission transport au sein d'Europe Ecologie-les Verts. Il dispense des cours sur la communication et les politiques publiques à l'Ecole nationale des travaux publics de l'Etat.